« Il y a soixante-dix ans, la France était divisée en deux zones : occupée et non occupée. La frontière tranchait la Gironde du nord au sud, isolant la partie est. L’historien Philippe Souleau évoque cette période. 1940 : les souvenirs de deux habitants de Sauveterre-de-Guyenne. »
Propos recueillis par Hervé Mathurin :
« Malgré ses 95 ans, Marguerite Meyran a conservé un souvenir très vif de la période de l’occupation à Sauveterre-de-Guyenne. Elle avait 26 ans en septembre 1940, son mari garagiste allait être démobilisé après la débâcle. La ligne de démarcation passait au ras de leur garage et de leur maison porte Saint-Romain, l’une des entrées de la bastide. Les Allemands faisaient quasiment partie de leur voisinage et chacun cohabitait vaille que vaille : « On les prenait comme ils étaient, certains échangeaient des timbres mais leur commandant n’était pas commode. Et quand ils avaient dit « nicht papier, nicht passier », ce n’était pas la peine de discuter. »
La maison du couple Meyran avait une particularité : elle était située en zone occupée mais seuls une haie et un fossé la séparaient de la zone non occupée. Une situation idéale pour franchir la ligne de démarcation : « Une nuit, j’ai fait passer quatre personnes de Longwy qui avaient dormi chez moi. Je connaissais parfaitement les heures de la ronde et quand celle-ci est passée, j’ai fait signe aux gens de sauter le fossé pendant que mon mari faisait le guet. »
Marguerite Meyran ne cite pas d’autres anecdotes de ce genre mais signale qu’elle transmettait souvent du courrier : « Les Allemands nous connaissaient et personnellement, je n’ai jamais eu besoin de papiers pour franchir la ligne de démarcation. Vous comprenez, ils nous voyaient tous les jours… »
Dix ans en 1940
Yves Lumeau était beaucoup plus jeune puisqu’il avait dix ans en 1940. Lui, en revanche, avait besoin d’un « Ausweis », qu’il a conservé, puisque la ferme familiale était située en zone non occupée : « Je devais franchir la ligne tous les jours pour aller à l’école. C’est la mairie qui nous avait procuré les « Ausweis ». Comme j’étais enfant, je n’éprouvais pas la peur ou l’appréhension de mes parents devant ces soldats. On m’utilisait pour faire passer du courrier, que je cachais dans mes chaussures. Un jour, j’avais oublié ce que je dissimulais et je me tenais devant les Allemands les jambes étendues comme si de rien n’était. C’est le mari de Marguerite qui m’a pris par la taille et s’est empressé de m’écarter du champ de vision des soldats. »
Yves Lumeau, âgé aujourd’hui de 80 ans, dirige toujours le château des Leotins sur les hauteurs de Sauveterre. Mais il n’a pas oublié le drame qui a frappé sa jeunesse avec le décès de son père en 1943. Il garde de cette époque le souvenir d’une époque troublée « où les dénonciations étaient très opérationnelles. Et de ce moulin à vent que les Allemands utilisaient comme un mirador pour scruter le passage éventuel à travers les vignes. Marguerite Meyran et lui se souviennent aussi du seul bombardement connu à Sauveterre-de-Guyenne : « Un avion anglais avait été touché par la DCA à Bordeaux et a lâché ses bombes un peu au hasard. L’une d’elle a détruit une partie de l’école mais heureusement, c’était un jeudi matin et il n’y avait pas classe. » Le reste s’est perdu dans l’oubli, volontaire ou non. Soixante-dix ans, c’est long. »