Dans nos communes rurales, la rénovation de l’immobilier de centre bourg tient surtout à la volonté des investisseurs privés. Le plus souvent des particuliers ou des artisans, qui achètent et rénovent pour la location. Pour qu’ils puissent le faire -1- il faut leur assurer une rentabilité sur 20 ans d’où le besoin des aides à la pierre, -2- il faut leur permettre d’avoir accès aux Crédits.
Nos zones rurales ont été exclues des aides à la pierre par François Hollande et Emmanuel Macron qui ont notamment successivement supprimé les dispositifs Pinel puis Borloo, au motif que le marché du logement n’y était pas « tendu », avant de réinventer un nouveau dispositif qui s’en approche il y a quelques mois …
La crise sanitaire aidant, des zones inéligibles aux aides à la pierre le sont de nouveau. Le nouvel intérêt des urbains pour créer une seconde résidence principale dans nos zones rurales, y est sans doute pour quelque chose.
Mais du côté de l’accès au crédit, les choses se compliquent…
On accable souvent les établissements bancaires qui « rechignent à accorder des crédits » …C’est en fait l’Etat qui freine des quatre fers ! En effet, depuis janvier 2022, les préconisations du Haut conseil de stabilité financières (HCSF) en matière de prêts immobiliers sont devenues obligatoires pour les banques et pour leurs clients.
« Ces règles consistent en un taux d’effort, c’est-à-dire le montant total des dépenses liées à l’habitation rapporté aux revenus, de 35% maximum, une durée d’endettement de 27 ans au plus dans certains cas et la possibilité de déroger à ces critères pour 20% des crédits ».
Ces préconisations ne dérangeaient personnes tant qu’il s’agissait de préconisations. Cela faisait partie, d’une manière générale, des règles d’usage pour les banques dont on rappelle que leur métier est de louer de l’argent et que cette activité ne fonctionne que si l’argent ainsi loué est remboursé (capital) et le loyer sur l’argent (intérêts) est payé !
Sans doute ces préconisations avaient-elles été formulées pour les nouveaux opérateurs, notamment les banques en ligne, afin qu’ils fassent leurs, les règles déjà couramment admises dans la profession.
Le HCSF espérait dans un communiqué de presse diffusé en septembre 2021 « ancrer dans la durée » ces règles du jeu, pour assurer « un accès large et maîtrisé au crédit immobilier ».
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), gendarme du secteur financier, serait chargée de veiller au respect de ces conditions.
Le Haut conseil considérait que ses dernières recommandations avaient eu un effet positif sur le marché, interrompant la « dérive » des conditions d’octroi et assurant une meilleure protection des ménages … Soit. Les règles d’usage n’empêchaient pas chaque établissement d’apprécier au cas par cas.
Depuis le 1er janvier, les préconisations d’usage sont devenues des règles intangibles.
La façon dont l’administration française met sous tutelle les professionnels, dans tous les secteurs, est de plus en plus prégnante. Pour empêcher des abus observés ici où là, au lieu d’exercer son devoir de police, l’Etat préfère infliger des règles et des contraintes à toute une profession et brider le système.
Ainsi, aujourd’hui, un particulier qui souhaite investir dans l’immobilier locatif doit-il se plier aux préconisations devenues règles immuables du HCSF conçues pour protéger les ménages du surendettement à l’occasion de l’acquisition de leur résidence principale.
Le souhait du HCSF d’« un accès large et maîtrisé au crédit immobilier » produit exactement le contraire ! Un ménage qui souhaite acquérir un bien immobilier avec l’objectif de le louer devra se plier aux mêmes règles à savoir « un montant total des dépenses liées à l’habitation rapporté aux revenus, de 35% maximum ».
Sauf à être déjà propriétaire de sa résidence principale, autant dire que c’est impossible dans 80% des cas. Or la banque ne peut déroger à ces critères que « pour 20% des crédits » (16% pour les primo-accédants, et 4% sur pour les autres dossiers). 60% des porteurs de projets sont donc exclus de l’accès au crédit !
Chacun sait que l’immobilier est justement l’investissement des ménages qui ont peu de revenu et le plus souvent peu d’épargne. Se priver de l’investissement des particuliers dans l’immobilier est juste contre-productif dans une France qui a, plus que jamais, besoin de construire, de rénover, d’isoler, de conventionner, pour mettre à disposition des logements dans le parc locatif.
D’un côté on encourage à l’investissement, et de l’autre, on le bride.
Dans les zones rurales, les grands investisseurs ne viennent pas racheter des maisons de centre bourg pour les rénover. Sans l’investissement des particuliers, ces maisons tombent en ruine. Mobiliser l’investissement des particuliers est même la mission partagée de l’ADEME[1] (transition énergétique), de l’ANAH[2] (aménagement de l’habitat), des Régions et des Départements, les communes, avec les différents dispositifs « d’aide à la pierre » (subventions, dispositifs fiscaux, …). D’un côté on affiche une volonté de rénover les centre-bourgs et de l’autre, on restreint l’accès au crédit pour les investisseurs potentiels.
Une fois encore, avec sa bureaucratie, ses « autorités », ses « agences », ses « haut-conseil », notre Nation produit tout et son contraire !
Mais comme chacun sait, lorsqu’une règle est édictée en France, on établit « en même temps » le chemin pour la contourner.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, on préconise aux particuliers qui ont acheté un bien pour le rénover de créer, d’une part, une SCI (Société Civile Immobilière) et de lui transférer le bien en question, il en coutera un acte notarié et des Droits de mutation à titre onéreux (DMTO) qui alourdiront d’autant le projet, et de créer, d’autre part, une SCI « holding » qui détiendra 20% des parts de la SCI propriétaire … Ce montage qui ne change rien au niveau du risque et de l’endettement permet juste de passer de la catégorie « particulier » à la catégorie « professionnel » et de s’affranchir de la sorte des critères contraignant du HCSF !
Il n’en faudra pas pour autant oublier de rembourser son crédit ! Cela ne changera rien au projet, si ce n’est la création de deux sociétés ! Ainsi va la France où « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » comme l’écrivait Montesquieu.
Alors qu’une méthode simple serait de laisser les banques faire leur métier à savoir louer de l’argent à des investisseurs en capacité de le rendre à l’issue ou au cours de leur projet et d’en payer le loyer ! Et sanctionner, particuliers ou établissements bancaires, qui abusent du système. D’autant que l’Etat joue déjà son juste rôle de régulateur et de protection des citoyens via la Banque de France qui anime les commissions de surendettement[3].
Non, la France a un rang à tenir ! Montaigne prétendait déjà que « Nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait pour régler le monde ».
Les Chinois, eux, depuis la nuit des temps, nomme la France 法國 (fà guó) le Pays de la Loi …
Alors continuons d’emmerder les Français !
[1] ADEME Agence de la transition écologique
[2] Agence Nationale d’Amélioration de l’Habitat
[3] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F134
Excellente réflexion. J’y ajouterais que notre état dévorant, obèse et croissant, avec quelque 60 % du PIB qui est de la puissance publique, rappelle beaucoup les régimes totalitaires, dont la devise pourrait-être « Tout par l’état, tout pour l’état ».