Cette semaine, les commissions « Europe » et « Territoires ruraux » de l’AMF ont auditionné Thibaut Guignard le Président de « Leader France » et Alexandra Catalao, Responsable de programmes à la commission européenne.
Alors que près de 700 millions d’euros de fonds européens ont été versés à la France pour promouvoir le développement rural il y a cinq ans –programme LEADER- seuls 28 millions ont été dépensés dans les régions depuis le début du programme.
Le reste de l’enveloppe pourrait être rendu à Bruxelles.
Achat de matériel pour les agriculteurs, renforcement et création de filières locales d’approvisionnement, développement rural, valorisation des produits du territoire, présence des services et développement de l’emploi… Les aides européennes représentent une source de financement importante pour l’émergence d’initiatives locales rurales dans les régions françaises.
Des dossiers pensés, réfléchis, validés à trois niveaux : le département, la région, l’union européenne et gérés par des « GAL » groupes d’action locaux constitués d’élus et de représentants de la société civile.
Les bénéficiaires de ces fonds sont des entreprises, des communes rurales ou des associations. Le plus souvent les fonds leader sont complétés par d’autres fonds en provenance de l’Etat (FISAC, DETR, OCM …), des départements et des Régions.
Des projets validés, réalisés, mais toujours en attente de subvention.
Pour certains d’entre eux, 5000 dossiers au total, les subventions ont été accordées. Aujourd’hui ils les attendent toujours ! Certains ont la capacité d’attendre, d’autres font des prêts de trésorerie … Les taux d’intérêt sont bas mais ça génère des intérêts et des frais de dossier.
Le plus souvent ce sont des entreprises locales qui travaillent sur ces projets et qui, du coup, sont mises en péril.
L’aide devient un poids et le fond LEADER produit le contraire de ce pourquoi il a été créé !
Le plus souvent on accable l’Europe alors que la France est totalement responsable !
C’est un dysfonctionnement 100% français ! La responsabilité incombe à l’État et aux Régions.
Jusqu’en 2014 c’est l’État qui gérait les fonds « Leader », c’était complexe, plus complexe que dans la plupart des autres pays européens, mais, au final, ça fonctionnait.
Mais à la demande insistante des Régions de France, notamment de leur Président Alain Rousset, et pour faire passer la pilule de la très contestée loi NOTRE, cette année-là, le 1er Ministre Manuel Valls a confié la gestion des dossiers LEADER aux régions.
Les services de l’Etat, furieux de cette décision, ont imposé aux Régions l’usage du logiciel OSIRIS de traitement des dossiers LEADER, sans leur donné la notice d’utilisation. Si bien qu’il n’a pas fonctionné jusqu’à l’année dernière !
Par ailleurs, comme souvent dans les opérations de décentralisation à la française, l’Etat a gardé l’autorité de déclenchement des paiements, ce qui a rajouté une étape supplémentaire au processus !
Ainsi, aujourd’hui, 5.000 porteurs de projets attendent l’argent qu’on leur a promis ! 8000 dossiers sont en attente d’instruction ! 4% de l’enveloppe initiale a fait l’objet d’un paiement, et 13% des sommes sont engagées ! La France qui est dans la moyenne de consommation sur les autres programmes européens, est avant dernière en Europe sur l’usage de ce programme LEADER, juste devant la Slovaquie … Ce qui fait dire au Président de Leader France : « Il faut que j’aille voir les Slovaques pour savoir comment ils font pour être moins bons que la France » !
Interrogé à ce sujet le Commissaire Européen Phil Ogan a accordé à la France 3 ans supplémentaires pour consommer l’enveloppe ! Donc, si cela n’est pas fait d’ici fin 2023, 700 millions d’euros seront perdus, renvoyés à l’Union européenne…
Thibaut Guignard, le président de Leader France doute pour sa part que l’on ait pu rattraper notre retard d’ici 2023 : « C’est terrible ! Depuis 2014 on nous a dit : ‘Ne vous inquiétez pas, on va mettre les outils en place, vous allez voir ce que vous allez voir.’ Mais on n’a rien vu ! Les régions et le gouvernement n’ont pas pris la mesure du risque de crash généralisé du programme. Aujourd’hui on demande à rencontrer les ministres, que les choses se débloquent. On ne va quand même pas renvoyer 700 millions d’euros à Bruxelles ! »
Pour éviter la catastrophe, les régions assurent qu’elles mettent le paquet. La région Pays de la Loire a embauché 12 personnes rien que pour ça. La Nouvelle Aquitaine, de son côté, en a engagé 31. En tout cas, il y a réellement urgence.
A la question « toutes les Régions sont-elles dans la même situation ? », Thibaut Guignard répond : « Oui, les paiements, les engagements, les files d’attente sont les même dans toutes les Régions de France ».
A la question « Cela est-il dû à la fusion des Régions ? », Thibaut Guignard répond : « J’aimerais le croire mais dans ma Région Bretagne qui n’a pas fusionner, le retard est le même qu’ailleurs ! »
Lorsque je demande en commission pourquoi l’Etat impose un logiciel pour gérer si peu de dossier qui sont dores et déjà instruits par les territoires (c’est le rôle des G.A.L), et pourquoi l’Etat se réserve le déclenchement des paiements, là, on ne m’apporte pas de réponse … Ainsi va la France, qui d’un coté à grand renfort de média annonce sa volonté de gagner des points de croissance, et sur le terrain l’empêche avec la mise en place d’une administration tatillonne et dans ce cas précis injustifiée !
Ironie du sort, c’est la France, dans les années 90 qui avait inspiré à l’Europe ce programme LEADER !
Pendant ce temps, le Danemark ou la Roumanie ont dépensé toute leur enveloppe et demandent même une rallonge à Bruxelles ! Une rallonge qui pourrait bien être financée par l’argent non dépensée par la France !
(*) Leader France est la fédération des GAL (Groupes d’Action Locale) qui ont en charge sur chaque territoire.