En proposant aux habitants de Guadeloupe et de Martinique « une égalité réelle » le Président de la République se trompe lourdement ! A moins que …
A chaque visite aux Antilles les Présidents de la République et les 1er Ministres successifs arrivent avec des cadeaux :
- Valéry Giscard était venu avec « l’alignement du tarif du courant électrique sur le tarif de la métropole », une très mauvaise idée qui a eu comme impact dans un premier temps de créer un déficit chronique pour EDF aux Antilles dissuadant tout dirigeant de faire des économies substantielles, et dans un second de décourager toutes les initiatives de production d’énergies renouvelables … A moins qu’elle ne soit très largement subventionnées ! Les îles ont fini par s’équiper d’éoliennes (la 1ère centrale fut implantée à La Désirade), de centrales de cogénération (notamment avec la bagasse, sous produit de la canne à sucre), de géothermie (comme à Bouillante en Guadeloupe)… Mais à quel prix !
- Jacques Chirac avec la loi Pons de défiscalisation outre-mer a créé un « machin fiscal » très couteux pour l’Etat et qui, au final, bénéficie peu à l’économie ultra-marine … Souvent décriée, elle n’a jamais été remise en cause depuis. Jacques Séguéla pour remercier Pierre Bérégovoy (PS) d’avoir conservé cette « niche fiscale » avait même baptisé son bateau dans la Marina de Pointe-à-Pitre « Merci Béré » ; Une défiscalisation outre-mer qui a eu des effets collatéraux néfastes en métropole et aux Antilles en créant des bulles dont certaines ont explosé… Citons en exemple l’affaire « Jetsee » qui a bien failli faire mourir une entreprise d’excellence Française : l’entreprise Vendéenne Jeanneau (voilier de plaisance).
- Lionel Jospin était venu avec « l’alignement du SMIC sur le SMIC de la Métropole », une idée qui a eu comme impact , d’une part, d’alourdir encore un peu plus les inégalités au sein des îles de la Caraïbe et d’augmenter les flux migratoires entre elles, et d’autre part, de réduire toutes les chances de l’agriculture et de l’industrie ultra-marine de devenir un jour compétitives sur le marché de la Caraïbe et sur le marché mondial … sauf à les subventionner d’une manière ou d’une autre. Un peu plus tard, la France demandait à l’Europe par la mise en place de taxes entre importation et exportation de bananes, de payer à ses producteurs (Guadeloupe et Martinique) une aide pour pouvoir assumer les charges nouvelles qu’elle avait elle-même créées …
- Yves Jego, alors Ministre des Outre-Mer avait promis des compensations invraisemblables à Elie Domota (LKP)… avant d’être rappelé à l’ordre par le 1er Ministre François Fillon et d’être obligé de revenir sur ses promesses. Il quittait ensuite le gouvernement. Qu’on ne s’y trompe pas, le mouvement LKP avait comme objectif de contrer le projet du gouvernement de François Fillon d’aligner les salaires des fonctionnaires ultra-marin sur ceux de la métropole… Elie Domota, fonctionnaire lui-même et leader du Mouvement en Guadeloupe était l’un des dirigeants de Pôle Emploi.
François Hollande arrive ce week-end avec la promesse de conserver la « défiscalisation (loi Pons) », la promesse d’une « égalité sociale » (?) et la promesse d’une « égalité réelle »… Un jeu dangereux qui va accroitre encore les inégalités locales avec la Dominique, Montserrat, Haïti , Saint Domingue, Cuba … A moins que le projet du Président ne soit, sans le dire, de mettre en place une « égalité fiscale » (j’en doute !).
Nous avons habité 5 ans en Guadeloupe, de 1991 à 1997. Nous sommes arrivés quelques mois après les ravages causés par le cyclone Hugo.
Nous avons gardé en Guadeloupe de nombreux amis : parmi les Antillais d’origine Africaine, parmi les descendants des « blancs créoles » (Béké) et des « blanc pays », dans la communauté Indienne, parmi les descendants des « petits blancs », parmi les Libanais et les Syriens, … Et parmi ceux, de plus en plus nombreux, qui descendent de toutes ces communautés à la fois ! Un peuple cosmopolite à la culture mélangée (Créole) qui vit au paradis, 11 mois sur 12… Mais qui construit avec sagesse, car il sait que pendant la période cyclonique, la nature en quelques heures peut anéantir le travail d’une vie.
« Penses-tu qu’il soit normal », me dit un jour mon ami Hector Poullet, « que lorsqu’on demande à un enfant de la Guadeloupe : «dis moi, entre ces quatre villes, laquelle est la plus proche de Pointe-à-Pitre : Roseau, Port-au-Prince, Paris ou Fort de France ?»… Dans la plupart des cas il réponde dans l’ordre : 1-Paris, 2-Fort-de-France, 3-Port-au-Prince et 4-Roseau… Alors que Roseau est la capitale de la Dominique, île voisine de la Guadeloupe, qu’on atteint en 15 minutes de Zodiac… »
Mon ami parlait de choisir entre la dépendance et d’indépendance… Un choix d’avenir : La Guadeloupe et la Martinique doivent -elles se tourner vers l’arc Antillais et les îles de la Caraïbe, ou bien doivent-elles dépendre éternellement de Paris ?
Dans le fonds, les Guadeloupéens sont partagées entre plusieurs tentations : la tentation de la dépendance (d’où la demande d’égalité sociale, réelle … LKP) et la tentation de l’indépendance (comme dans les années 80) qui leur permettrait de trouver un développement local, régional… Deux réponses à une même question : Quelle est notre identité ? Quelle est notre culture ?
Il est curieux de noter combien le discours du Président de la République ce week-end est une promesse de « perfusion permanente ». Une litanie de promesses sans contrepartie : « oui à la défiscalisation », « oui au cyclotron », … Quelques vieux sages des Antilles doivent se retourner dans leur tombe en se disant : « tout ça pour ça ! ». On ne parle plus d’indépendance, de négritude ou de créolité, d’identité … On ne parle pas des Antilles …On parle de pouvoir d’achat et de compensations de la part de la République pour atteindre une « égalité » qui n’a aucun sens ! L’égalité est une notion relative, relative notamment au cadre de vie, à l’environnement proche…
Et puis à aucun moment le Président n’a demandé de contreparties : Aux dirigeants politiques de la Guadeloupe il aurait pu demander de créer une communauté territoriale unique en fusionnant le Département et la Région comme l’a fait la Martinique, ou de renoncer à l’octroi de mer ! Dans un Pays qui cherche des économies, disposer d’une Région constituée d’un seul département est pour le moins curieux et anachronique ! Aux fonctionnaires il aurait pu proposer l’alignement des salaires sur ceux de la métropole. Aux contribuables il aurait pu proposer la fin de l’exonération partielle (*)… Aux entrepreneurs il aurait pu annoncer la fin de la « TVA non-perçue-récupérable » (la TVA qu’on ne paye pas mais que l’Etat rembourse !).
« L’égalité réelle » dont il parlait, finalement, c’était peut-être tout cela …
Le système Français tel qu’il est, mis en place dans les départements français des Antilles ne résoudra pas les problèmes des habitants de la Dominique, de Saint Lucie, de Saint Domingue, d’Haïti, qui les regardent avec envie… Quand ils ne viennent pas travailler « au noir » sur l’île sœur, pendant que certains de leurs employeurs « profitent du système ». « Un RSA permet de payer 2 jobber Haïtiens » témoignait un habitant de Capesterre-Belle-Eau …
Où aller ensemble aujourd’hui ?
Il me semble qu’une voie est à explorer est celle d’un « communauté économique caribéenne », construite à l’image de la communauté économique européenne. Je pèse mes mots : « à l’image » et non « sur le modèle ». Car aux Antilles, tout est à inventer.
Cette communauté pourrait être soutenue par l’Europe dont un certain nombre de pays a des attaches aux Antilles. La France avec la Guadeloupe, la Martinique, Haïti, …, l’Angleterre avec la Dominique, Ste Lucie, … L’Espagne avec Montserrat, La Hollande avec Saint-Martin, Aruba … Ainsi, l’Europe au lieu d’aider telle ou telle île, avec le risque d’accroître les inégalités entre des îles qui sont distantes de quelques dizaines de minutes en bateau, pourrait aider à la construction de cette communauté autour d’objectifs communs.
Cette communauté pourrait profiter de cette nouvelle page qui se tourne avec la fin du Castrisme, la fin de l’embargo des Etats-Unis sur Cuba et pourrait être tirée par Cuba et Saint-Domingue… Le tourisme pourrait être sa première ressource. Le Créole sa langue et sa culture.
Le développement des relations entre les îles permettrait de replacer le barycentre culturel de ces peuples au milieu d’eux et non à 7000 kms…
Certains me diront que c’est une utopie … Mais « La sagesse suprême est d’avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre du regard tandis qu’on les poursuit » (William Faulkner)
Le Monde change !
Lire aussi sur ce blog :
- Guadeloupe : le combat pour la dépendance !
- « Péyi-a sé ta nou, sé pa ta yo ! » (« Ce pays est à nous, pas à eux! »), clamaient-ils en février 2009 … »(Rafaël Confiant)
(*)En vertu de l’article 197 du code général des impôts (CGI), les redevables résidant en Guadeloupe, Martinique et La Réunion, bénéficient d’une réduction de 30% plafonnée à 5 100 euros du montant de l’impôt sur les revenus. L’abattement est fixé à 40% avec un plafond de 6 700 euros pour la Guyane.