Observateur et acteur de la vie rurale, Yves d’Amécourt est père de famille, vigneron, ancien élu de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine*, porte-parole national du Mouvement de la ruralité (ex Chasse, pêche, nature et traditions, CPNT). Durant l’été, période propice pour s’intéresser à nos campagnes, il nous donne son éclairage sur l’actualité paysanne.
Gabrielle Cluzel : Yves d’Amécourt, qu’a pensé le rural que vous êtes de la sortie de notre président de la République, prophétisant la fin de « l’insouciance et de l’abondance » ?
Yves d’Amécourt : Je me suis dit qu’il commençait une critique de sa propre politique depuis 2017 ! L’insouciance et l’abondance résument assez bien ce qui se passe en France depuis son élection : la dette a augmenté de 474 milliards d’euros, les impôts de 15,3 milliards, les dépenses publiques de 189 milliards.
L’Europe a fait tourner la planche à billets. L’argent était « gratuit ». Un ministre expliquait en séance budgétaire qu’« avec les taux négatifs, l’emprunt créait des recettes nouvelles » ! On a même entendu Bercy expliquer doctement : « Ce sont les taux négatifs qui vont nous permette de financer les mesures « gilets jaunes » ! » Oui. C’était l’abondance.
C’était aussi l’insouciance et Emmanuel Macron a laissé filer les dépenses de l’État. Il fallait « penser printemps » ! Les grandes réformes annoncées ont été retardées, tronquées, déshabillées. Contrairement aux engagements, les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 87.000 postes entre 2017 et 2019, loin de l’objectif de baisse de 120.000 agents publics d’ici 2022. Mais cette augmentation du personnel ne s’est pas accompagnée d’une amélioration du service public qui, au contraire, n’a cessé de se dégrader !
La vérité c’est qu’on a augmenté la bureaucratie bien plus que le service public ! On a fermé des lits dans les hôpitaux, fermé des gendarmeries, fermé des classes, fermé des trésoreries … et ouvert des bureaux ! De nouveaux bureaux, il y en a pléthore. Les fonctions publiques, les entreprises et les citoyens croulent sous la paperasse ! C’était l’insouciance et Emmanuel Macron a abandonné nos souverainetés : l’énergie et l’alimentation, sur l’autel de l’écologie politique, l’industrie et la défense sur celui d’une mondialisation heureuse…
G. C. : Puisqu’on parle de sobriété, voire de sobriété forcée, le mouvement de la ruralité vient d’interpeller le maire de Grenoble Éric Piolle à propos des repas végétariens prévus, à la rentrée, dans les cantines scolaires. Pourquoi vous y opposez-vous ?
Y. A. : Oui, le 27 juin dernier, la municipalité écolo de Grenoble a voté la création d’un nouveau menu 100 % végétarien quotidien dans toutes les cantines scolaires à partir de la rentrée de septembre 2022. Il nomme ce menu le menu « vert ». C’est Odile Gitton, présidente du Mouvement de la ruralité en Isère, qui a tiré le signal d’alarme. Elle rappelle dans son communiqué que « les humains sont omnivores et que la sous-consommation de viande est dangereuse pour la santé ». De ce fait, ni la viande ni le poisson ne sont des « options », notamment pendant la période de croissance des enfants qui ne tolère aucune carence. Le restaurant scolaire est aussi un lieu d’éducation des enfants.
Le discours qui accompagne cette décision est le suivant : « Le climat nous oblige : 40 degrés début juin, des catastrophes naturelles à la chaîne, les cours d’eau à sec. » Mettez-vous à la place d’un enfant face aux trois menus proposés : le menu « vert » (celui qui va sauver la planète), le menu « bleu » (avec du poisson) et le menu « rouge » (avec de la viande) ! Lourde responsabilité pour nos bambins ! Et l’on s’étonnera ensuite que le dérèglement climatique s’invite chez les pédopsychiatres.
Dans le tweet qui accompagne cette annonce, Éric Piolle écrit trois mots clefs : « condition animale, santé, écologie ». Je serais très curieux de faire le bilan « écologique » complet de chacun des menus proposés. L’élevage est aussi source de biodiversité. Les pâturages captent et stockent le carbone, ils protègent les sols de l’érosion et participent à l’équilibre des milieux. Là où disparaissent les pâturages disparaissent les insectes et, par conséquent, des oiseaux, des chauves-souris, etc. Qui plus est, l’Isère est un département exemplaire où les systèmes herbagers en plein air et semi plein-air se multiplient. L’abattoir de Grenoble, au Fontanil, travaille énormément sur la question du bien-être animal et la gestion du stress des animaux. Le message envoyé par la mairie de Grenoble n’est pas respectueux du travail des professionnels du département.
G. C. : « Désert administratif », « réseau à la ramasse » : vous avez relayé sur les réseaux sociaux deux enquêtes du magazine Valeurs actuelles détaillant ces maux qui frappent encore et encore la ruralité. On pouvait penser que l’engouement pour la campagne et le télétravail engendrés par la crise sanitaire allaient y mettre un terme…
Y. A. : La première fois que la trésorerie de Sauveterre-de-Guyenne menaçait de fermer, en 2008, nous avions reçu dans la mairie, avec l’ensemble des maires de son ressort, Monsieur le Trésorier payeur général (TPG). Il nous avait expliqué que Paris lui demandait de supprimer des postes, qu’il avait regardé la carte des trésoreries de la Gironde, que nous avions la plus petite (quatre agents) et que, en conséquence on commencerait par nous !
Nous lui avions répondu que c’était un service de proximité pour les élus du territoire et pour les contribuables et qu’il serait certainement plus simple de supprimer 4 postes sur les 150 que comptait la trésorerie générale à Bordeaux. Un maire lui avait demandé s’il ne serait pas plus simple de commencer par supprimer son chauffeur qui attendait dehors pendant que nous débattions… Bref, la discussion était animée. En sortant, le TPG m’avait confié : « Sur le fond, vous avez raison. Il serait certainement possible, avec quelques optimisations, de supprimer quatre postes dans les bureaux de Bordeaux. Mais, socialement, c’est plus simple pour moi de fermer Sauveterre-de-Guyenne ! » Nous avons obtenu un léger sursis, puis notre trésorerie a fermé.
Lorsque je suis arrivé à Sauveterre-de-Guyenne en 1998, nous avions encore une antenne de la « DDE[1] ». C’est là qu’étaient instruits les permis de construire du canton déposés dans les mairies, avec toujours une visite sur le terrain. Les maires y disposaient d’un interlocuteur privilégié qui était un « directeur technique » mutualisé, son action étaient régie par une convention nommée ATESAT[2]. Puis la DDE est partie à La Réole. Elle a ensuite été transférée au département qui l’a installée dans la sous-préfecture à Langon. L’instruction des permis de construire a été ensuite transférée au bloc communal, qui l’a lui-même confiée au « pays ». Ont été créés des schémas directeurs : PLU, PLUI, SCOT, SRADDET… L’ATESAT a disparu. Désormais, les permis de construire sont instruits sur dossier et les anciens ingénieurs de la DDE ont créé des cabinets de conseil qui vendent leurs prestations techniques aux communes.
En 2000, l’hôpital de La Réole a fermé. Mon épouse a été l’une des dernières à y mettre au monde un enfant. En 2015, c’est le canton, espace de travail et de dialogue, qui a disparu. Maintenant, ce sont les gendarmeries qui ferment. Tout cela a-t-il amélioré la qualité du service public ? La réponse est clairement « non ». Des économies budgétaires ont-elles été réalisées à cette occasion ? Non plus ! Avons-nous moins de fonctionnaires ? Non !
La France n’a jamais eu autant de fonction publique qu’aujourd’hui et aussi peu de service public ! Les premiers à en pâtir, dans tous les domaines, sont les territoires ruraux. Nous pensions que la crise des gilets jaunes réveillerait les consciences, que ce sujet serait au cœur de l’élection présidentielle… Que nenni !
Il faut aujourd’hui supprimer de la bureaucratie partout et réaffecter les personnels vers les services publics, cela, dans toutes les administrations et sur tout le territoire. On estime le poids de la bureaucratie à 8 % des effectifs de la fonction publique, soit environ 450.000 fonctionnaires. Il faut le faire maintenant car, vous avez raison, je pense sincèrement que le mouvement d’un exode urbain est à son commencement !
En juillet 2020, nous avions publié avec Jean-Christophe Fromantin et quelques autres une tribune dans Le Figaro qui appelait à rompre avec le modèle de la métropolisation pour s’intéresser à l’équipement des villes moyennes. C’était avant la crise du Covid ! Nous étions visionnaires !
Lire l’entretien sur Boulevard Voltaire
[1] Direction départementale de l’équipement
[2] L’Assistance technique fournie par les services de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire
* 2004-2021 : conseiller général, maire, président de communauté de communes, conseiller régional