Alain Lamassoure : « Le Parlement européen nous a changés » (Sud-Ouest)

Eurodéputé depuis 1989, ministre des Affaires européennes puis ministre du Budget entre 1993 et 1997, Alain Lamassoure a présidé d’une main sûre la puissante commission des budgets au Parlement européen durant ce dernier mandat. Il a été désigné par l’UMP pour conduire la liste en Île-de-France, laissant le Sud-Ouest à Michèle Alliot-Marie. Issu de l’UDF, proche d’Alain Juppé et bête noire d’Henri Guaino, qui vient de déclarer qu’il ne voterait pas pour une liste conduite par lui, Alain Lamassoure est l’un des meilleurs connaisseurs des arcanes européens.

  • « Sud Ouest Dimanche ». Quelle est la différence majeure entre le Parlement français et celui de Strasbourg ?
  • Alain Lamassoure. La méthode de travail à Strasbourg est inverse à celle de l’Assemblée nationale. Comme nous sommes tous élus à la proportionnelle, nous sommes en permanence à la recherche d’un compromis, sur chaque texte, pour établir une majorité qui peut à chaque fois être différente. Cette majorité requérant 376 voix, la négociation entre les « mammouths » que sont le PPE (Parti populaire européen, centre droit) et le PSE (Parti socialiste européen) est permanente. Quand je suis en charge d’un sujet, mon premier réflexe est d’aller voir les socialistes. Le manichéisme n’a pas lieu d’être, ici. Il existe en outre une règle non écrite dans l’Union européenne, mais plus puissante que tous les traités et qui s’applique à tout le monde, y compris à la famille Le Pen : tout ce qui nous divise est dans le passé, et nous n’avons aucune prise dessus. Ici, on ne parle donc jamais du passé.
  • Comment regarde-t-on la politique française depuis Strasbourg ?
  • Vu d’ici, on mesure à quel point la vie politique française se réduit à la conquête de l’Élysée. La France est la dernière monarchie d’Europe. Les Français ont sans cesse le mot « républicain » à la bouche, mais ils se conduisent comme des sujets vis-à-vis de leurs dirigeants, et non pas comme des citoyens. Ils vont d’un excès de révérence à un excès d’irrévérence.
  • La vie politique de Paris intra-muros est une horreur. En quinze ans, j’avais fini par oublier la jungle. Ici, en comparaison, c’est le zoo de Vincennes. Or, dans la jungle, le type qui vous poignarde, c’est votre ami.
  • En 2007, vous aviez encouragé de jeunes députés français à ne plus viser l’Élysée mais Bruxelles, lieu véritable du pouvoir de demain. Sept ans plus tard, où en est-on ?
  • Cela évolue. Tous ceux d’entre nous qui passent par le Parlement européen en sortent changés. Par exemple, Brice Hortefeux est désormais convaincu qu’il n’existe pas de solution au problème de l’immigration en dehors de l’Europe. Nous allons ainsi, à l’UMP, prendre le contre-pied du FN, selon lequel il faudrait rétablir les frontières, sortir de Schengen, alors qu’il faut plutôt faire jouer à fond les compétences européennes en la matière.
  • Mais le personnel politique français est encore loin du compte. Le prochain président de la Commission européenne sera un Allemand ou un Luxembourgeois. Et, pour le moment, je n’ai vu aucun poids lourd politique français, du moins à droite, se mobiliser pour les quatre postes importants (1). Pourtant, François Fillon aurait fait un excellent président de la Commission européenne, Nicolas Sarkozy un président de Conseil européen idéal, et Alain Juppé un remarquable haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité. Quand je suis allé les voir pour évoquer ces sujets, les uns et les autres ont éludé la question ou m’ont raccompagné jusqu’à la porte.
  • Quand je suis entré dans ce Parlement, la France était regardée comme le phare de l’Europe, la référence. Sarkozy avait réussi à maintenir l’illusion de par son activisme. Aujourd’hui, c’est fini. Les masques sont tombés. Hollande est totalement inexistant sur la scène. Je ressens cela comme une humiliation.
  • Dans quel rôle vous voyez-vous personnellement au sein de la prochaine assemblée ?
  • Tout dépendra de notre poids électoral. Comme tête de liste en Île-de-France, j’ai de nouveau pris une position nationale. Mais je n’ai plus envie d’être ministre. En 2007, j’avais été l’un des auteurs du traité de Lisbonne. En dépit de tous les services que je lui avais rendus, Nicolas Sarkozy n’en avait tenu aucun compte. J’avoue que cela m’avait déçu.
  • J’aimerais être rapporteur sur un très grand sujet. Il y a trois grands dossiers majeurs selon moi : celui de l’énergie, celui de l’immigration et celui de la politique étrangère et de la défense. Cela pourrait me laisser en outre le temps d’écrire et d’enseigner.

(1) Ces quatre postes sont ceux de président de la Commission européenne, président du Conseil européen, haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, et président de l’Eurogroupe.

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