Et si l’inconstitutionnalité de la loi «mariage pour tous» venait de ses conséquences sur la filiation adoptive ?

Tribune publiée par deux magistrats, spécialistes de l’adoption, qui s’interrogent sur le risque d’inconstitutionnalité que présente le projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. En effet, l’altérité sexuelle est «un principe essentiel du droit français de la filiation». Or, en France, même le législateur ne peut remettre en cause un principe essentiel du droit.

Laurent Bayon, magistrat, ancien conseiller parlementaire du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.
Marie-Christine Le Boursicot, magistrate, ancien membre du Conseil supérieur de l’adoption, ancienne secrétaire générale du Conseil National d’Accès aux Origines Personnelles (*)

La Constitution est peut-être bonne fille, mais, point trop n’en faut. Car,comme on le sait, qui trop embrasse mal étreint ! Voilà un proverbe qui pourrait trouver à s’illustrer à propos du projet de loi actuellement débattu devant le Parlement.

Certes, il est acquis depuis la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011, que la Constitution ne s’oppose pas à ce que le législateur accorde la liberté de se marier à des couples de personnes de même sexe. Il n’en reste pas moins que le projet de loi ouvrant le mariage « pour tous » présente un risque réel d’inconstitutionnalité par un effet induit, pour l’instant ignoré du débat.

Pourquoi ? Il convient d’être précis.

1) Selon la volonté du Gouvernement, le projet de loi ne se limite pas à ouvrir le mariage aux couples de même sexe ; il leur offre ipso facto la voie de l’adoption plénière, que ce soit l’adoption conjointe d’un enfant, par les deux époux ou, surtout, l’adoption de l’enfant du conjoint.

2) Or depuis la loi du 11 juillet 1966, notre système de droit,contrairement à la plupart de ceux de nos voisins, connaît deux formes d’adoption : l’adoption simple et l’adoption plénière.

L’adoption plénière, filiation de substitution complète, se distingue fortement de l’adoption simple, filiation additionnelle. D’une part, contrairement à cette dernière, elle aboutit à établir un nouvel acte de naissance de l’adopté. D’autre part, elle est irrévocable. C’est pourquoi, une fois l’adoption plénière prononcée, que ce soit l’adoption conjointe d’un enfant par deux époux hétérosexuels ou l’adoption de l’enfant du conjoint dans un couple hétérosexuel, l’enfant aura définitivement un nouvel état civil, dans lequel figurera uniquement sa filiation telle qu’elle résulte du jugement ; sur l’extrait de l’acte de naissance avec filiation, il sera écrit qu’il est né(e), fille ou garçon, de monsieur Untel et de madame Unetelle (1). C’est là un apport essentiel de la loi du 11 juillet 1966 qui a mis l’adoption plénière sur un pied d’égalité avec toute filiation légalement établie, afin de sécuriser le statut de l’adopté, en lui donnant un nouvel acte de naissance définitif qui ne le distingue pas des autres enfants.

3) Ainsi, en l’état de notre droit de la filiation, seule l’adoption simple fait coexister deux filiations, éventuellement dans chacune des lignes paternelle et maternelle, elle n’interdit pas à un enfant d’avoir deux mères ou deux pères et autorise également qu’il ait un père, s’il a deux mères, et une mère s’il a deux pères. D’ailleurs, en 2010, la Cour de cassation a reconnu les effets en France d’un jugement américain prononçant l’adoption simple d’un enfant par la compagne d’une mère,donnant ainsi cet enfant une mère adoptive française en plus de celle américaine qui l’avait mis au monde grâce à une insémination par donneur anonyme et partageant l’autorité parentale entre ces deux femmes.

4) En revanche, s’agissant de l’adoption plénière, la Cour de cassation a affirmé, par deux arrêts du 7 juin 2012, qu’est contraire à «un principe essentiel du droit français de la filiation», celui de l’altérité sexuelle, la transcription sur les registres de l’état civil français, valant acte de naissance, d’une adoption qui emporte inscription d’un enfant comme né de deux parents du même sexe. Dans les deux cas, il s’agissait de reconnaître les effets d’un jugement d’adoption plénière conjointe d’un enfant par deux hommes, dont l’un était de nationalité française, l’une des décisions avait été prononcée au Québec, l’autre au Royaume-Uni. Dans les deux cas, la Cour de cassation a solennellement refusé la reconnaissance de ces adoptions dans notre pays. Ce n’est pas une surprise. Dès 2005,devant la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant présidée par Patrick Bloche, le Professeur Françoise Dekeuwer-Défossez, avait exposé que « l’adoption par les couples homosexuels pose un problème de fond démesuré par rapport à l’ampleur pratique qu’elle prendrait. …. lorsqu’un enfant est adopté de manière plénière par un couple homosexuel, il a deux pères ou deux mères,ce qui pulvérise l’ensemble de notre système de filiation ».

5) Le projet de loi et l’engament pris de ne pas bouleverser la forme des actes d’état civil des enfants, adoptés ou non, laissent à penser que pour ouvrir l’adoption plénière aux couples de même sexe, il suffit de créer un état civil spécifique qui fera de fait de l’orientation sexuelle de leurs parents un marqueur de leur identité. Un tel choix est-il compatible avec l’intérêt de l’enfant ? Autre question : la société française est-elle prête à repenser tout le droit de la filiation, à le faire reposer essentiellement sur l’intention comme le préconisent certains, à faire de l’adoption le paradigme de la filiation, mais aussi à s’affranchir davantage de la vérité biologique en s’y opposant frontalement par l’abandon de la référence à l’altérité sexuelle nécessaire pour la conception de tout enfant?

6) A rebours de l’histoire du droit de la filiation et de celui de l’adoption,autorisée pour les mineurs… et les couples mariés depuis 1923 seulement, droits qui se sont construits sur le principe d’égalité entre les enfants, le projet de loi, au nom d’un principe d’égalité entre les adultes, prend le risque de consacrer une adoption dans l’intérêt d’abord des adoptants et de rompre l’égalité de statut entre les enfants selon leur filiation.

7) La vérité est que la logique du projet de loi ouvrant le mariage supposerait de réformer le droit de la filiation, à tous le moins l’adoption plénière. C’est d’ailleurs ce qu’ont relevé tant la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, que le Défenseur des Droits que, encore, le Conseil national des Barreaux.

8) Or, la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel sont précises et exigeantes. Elles réservent exclusivement au législateur la responsabilité de fixer l’état des personnes et le droit de la filiation. Aussi, faute de faire ces réformes en même temps qu’il ouvre tous les effets du mariage aux couples de même sexe, le législateur n’épuise-t-il pas sa compétence? Il prend ainsi un sérieux risque de voir invalider son projet de loi pour « incompétence négative », au nom de l’inintelligibilité de la loi, par le Conseil constitutionnel. Ce qui serait un véritable échec, car le mariage et l’adoption étant liés l’un à l’autre, le juge constitutionnel n’aurait d’autres solutions que de censurer les deux. Plutôt que de permettre le mariage à tous les couples en percutant le droit de la filiation, le projet de loi pourrait se limiter à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, en permettant la seule adoption simple de l’enfant du conjoint. Nul doute qu’ainsi le Président de la République répondrait à ses engagements sans risquer les foudres du Conseil constitutionnel. Car, dans sa désormais fameuse décision du 28 janvier 2011, il a énoncé que « la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ». Ce serait une première étape. Puisque tout le monde s’accorde à dire que désormais c’est l’enfant qui « fait la famille »,pourquoi ne pas attendre le futur projet de loi sur la famille annoncée par le Gouvernement pour construire une parenté et une parentalité pour les enfants élevés par des couples homosexuels, sans le faire au détour du mariage pour tous, de manière élusive, en contradiction avec« un principe essentiel du droit français de la filiation » et en dénaturant l’adoption plénière telle qu’elle ressort de loi du 11 juillet 1966, au détriment de l’intérêt même des enfants concernés?

Tribune publiée le 7 février par le journal LA CROIX

(*) J’ai travaillé avec Marie-Christine Le Boursicot, en 2007&2008, lorsque je représentais l’Association des Départements de France au sein du CNAOP.
(1) En droit, l’expression « né de » marque l’ascendance; elle est utilisée notamment dans les articles du code civil relatifs à la nationalité française.

Au sujet du projet de loi « Mariage pour tous », lire aussi sur ce blog :

1 commentaire pour “Et si l’inconstitutionnalité de la loi «mariage pour tous» venait de ses conséquences sur la filiation adoptive ?”

  1. Depuis plusieurs semaines déjà vous combattez avec détermination une loi sur le mariage pour tous qui concerne peu de citoyens en mettant en avant les enfants.
    Cette loi par ailleurs a pour but entre autres, c’est le plus important, de donner les mêmes droits aux enfants de ces couples qu’aux enfants des couples hétéros, seraient-ils coupables à vos yeux des choix de leurs parents ou du commerce des mères porteuses ?
    Combien êtes-vous à intervenir avec autant du pugnacité pour lutter contre les droits bafoués des enfants victimes du divorce et de la séparation de leurs parents tout au long de leur existence ?
    A savoir:
    – L’exclusion de l’un des parents, le plus souvent le père ainsi que la totalité de la famille paternelle, actuellement environ 700 000 enfants mineurs sont bafoués de ce droit essentiel.
    – Le déracinement en famille d’accueil.
    – Une scolarité perturbée engendrant pour beaucoup des difficultés supplémentaires à s’insérer dans la vie active.
    – L’aliénation parentale infligée trop souvent par le parent ayant obtenu la garde.
    – L’application abusive et discriminatoire de l’article 371-4 élargi au tiers envers eux souvent par vengeance une fois devenus adultes et parents à leur tour.
    – Le report d’affection du parent exclu sur un (les) autre(s) enfant(s) de la famille qu’il aura recomposée de son côté.
    – La privation du droit d’héritage de l’enfant exclu au motif exclusif d’être aussi l’enfant de l’autre.
    – Les dénis de justice les sanctionnant très lourdement tant moralement que financièrement ainsi que leurs proches.
    – Un taux de suicides très supérieur aux enfants issus de familles unies.
    – Etc…

    Si priorité il devait y avoir, je pense que c’est plutôt ce combat.

    Cordialement.

    Jean Louis Guimberteau

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *