Discussion : « L’agriculture est-elle délocalisable ? »

Un article paru dans LE MONDE avec le titre « l’agriculture, comme les autres secteurs est tout à fait délocalisable » a interpellé Patrice, un ami, qui m’a lui-même interpellé ! Voici nos échanges.

Bonjour Yves,

J’aimerais avoir l’avis de personnes plus compétentes que moi sur cet article. Pour ma part j’aurais tendance à penser que les productions agricoles, animales et végétales, sont différentes selon les régions parce que les sols et les sous-sols sont différents.

Par exemple, même si un vin californien peut être bon ce ne sera jamais la même chose qu’un Bordeaux ou un Bourgogne.

Je ne vois donc pas très bien comment il est possible de délocaliser l’agriculture comme le prétend l’article.

Merci de votre aide car j’ai peut-être raté quelque chose …

Amitiés
Patrice
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Bonjour Patrice,

On dit souvent que « l’agriculture n’est pas dé localisable » … La vérité est tout autre. Les sols, les terroirs, ne sont pas « délocalisables » , c’est vrai, mais les productions le sont. C’est pour cette raison que nous nous battons en Europe pour défendre la notion de « terroir » et d’AOC, ainsi que la notion de « Château » en viticulture.

Il y a quelques années, les viticulteurs du monde entier se sont mis à cultiver des cépages français et le nom de cépage remplaçait le nom du terroir… Sur le marché du MERLOT, la France n’est pas compétitive. Le MERLOT d’Espagne a supplanté nos vins de table. « MERLOT » est écrit en gros et « Espagne » en tout petit … Comme de nombreux consommateurs confondent le « cépage » et « l’origine », le tour est joué !

Il n’empêche que, si les terroirs ne sont pas dé localisables, les productions le sont.

La chine a planté en 15 ans un vignoble qui représente 5 fois le vignoble Bordelais. Les terres noires d’Ukraine produisent des céréales en quantité. La Russie, suite à l’embargo, s’est organisée pour produire du porc, des fruits et légumes, et a installé les industries de transformation et les filières de commercialisation… Même avec la levée de l’embargo, la France ne retrouvera jamais les marchés perdus.

La géopolitique est plus forte que l’origine, ainsi, le Danemark a cessé de boire du vin Français le jour où la France de Jacques Chirac a repris les essais nucléaires … La filière Ovine Française a payé très cher le désastre diplomatique du Rainbow Warrior … En gage d’excuses ou de « dommages diplomatiques », la France achète depuis les moutons Néo-Zélandais via le Royaume Unis… Un accord « secret » auquel le Brexit devrait mettre fin.

Il y a encore des terres disponibles !

De nombreuses terres arables en Afrique n’accueillent rien pour le moment à cause du problème de l’accès au foncier (droit coutumier et droit rural), mais un jour, la réforme foncière aura lieu et de très nombreuses productions pourront y prendre place, notamment l’élevage.

Israël a fait la preuve qu’on pouvait produire dans le désert et est devenu un producteur mondial d’avocats…

Le Loir-et-Cher, en région Centre, est spécialisé dans la culture de l’igname, une culture tropicale… S’y trouve même la capitale européenne de l’igname, à Saint-Claude-de-Diray… Les exemples sont nombreux, un peu partout !

Quant à nos fleurs vendues « hors saison » chez nos fleuristes elles arrivent désormais du Kenya !

Il y a des exemples en sens inverse. Souvenons-nous qu’il y a longtemps, la Mésopotamie était le grenier du monde… Mais le changement climatique (déjà) a finalement eu raison de cet eldorado !

Si les terroirs ne sont pas dé localisables, curieusement, dans l’Europe de Schengen, la main d’œuvre l’est !

Ainsi, aujourd’hui, de nombreuses exploitations agricoles emploient des travailleurs détachés ou salariés d’entreprises d’Europe de l’Est ou du Sud. Les Français refusent de travailler dans l’agriculture, la restauration, le bâtiment, les métiers de bouche (150 000 emplois non pourvu à ce jour dont le plus grand nombre dans ces filières). Ces métiers sont « trop durs » et certains préfèrent encore être au chômage que d’aller travailler dans ces filières dont les salaires sont trop bas.

Pendant la campagne de FF j’étais porte-parole pour l’agriculture et le monde rural. J’ai visité de nombreuses exploitations. Dans l’une d’elle, productrice de fraises dans la vallée de la Garonne, j’ai demandé à l’agriculteur : « Quel est pour vous, le plus grand fléau ». Je m’attendais à un fléau climatique… Il m’a répondu : « Quand mes fraises sont mûres, de ne trouver personne pour les ramasser ». Cet agriculteur habite à quelques kilomètres seulement d’une ville de 4500 habitants dont 1200 habitants touchent le RSA… Faute de candidat localement il fait venir des équipes d’Espagne, de Roumanie, de Bulgarie pour ramasser ses fraises.

Voilà la situation aujourd’hui. Idem à LE SOLER où les agriculteurs présents à une réunion pour FF m’ont dit : « Attention, sans les travailleurs détachés, et avec la proximité de l’Espagne, nous, on est morts ».

Alors en effet, c’est un peu tiré par les cheveux, mais je pense que si les terroirs ne sont pas délocalisables, la main d’œuvre, elle, peut venir d’ailleurs…

Et puis la notion de terroir évolue vers la notion de substrat … On produit même du vin et des légumes « bio » sur les toits de Paris, sans terroir ! Voilà bien longtemps que nos tomates et nos fraises de grande consommation ne poussent plus dans la terre… Avec le temps et la science, même les plus grands terroirs seront « mis en équation » et pourront être « modélisés » puis « fabriqués ». Sans doute avez vous entendu parler de la « permaculture » ?

La mode du « sempling » appliqué à la gastronomie éloigne le consommateur des aliments de base (fruits, légumes, céréales, viandes), pour les emmener vers des « goûts » et des « arômes » qui pourront être édités à l’infini. Il nous faut donc pour défendre notre agriculture, défendre cet attachement au « terroir » et à « l’origine ».

Le programme de François Fillon pour l’économie et pour l’agriculture, répondait à toutes ces problématiques !

C’est pour cette raison que je suis un fervent défenseur de la TVA sociale, en priorité sur les produits forts employeurs de main d’œuvre (agriculture, bâtiment, restauration). Aujourd’hui, c’est tout le contraire qui est fait : ces filières ont la TVA la plus basse ! Cette TVA basse profite, en agriculture, aux produits d’importation qui bénéficient déjà d’une main d’œuvre à bas coût ! Ces métiers difficiles, faute de recrutement parmi les français sont des aspirateurs à travailleurs détachés.

La clause « Molière » adoptée en Pays de la Loire apporte une réponse sur l’effet mais pas sur la cause.

Il y a une urgence a les payer mieux et à baisser drastiquement les charges sociales et fiscales qui pèsent sur ces salaires, dans ces filières.

Les normes agro-environnementales sont plus fortes en France qu’en Europe, et plus forte en Europe que dans le Monde … Mais on continue à signer des traités de libre-échange autorisant l’importation de produits sans les normes imposées aux agriculteurs de France et d’Europe…

Si l’on augmente la pression des normes en France, et que les prix continuent à être compressés par la grande distribution, l’agriculture se transportera ailleurs …

On distribue en France 15% de l’aide sociale mondiale, et on a le record du taux de chômage parmi les pays développés… Il y a quelques choses qui ne tourne pas rond ! On décourage les travailleurs de travailler. Pendant ce temps, les paysans ne gagnent pas de quoi vivre sur leurs exploitations. Ils sont la cible des écolos bobos qui poussent dans nos villes et investissent les administrations et les médias pour gouverner les campagnes…

Un jour, nos paysans vont aller exercer leur savoir-faire ailleurs… Nos jeunes diplômés agricoles sont très recherchés dans le monde entier. On encourage la délocalisation de l’agriculture comme on l’a fait il y a 20 ans avec l’industrie. La nation pense que l’agriculture n’est pas « dé localisable » et qu’on peut donc lui imposer de multiples contraintes et toutes sortes de normes qu’elle n’aura d’autre choix que d’obtempérer !

Dernier exemple en date le Glyphosate : autorisé dans le monde il permettra aux agriculteurs qui bénéficient des accords (CETA, TAFTA, MERCOSUR …) de continuer à l’utiliser et d’exporter en Europe, autorisé en Europe pour 5 années encore et en France pour 3 seulement, il donnera un avantage concurrentiel à nos voisins (Allemagne, Espagne, Italie …) pendant 2 ans !

Voilà cher Patrice quelques réflexions au bout de mon crayon pour répondre à ton interpellation !

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