Le grand chêne oublia qu’avant d’être un grand chêne, il avait été un gland… Et comme le grand chêne jadis, il regarda les glands de haut… Jusqu’au jour où un gland eu l’idée de parler aux racines…
Le vieux chêne a désormais 200 ans. Ses branches sont magnifiques. Elles portent chaque année une multitudes de glands, chaque année, une nouvelle glandée… Les glands tombent sous le chêne, à l’ombre. Mais rien ne pousse à l’ombre des grands arbres, faute de lumière… Ils attendent tous qu’un jour le chêne tombe pour profiter de la lumière. Ils viennent à rêver à la prochaine tempête… Mais les années passent et rien ne se passe, le chêne est toujours là majestueux, au milieu de la forêt. Il accueille les écureuils, leur offre des glands, les abrite dans son tronc… Il laisse quelques lianes de lierre l’envahir. Là haut sur le feuillage de la cime, au milieu de la canopée une orchidée c’est installée pour profiter du soleil. Le chêne ne s’en plaint pas, car tous les chênes voisins sont jaloux de cette orchidée. Ils lorgnent tous vers l’orchidée qui l’orne.
Les glands sont jaloux de l’orchidée, ils sont jaloux du lierre… Car eux sont condamnés à végéter à l’ombre du vieux chêne. Ils ont lu la fable du chêne et du roseau… Mais il savent que ce n’est qu’une fable. Le chêne ne plie pas. Il est tellement solide qu’ils ne sont pas prêt de voir la lumière ! Bien sûr chacun sait que le chêne, il y a bien longtemps, lui aussi était un gland… Mais c’était il y a si longtemps…
Ils se racontent en boucle l’histoire des glands voyageurs. Ce sont ces glands qui sont partis un jour dans la besace d’un pépiniériste. Ils furent mis en terre puis ils ont germé. Ils ont été plantés dans un pré et forment aujourd’hui une forêt. Mais dans cette forêt, les glands d’aujourd’hui sont soumis au même sort qu’eux mêmes… Pas facile de devenir un chêne lorsqu’on est un gland ! Et puis des pépiniéristes, il n’en passe pas tous les jours ! Il faut être réaliste, la plupart des glands finissent dans les selles des écureuils…
Un jour que le vieux chêne était bien malade, les glands se mirent à rêver de lumière. Lequel d’entre eux deviendrait un baliveau ? Quel baliveau deviendrait un grand chêne ?
Mais le vieux chêne ne l’entendait pas de cette oreille… Ses nombreuses branches lui permettaient d’avoir des relations avec les chênes voisins. Les arbres d’à coté le soutenaient… Chacun savait que dès qu’un chêne disparaîtrait dans la forêt, le trou ainsi formé entraînerait les autres. Une réaction en chaîne se produirait. Et qu’un à un ils devraient laisser la place aux baliveaux…
Les baliveaux étaient à peine plus vieux que les glands ! Ils n’avaient pas de branches, pas de relations, pas de tronc, pas de lierre, pas d’orchidée, pas d’écureuils ! Alors les vieux chênes se soutenaient les uns les autres et ce faisant, ils captaient toute la lumière… Les baliveaux ne poussaient plus, les glands ne germaient plus, et ils étaient mangés par les écureuils.
Mais un jour, un gland eu l’idée de parler aux racines du vieux chêne. Les glands et les racines étaient très proches. Et le gland savait que les racines étaient jalouses des feuilles. Il dit aux racines : « le vieux chêne déploie ses feuilles au soleil, quand il vous condamne à vivre dans le sol », « ne vous laissez pas faire », « reprenez votre liberté » , « cessez donc d’alimenter le chêne, sans vous il n’est rien »… C’est ce que firent les racines. Elles cessèrent d’alimenter le tronc. Le tronc cessa d’alimenter les branches. Cela commença avec les branches du haut, celles de la cime. Faute de sève, les feuilles, puis les orchidées tombèrent.
Alors, le regard des chênes voisins sur le vieux chêne changea. Leurs branches commencèrent à prendre le dessus… Le lierre se développa jusqu’à étouffer le vieille arbre. Celui qui l’avait pourtant nourri toute sa vie. Puis les petites bêtes des bois empruntèrent les vaisseaux libérés de la sève pour coloniser son coeur. Des branches se brisèrent et petit à petit le grand chêne se fit chaque jour plus petit. Mais il faisait mine de rien… Jusqu’au jour où fatigué de la langue de bois il consentit à laisser la place aux baliveaux. Son ramage et son plumage rejoignirent les racines et la terre, et toute cette matière servit à nourrir la croissance des glands…
Cette génération de glands et de baliveaux se souvient et se souviendra longtemps de tout ce que lui apporta le vieux chêne, de sa grande générosité. Grâce au vieux chêne ils prirent rapidement le dessus et l’un deux plus que les autres. Mais en grandissant il perdit la mémoire. Il oublia qu’avant d’être un grand chêne, il avait été un gland… Et comme le grand chêne jadis, il regarda les glands de haut… Jusqu’au jour où un gland eu l’idée de parler aux racines…