La viticulture a besoin d’assurer son avenir et la France a besoin d’assurer du P.I.B

Pour les viticulteurs bordelais, l’année 2013 restera marquée par les violents orages de grêle de juillet, qui ont détruit une partie de la récolte, notamment dans l’Entre-Deux-Mers et le Libournais. Sur une zone de 22000 hectares certains ont tout perdu, et des entreprises ne s’en relèveront pas.

Un autre fléau est venu s’ajouter aux orages de grêles : celui de l’excès d’eau qui provoque la coulure et le millerandage. Ce disfonctionnement physiologique, courant pour la vigne, est particulièrement marqué cette année du fait d’une climatologie exceptionnelle, tant d’un point de vue de la pluviométrie en juin que des températures moyennes.

exces_d_eau_2013.jpg Nous avons eu le printemps le plus froid depuis 25 ans et le plus humide depuis 50 ans ! Cette climatologie exceptionnelle a provoqué des blocages de minéralisation, des asphyxies racinaires et des déficits d’assimilation notamment azoté. Ce déficit au moment clé de la floraison a provoqué une « faim d’azote ». La floraison s’est enclenchée dans une situation de carence. Les pluies importantes sur la floraison ont limité la qualité de fécondation et ont accru fortement les phénomènes de « coulure » et de « millerandage » par rapport à une année moyenne : grappes sans raisins, raisins qui ne grossissent pas.

millerandage-vigne-merlot.jpgLes viticulteurs déclarent actuellement leur récolte auprès de l’administration des douanes, les chiffres ne sont donc pas totalement connus, mais les rendements moyens observés sont en général estimés au mieux à 50 % d’une récolte annuelle et vont pour un certain nombre de parcelles à plus de 80% de perte de récolte par coulure. Le merlot, cépage emblématique du bordelais a été le plus touché par ce phénomène. Sa période de floraison correspond aux périodes de forte pluie.

Une petite récolte pause plusieurs types de problèmes, pour les exploitations et pour l’économie de notre pays :

  • L’impossibilité de livrer ses clients, et le risque d’être remplacé. Le CIVB travaille sur la mise en place de mesures pour venir en aide aux professionnels. La première d’entre elles a été de les autoriser à acheter du vin en vrac pour permettre aux viticulteurs touchés de servir leurs clients. A aléa exceptionnel, mesure exceptionnelle. Au niveau national, cette mesure ne résout pas le problème, d’autant que la récolte est en nette diminution en France tandis que dans les pays voisins, l’Italie et l’Espagne, elle est normale.
  • La baisse du stock à la propriété : La 1ère assurance dans une propriété est de disposer d’un stock suffisant pour livrer ses clients, mais le stock coûte très cher et il convient de pouvoir le financer. Depuis 50 ans force est de constater que le stock a diminué chez les particuliers, diminué chez les cavistes, diminué chez les négociants… qui ont adopté le « juste à temps » et qu’il était porté plutôt par la propriété. La petite récolte 2013 va voir fondre les stocks à la propriété et mettre en danger le fil d’approvisionnement de nos clients dans toute la filière.
  • La baisse du chiffre d’affaire : une baisse de chiffre d’affaire pour ceux qui n’ont pas de stock, qui va plomber les comptes de résultats des exploitations, abîmer les trésoreries, et mettre en danger certaines d’entre-elles ;
  • Une baisse de résultat pour toutes les entreprises : soit par la disparition pure et simple du chiffre d’affaire, soit par la prise en compte de provisions pour « dévalorisation du stock » ;
  • La baisse de la « crédibilité » au sens propre du terme : Pour celles qui ont du stock, l’impact se verra sur le bilan, car dans un an les « liquidités en vin» auront bien diminuées… Or, le stock de vin sert de garantie aux emprunts bancaires… C’est donc la capacité des entreprises à souscrire un crédit qui en sera affectée ;
  • Pour notre département, la perte de Chiffre d’Affaire est autour de 700 millions d’€uros, et pour la France entière de 2 milliards. A l’heure où la France cherche des points de croissance et du PIB, c’est une catastrophe !

exportation_des_vins_et_spiritueux.jpgLa filière vin et spiritueux est une filière d’excellence de notre économie (n’en déplaise à l’ANPAA) et participe positivement à notre balance commerciale. Ainsi, en 2012, la France a expédié vers 190 pays 7,6 milliards d’euros de vins et 3,5 milliards € de spiritueux (respectivement +8,5 et +13,5 % par rapport à 2011). Première filière exportatrice du secteur agroalimentaire, les vins et spiritueux constituent le deuxième excédent de la balance commerciale française (derrière l’aéronautique, devant les cosmétiques). L’automobile a quitté ce trio de tête depuis déjà quelques années.

Une filière qui représente 10 milliards de recette à l’exportation mérite qu’on s’en occupe à plus d’un titre !

Yves Lumeau, viticulteur à Sauveterre-de-Guyenne, m’avait dit lorsque je me suis installé en 1998 : « Pour s’assurer en viticulture, il faut avoir une récolte sur les pieds, une récolte dans le chai et une récolte à la banque »… Malheureusement, aujourd’hui, il est bien rare de rencontrer des exploitations dans cette situation.

Les charges sociales et les taxes pèsent de tout leurs poids sur les comptes et empêchent l’épargne. L’Etat providence continue et augmente ses prélèvements sur le monde agricole mais n’alimente plus depuis longtemps le fond des « calamités agricoles ». Le prix du vin, durant dix années de crise sur les prix (2002-2012), n’a pas permis de thésauriser si bien que les trésoreries sont exsangues.

Cette année, la situation la plus courante est la suivante : une demi récolte dans le chai, et un crédit court terme pour financer le fonctionnement de l’exploitation !

Pourtant, si l’on veut assurer le développement de la filière, il convient de ne pas perdre de vue l’objectif d’Yves Lumeau…

  • Le VCI (Volume complémentaire individuel) mis en place en 2010 va dans ce sens : il permet lorsqu’une année est généreuse, de mettre de coté les excédents pour faire face aux années de faible récolte. Tout le monde ici ce souvient de 1990, une année généreuse avec des vins de grande qualité, dont une grande partie a été détruite car supérieure au rendement autorisé. Et de 1991, une année décimée par le gel… Si le VCI avait existé alors, quelques exploitations auraient été sauvées… Le problème cette année, est que les viticulteurs n’ont pas eu le temps de constituer cette « assurance en liquide » ; Mais avec le temps, cela se fera et constituera la meilleure des assurances : une assurance « en vin ».
  • L’assurance « perte de récolte » pour aléa climatique, est une solution aussi. Mais aujourd’hui, elle est trop couteuse. Pour inciter à l’assurance, l’Europe a mis en place une aide financière, mais cela n’est pas un schéma durable. Il convient que le prix de ces assurances par « répartition » diminue afin de devenir abordable pour le plus grand nombre. Pour qu’il diminue, il faut que plus d’exploitations y souscrive. Afin de diminuer le montant de la prime, la prise en compte du « VCI » de chaque exploitation, du volume de vins en stock, est une piste à suivre.
  • L’assurance par « capitalisation » est une piste à étudier : permettre au viticulteur de mettre de coté, chaque année, une part de son chiffre d’affaire sur un compte épargne « aléas climatique », et lui permettre de débloquer cette épargne en cas de coup dur ; Lorsqu’il met ses sommes de coté, cela passe dans les charges. Lorsqu’il l’utilise cela passe dans les produits.

Assurance en « vin » avec le VCI, assurance perte de récolte «par répartition » avec les compagnies, compte épargne « temps » … Voilà des pistes d’avenir pour assurer notre filière « Vins et Spiritueux » et continuer à participer à la croissance de la France.

A chacun de choisir l’une ou l’autre des solutions, mais notre mission collective est de rendre les 3 types d’assurance possible, afin que chacun soit assuré, d’une manière ou d’une autre. N’attendons pas le prochain orage de grêle pour ressortir le dossier ! Les pompiers n’attendent pas qu’un feu se déclare pour s’organiser !


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