Ecologie : « Hiérarchisons les priorités sur des critères scientifiques » David Lisnard

« David Lisnard se définit comme un écologiste de bon sens et responsable. Il croit aux solutions réalistes et déclinables sur le terrain, au nucléaire… et surtout en l’action, guidé par son expérience locale. » Retrouvez la grande interview de David Lisnard accordée au magazine Écologie 360. Propos recueillis par Pierre Doncieux

Comment un maire peut-il être efficace en matière de transition écologique?
La réponse à cette question nécessite un préalable qui, malheureusement, n’est pas assez. présent dans les débats environnementaux.C’est de quantifier les choses et de hiérarchiser les objectifs majeurs qui sont au nombre de trois : lutter contre la part anthropique du réchauffement climatique, agir pour la biodiversité, réduire les particules fines. Ce défi est planétaire et donc, par définition, il demande une mobilisation planétaire. C’est une question de science et d’investissement avant tout. Ce n’est pas suffisant mais nécessaire. L’action d’une mairie seule est dérisoire, l’addition des actions des mairies commence en revanche à compter. Il y a par ailleurs des objectifs locaux sur les écosystèmes qui ont beaucoup de sens. L’ensemble de ces initiatives devient alors une action globale, complémentaire de tout ce qui est entrepris au niveau national et international.

Les maires sont donc en première ligne ?
Oui, on le sent partout. Sans forcément le revendiquer. Beaucoup de maires sont des Monsieur Jourdain de l’écologie. Ils en font depuis leur plus jeune âge, de façon pragmatique, tout en étant agriculteur ou agent d’assurance, comme on en rencontre dans nos villages. Ils ont toujours lutté contre le gaspillage, fait de l’économie et de la sobriété. Ils sont convaincus de la nécessité d’avoir des espaces naturels, des capteurs de carbone qu’on appelle forêt ou océan. Ils ressentent un peu d’incompréhension voire de l’agacement à l’égard des leçons qu’ils reçoivent, alors qu’eux pratiquent cela de façon évidente. Il y a une grande mobilisation. Ce qui peut inciter à la démobilisation, ce sont les injonctions, les postures.

C’est-à-dire ?
L’écologie, c’est de la science, des faits, des chiffres. Le général de Gaulle a inventé le principe « pollueur-payeur», d’une modernité fantastique, en 1964 (ndlr, la France adopte une loi pour lutter contre la pollution des eaux, faisant payer aux entreprises les conséquences de leurs actes). Ce n’est pas une question morale mais d’investissement, d’organisation, de droit, d’information. Georges Pompidou, qui a nommé en janvier 1971 le premier ministre de l’Environnement, Robert Poujade, était particulièrement pertinent sur le sujet. Il lui avait adressé une lettre où il défendait une vision de l’écologie « de bon sens» : il lui demandait « d’apprendre aux Francais à respecter la nature, d’empêcher de couper les arbres, de protéger les paysages ».

L’écologie de bon sens, c’est votre approche ?
Oui, poser un diagnostic et mesurer l’efficacité des solutions avant d’entrer en action me parait sage. Cela favorise aussi l’acceptation sociale des mesures. Je mets par exemple au défi quiconque de me démontrer les effets réels de la lutte contre les passoires thermiques. Bien sur qu’il vaut mieux avoir des logements bien isolés, mais les bénéfices sont trop dérisoires pour qu’ils soient prioritaires sur d’autres investissements verts, et cela va par ailleurs amplifier gravement la crise du logement. L’adaptation énergétique, elle, est primordiale : avoir des sources d’énergie décarbonée et de bonnes chaudières. C’est là qu’il faut mettre le paquet. En revanche, les milliards que l’État s’apprête à investir dans l’isolation des bâtiments, ça parait évident mais, en fait, ce n’est pas du tout prouvé. Nous ne disposons d’aucune étude sérieuse. Actuellement, quelle part des émissions de gaz à effet de serre (GES) est réellement attribuable aux logements énergivores et, surtout, quels seront les effets concrets de ces interdictions sur la réduction de ces émissions ? Une étude allemande, menée par la fédération de sociétés immobilières GdW, a conclu en 2020 que malgré plus de 340 milliards d’euros investis dans la rénovation énergétique depuis 2010, la consommation d’énergie n’avait pas connu de changement significatif tandis qu’elle avait diminué de 31 % entre 1990 et 2010. La Prix Nobel d’économie Esther Duflo affirme de son côté, sur la base de l’évaluation d’un programme d’efficacité énergétique résidentiel mené sur 30 000 ménages dans l’État du Michigan que « ces politiques sont très coûteuses et ne donnent pas de résultats spectaculaires». Il faut décider et hiérarchiser les actions sur des critères scientifiques et objectivés.

Par quoi commenceriez-vous ?
Aujourd’hui, pour avoir une action déterminée et efficace contre la part humaine du réchauffement climatique, en l’état actuel de la science, il faudrait équiper le monde entier de centrales nucléaires. C’est-à-dire avoir une énergie décarbonée, pilotable, bon marché, continue. Selon le Giec, le nucléaire produit 12 grammes d’émissions de carbone par kilowattheure ; le charbon, c’est 820.

Mais il y a l’éolien, le solaire, d’autres énergies renouvelables ?
L’éolien artificialise les sols, lourdement. J’ai vu les emprises de béton. Le programme français d’installation d’éoliennes, prévu dans la loi de programmation énergétique, représente une bétonisation équivalente à plus de la moitié du mur de l’Atlantique. Pour produire 1650 mégawatts, une centrale nucléaire consomme 1 km2 de foncier et les éoliennes, 78 km2. Ces dernières ne doivent pas être imposées et restent une énergie intermittente. L’Allemagne nous montre ce qu’il ne faut pas faire en la matière…Il y a aussi l’hydroélectrique – la France est pionnière dans ce domaine -, sans oublier le solaire. Ces solutions ne peuvent pas, seules, répondre au défi colossal de l’électrification décarbonée. En 2018, lorsque la France décide de fermer 14 réacteurs nucléaires, elle produit annuellement 548 térawattheures d’énergie dont 71,7% sont issus du nucléaire, 12,5 % de l’hydroélectrique, 5,7 % des centrales à gaz, 5,1% de l’éolien, 1,9% du solaire, 1,1% du charbon. En 2035, nous aurons besoin de 640 térawattheures. L’éolien et les autres énergies renouvelables ne suffiront pas. La solution, pour l’instant, c’est le nucléaire. En revanche, je crois au foisonnement d’initiatives en région, reposant sur un mix énergétique pour compléter la production locale et soulager le système global. C’est la grande vertu de la subsidiarité.

Vous avez des exemples ?
En 2006, nous avons été la première collectivité à mettre en œuvre des microturbines de production électrique dans les canalisations d’eau potable, qui nous ont permis d’atteindre 60 % d’autoproduction énergétique sur le système eau, très consommateur d’énergie pour les pompes. Il faut investir dans la géothermie, la thalassothermie ; cinq projets ont été lancés.La thalassothermie utilise les frigories de la mer, l’été, pour rafraîchir les immeubles autour, les grands hôtels, les copropriétés… L’hiver, cela permet de chauffer les bâtiments. Nous avons organisé un appel à projets. Nous venons d’attribuer le marché : l’opérateur va totalement financer l’opération et se rémunérera sur la concession. À l’arrivée, 8 000 habitants seront chauffés grâce à ce système, cela ne coûte rien à la ville et nous décarbonons. Nous sommes aussi pionniers en matière de traitement de l’eau et de réutilisation des eaux usées.Mais vous n’imaginez pas à quel point la bureaucratie et le système des autorisations préalables pénalisent les investissements environnementaux locaux. Je vous donne un exemple. Nous développons, depuis cinq ans, le projet de création d’un centre de valorisation des déchets qui nous permettrait, en gros, de les transformer en ressources énergétiques et matière. C’est un véritable parcours du combattant : les administrations qui délivrent les autorisations ne sont pas d’accord entre elles, la Région ne joue pas le jeu, la bureaucratie ralentit le mouvement. Nous aurions pu mettre cela en place en deux ans. Nous avons quadruplé ce temps, et ce n’est même pas fini.

À quelle famille écologique appartenez-vous ? Les clinatospitees, les solutionnistes ou les alarmistes ?
Il en manque une quatrième à laquelle, effectivement, j’appartiens : les réalistes et les « responsabilistes ». C’est par la croissance qu’on réglera les problèmes écologiques. Quel esprit étroit, de penser que la croissance, c’est forcément une pollution !Prenez l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis: cette loi prévoit de consacrer près de 370 milliards de dollars (environ 350 milliards d’euros) de crédits d’impôt et de subventions à la production d’énergie verte, en ciblant particulièrement les véhicules électriques, les panneaux solaires et les batteries. 40 milliards de dollars de crédits d’impôt (environ 37 milliards d’euros) sont également prévus pour promouvoir le captage du carbone, l’hydrogène propre et l’investissement dans les technologies énergétiques vertes. L’objectif annoncé est de réduire de 40% les émissions de GES.

Comment une ville peut-elle financer efficacement sa transition écologique ?
Je rêverais de rendre des comptes sur les impôts que je lève. Mais nous n’avons plus d’impôts en dehors du foncier. L’Institut de l’économie pour le climat I4CE estime que les collectivités françaises devraient réaliser au moins 12 milliards d’euros d’investissement chaque année de 2021 à 2030 pour répondre à la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Aujourd’hui, les collectivités investissent environ 6 milliards d’euros par an. En dix ans, il faut donc le double. Beaucoup de solutions viennent des partenariats public privé. Nous avons créé, il y a six mois, une « Force locale décarbonée » qui réunit des élus de l’agglomération, des chefs d’entreprise motivés, des bailleurs, les grandes copropriétés pour travailler à des solutions ensemble et trouver des investissements communs. Prenez la géothermie : elle peut être financée par le privé qui va ensuite se rémunérer sur la vente d’énergie. L’argent public n’est pas la seule solution.

Il faudrait créer un impôt dédié aux investissements verts ?
Non, il ya trop d’impôts en France. Il faudra plutôt une transition fiscale et parallèlement agir en amont sur les entreprises. Mettre des normes claires de décarbonation, et qu’ensuite l’État intervienne comme puissance de police, ce qui est sa vocation, et sanctionne les pollueurs. On revient à l’esprit de la loi sur l’eau de 1964 : pollueurs-payeurs. Les acteurs économiques ne se verraient pas imposer les modalités de la décarbonation mais devraient choisir leurs moyens pour respecter les objectifs et les règles en la matière. Cela s’inscrirait dans une logique – la plus efficace – de subsidiarité. Les dispositions environnementales doivent relever de l’ordre public afin que l’État soit présent pour sanctionner ceux qui ne les respectent pas, en laissant un temps d’adaptation, bien sûr, et en veillant à une réciprocité internationale pour ne pas créer de distorsion de commerce. Il faut donner des objectifs simples, puissants, quantifiés, en faire des normes internationales. Cela nécessite des moyens. Nous devons parvenir à créer un vrai plan d’investissement vert à l’échelle européenne. Je plaide pour la création d’un organisme comparable à la Défense Advanced Research Projects Agency (Darpa) américaine, dédiée à la transition énergétique, qui réunit dans un projet la recherche fondamentale, la recherche appliquée puis le processus industriel.Il faut aussi naturellement que la coopération se développe en France. Exemple : l’Association des maires de France pourrait, avec les bailleurs sociaux et Action Logement, plancher sur une sorte de vade-mecum pour élaborer des contrats de transition énergétique. Créons des circuits vertueux : des contrats de transition entre l’État et les collectivités, les collectivités et les particuliers. Cela donnerait une espérance écologique fondée sur des éléments quantifiés, évaluables, dans la droite ligne d’une économie écologique de marché.Un principe que l’on retrouve dans l’ordolibéralisme de Wilhelm Röpke, qui prône la liberté d’entreprendre et l’absence d’intervention de l’État dans le fonctionnement du marché. Cet économiste allemand, installé en Suisse dans les années 1940, considérait que la science économique ne saurait être seulement quantitative mais doit être complétée par les « externalités », les effets négatifs ou positifs qu’elle engendre sur les gens. Il attachait beaucoup d’importance à l’amour, à l’amitié, au sentiment esthétique, au respect de la nature. Ses positions seraient qualifiées aujourd’hui d’écologistes.

Les solutions relèvent avant tout du comportement des gens?
Oui. Et de l’action des entreprises. Les deux doivent être liés. Il faut que les entreprises gagnent de l’argent sur la dépollution. En facilitant par exemple l’identification des produits décarbonés sur des étiquettes, comme le propose l’entrepreneur Guillaume Poitrinal. Décliner le principe du Nutri-score pour tous les produits me semble aussi nécessaire. La conscience écologique doit se nourrir de réalisme, et non de moraline comme lorsqu’on condamne par principe l’automobile. Il n’y a que les gens n’ayant pas d’enfants ou alors avec les trois dans la même école près de chez eux qui pensent qu’on peut seulement les y conduire à vélo-cargo.

La sobriété a pourtant du bon !
En effet, et la surconsommation pose d’ailleurs la question du vide spirituel. Cette surconsommation est souvent exaspérante. Si je suis pour la sobriété. cela reste un choix individuel. La protection de l’environnement crée une approche un peu tyrannique, justifiée par une injonction mystique à « sauver la planète ». Et on en arrive même à aller à l’encontre de ce qui relève de l’intime, du respect de la vie privée. Attention à une dérive liberticide et de surveillance des comportements au nom d’un mode de vie jugé moralement écologique. Restons au niveau du droit. Faisons en sorte que la formidable force créative du capitalisme soit au service de l’environnement. Cela passe par des pouvoirs publics très déterminés pour édicter des normes à atteindre, forts pour sanctionner, mais qui n’entravent pas les initiatives. Ainsi que par une capacité diplomatique puissante afin que tout cela devienne une réalité internationale et que le respect des règles environnementales et la performance dans la décarbonations soient des avantages compétitifs. Le capitalisme a plutôt produit du confort jusqu’à maintenant. Aujourd’hui, il peut procurer en plus un bien-être environnemental, global. Une grande partie des solutions et progrès viendront des entreprises. Le devoir du politique est de donner le bon cadre.

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