Loi d’orientation agricole : la simplification ne se décrète pas … ça se saurait !

Le projet de loi d’orientation agricole remanié après les manifestations d’agriculteurs du début d’année, mise sur la « simplification » … Ainsi le projet de loi s’est-il vu adjoindre un titre IV listant une série de mesures.

L’exposé des motifs explicite d’ailleurs que c’est « un message de confiance au monde agricole dont l’activité sera libérée de normes et de contraintes devenues superflues » […] « sans pour autant sacrifier à nos exigences de protection de la santé humaine, de protection de l’environnement ». Sans doute le monde agricole sera-t-il déçu, de la confiance finalement accordée.

Ce n’est évidemment pas l’avis des lobbies écologistes (eux se sont baptisés « lanceurs d’alerte », réservant le terme de lobby aux méchants « agriculteurs acteurs de l’agro-industrie ») qui crient déjà à hue et à dia et dénonce une volonté d’ « industrialisation toujours plus poussée » de l’agriculture quant eux prônent une agriculture paysanne et respectueuse de l’environnement. A l’image de Mélanie Veillaux chargée de communication de Greenpeace qui dit craindre que « l’environnement soit sacrifié au profit d’une industrialisation toujours plus poussée de l’agriculture ». Tous les mots sont là ! Les maux aussi.

La vérité est tout autre, bien évidemment, puisque c’est en produisant à l’optimum sur les terres les plus fertiles que l’on peut nourrir l’humanité et développer les autres usages ailleurs. Plus l’agriculture est productive, plus les autres usages sont rendus possibles.

L’article 1, prévoit que l’agriculture soit déclarée d’« intérêt général majeur ». C’était une demande de la FNSEA.

Les associations écologistes sont vent debout. Laure Piolle, chargée des questions agricoles à France Nature Environnement (FNE) dénonce « une opposition entre agriculture et protection de l’environnement ».

La vérité c’est que le gouvernement a appliqué à l’agriculture une dérogation au droit commun qui a déjà été mise en place pour les centrales éoliennes et photovoltaïques. Curieusement, les mêmes associations écologiques, n’ont jamais dénoncé les dérogations faites au code de l’environnement, dont bénéficient les éoliennes et les panneaux photovoltaïques…

L’objectif de cette mesure dérogatoire est de limiter les recours déposés systématiquement contre les « mégabassines » (Vendée, Deux-Sèvres), les retenues collinaires (Lac de Caussade, Lac de Sivens), les centrales de biométhane, les installations d’élevage que les écologistes affublent du titre d’« industriels » etc.

Le gouvernement explique qu’il s’agit de faire pencher les juges administratifs en la faveur des agriculteurs concernés.  Mais l’efficacité de cette notion fait débat car sa définition n’est pas claire. J’en veux pour preuve qu’un certain nombre de projets éoliens qui avaient été autorisés suite à l’application d’une dérogation identique, ont finalement été interdits, dans les procédures d’appel, et sont aujourd’hui contraints à la démolition.

  • La véritable simplification ne consiste pas à mettre en place des régimes dérogatoires, qui complexifient le droit, toujours sujets à caution, mais, à simplifier les textes afin que des objectifs clairement définis et admis par tous, permettent ensuite aux acteurs et aux entrepreneurs d’agir et d’investir à bon escient ;

L’idée est « d’irriguer les décisions juridiques », a confirmé le cabinet du ministre de l’Agriculture lors de la présentation du projet de loi début avril. Mais « on n’a pas pensé cela uniquement par rapport à l’environnement », se défendait-il également en anticipant les réactions des associations environnementales, et celle du ministre de la transition écologique, Christophe Béchu. 

« La notion juridique est floue, mais les intentions politiques sont très claires » observe Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne agriculture et alimentation chez Greenpeace. Il s’agit de faciliter les projets de type mégabassine ou élevage industriel ». La ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture, Agnès Pannier-Runacher, l’a d’ailleurs confirmé dès fin février.

Mon avis est que cette multiplication des régimes dérogatoires, tant pour l’éolien que pour les installations agricoles, plutôt que d’irriguer les décisions juridiques, va plutôt irriguer les cabinets d’avocat spécialisés et mettre dos à dos les agriculteurs, d’un côté, et les écologistes, de l’autre. Ce dont nous avons besoin c’est plutôt d’un code rural et d’un code de l’environnement compatibles, qui édictent des grands principes, qui prenne en compte les bénéfices et les risques, et qui permettent l’arbitrage sans passer par la case justice.

Les dérogations sont des pis-aller, des pansements … Ce ne sont pas des simplifications. Comme le disait justement Francis blanche, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. A multiplier les régimes dérogatoires on alourdi le droit, on complexifie les procédures, on perd, ce qui est plus grave, le sens du droit et de la loi. Il est urgent de revenir à l’essentiel !

« La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » Article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

« La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » Article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

On est bien loin aujourd’hui, de ces principes simples. Selon les données de Légifrance, le code de l’environnement (qui ne vaut pas que pour l’agriculture) a augmenté de + 946% en mots entre 2002 et 2023. Le code rural en 1965 faisait 755 pages, en 2022, il fait 3.063 pages (+ 306%). L’ajout de dérogations ne participe pas de la simplification !

Le titre IV se concentre les « simplifications » du droit de l’environnement.

Ainsi, l’article 13 prévoit d’ajuster les sanctions qu’encourent les agriculteurs en cas d’atteinte à l’environnement.

Aujourd’hui, par exemple, si un agriculteur taille une haie en période de reproduction d’un oiseau rare, il peut être accusé de destruction d’espèce protégée et risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 150000 euros d’amende. 

« C’est humiliant pour les agriculteurs, qui connaissent leur métier et la nature », a expliqué le cabinet du ministre, qui préfère « accompagner, expliquer, réparer si besoin, mais ne pas être dans une logique punitive ».

L’idée est que ce soit l’administration, plutôt que le juge, qui gère ces situations. Un amendement déposé par le gouvernement précise qu’en cas de faits commis « sans intentionnalité », le préfet pourrait proposer un stage de sensibilisation à l’environnement ou une transaction pénale, c’est-à-dire l’abandon des poursuites pénales en échange du paiement d’une somme.

Une bascule du juge vers l’administration qui change tout, selon Laure Piolle, de France Nature Environnement : « Quand la sanction est décidée par le préfet, la décision est moins indépendante. » C’est aussi, selon elle, une façon d’écarter les associations, qui ne pourraient plus se porter parties civiles devant le tribunal.

  • Mesure utile qui va décharger les tribunaux de multiples procès, et retirer aux associations dites « environnementales » une partie de leur activité : le recours en justice. Dans les faits, le cabinet du ministre de l’Agriculture le reconnaît, « très peu de sanctions sont prononcées ».
  • Mais pas de véritable simplifications proposées …

En Gironde, il y a quelques années, le Maire de Sainte-Florence et président du Syndicat des Eaux du bas canton de Pujols, Daniel Amblevert, avait été lourdement condamné car il avait pris l’initiative d’entreprendre le curage d’un fossé collecteur, dans la vallée de la Dordogne, que l’administration considérait, elle, comme une rivière, sans l’autorisation de la police de l’eau. Une plainte avait été déposée par l’ONEMA et le Préfet. Les débats avaient tournés autour de la définition d’une rivière et d’un fossé…

Quelques années plus tard, la définition régulièrement admise de ce qu’est une rivière ne fait plus débat. Aujourd’hui, Daniel Amblevert ne serait pas condamné. Il s’agissait bien d’un fossé sur 900 mètres.

Le problème est que, fort de cette définition admise par tous, les cartes des cours d’eau n’ont pas été mises à jour dans toutes les communes de France.

Les inondations dans le nord ont été la conséquence notamment de cet inconséquence des services de l’Etat car de nombreux fossés n’ont pas été curé par crainte de sanctions !

En plein cœur de la protestation, la complexité des différentes réglementations concernant les haies avait été érigée en symbole de normes qui étranglent les agriculteurs. 14 réglementations ! On se souvient que le 2 mars 2024, à l’occasion du Salon de l’Agriculture, Marc Fesneau avait présenté les 25 actions du Pacte en faveur de la haie (sic)… Dont la simplification (re-sic !) et la création d’un observatoire de la haie (re-re-sic !).

L’article 14 du projet de loi met en place un « guichet unique », c’est-à-dire un interlocuteur unique, sans doute un dans chaque région, auquel les agriculteurs pourront s’adresser pour toutes les questions relatives aux haies.

Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie, s’en félicite « Dans une loi d’avenir agricole, on parle enfin des haies de manière substantielle […] Cela fait des années que l’on défend le guichet unique. ».

  • Le guichet unique est-il le symbole des « simplifications » promises ? Un guichet unique pour expliquer les 14 réglementations et 25 mesures ?
  • Si le guichet unique de la haie fonctionne aussi bien que le guichet unique des entreprises (INPI), alors, on n’est pas sorti de l’auberge ! Mettre la complexité dans un guichet unique, ce n’est pas une simplification…

Simplifier la réglementation commencerait peut-être par mettre en cohérence le code rural et le code de l’environnement ? Quand l’un interdit la taille et l’élagage et période de nidification, l’autre, impose, à la même période, le débroussaillement pour prévenir les incendies, tout en interdisant la destruction des habitats futurs ! Compliqué, dans ce cadre, d’échapper à une contravention !

S’y ajoutent les réglementations spécifiques locales et lubies associées, qu’elles viennent des élus eux-mêmes, des ateliers, ou des bureaux d’étude que l’on missionne, imposées par les SRADDET, les SCOT les PLU et PLUI, les PADD ! Lors de l’élaboration du PLU de Sauveterre-de-Guyenne, ou lorsque j’étais Vice-Président du SCOT du Sud-gironde, j’avais choisi comme mantra pour introduire chaque réunion à laquelle je participais, cette citation d’Alphonse Allais : « Dans ce qu’on écrit, la moitié de ne sert à rien, l’autre moitié peut vous nuire ». Malheureusement, de réunion en réunion, je pris rapidement conscience que notre liberté était toute relative, et que la réglementation nous obligerait, dans la plupart des cas, à conserver les deux !

L’objectif de l’article 15 est de faciliter la vie aux projets d’élevage de taille importante et aux retenues d’eau (que les écologistes nomment les « méga-bassines »). Ces projets faisant souvent l’objet de recours des associations environnementales, le gouvernement veut accélérer les prises de décision du juge administratif. Un premier décret, paru vendredi 10 mai, réduit déjà les délais de recours.

Le projet de loi y ajoute une « présomption d’urgence », toujours dans l’idée de réduire le délai accordé aux associations et riverains pour former des recours. « Il s’agit de donner de la visibilité aux acteurs agricoles pour qu’ils sachent s’ils doivent poursuivre, adapter, abandonner un projet », a justifié le cabinet de Marc Fesneau.

Une intention difficile à mettre en œuvre, avertissent les juristes, faute de moyens de la justice.

  • Réduire les délais, sans simplifier le droit qui régit l’objet, ce n’est pas une simplification, c’est une frustration. C’est une justice au rabais. Une forme de loterie.

Cela « porte atteinte au droit de recours », avertissent en cœur la Défenseure des droits et le Conseil d’État.

Pour ce dernier, plutôt que de rendre la justice plus rapide, cela complexifie le droit, « à rebours des objectifs recherchés de simplification et de clarté de la norme ». Il souligne des « risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice ». Et propose donc de supprimer cet article. Une recommandation qui n’a pas eu de succès pour l’instant, en pleine campagne des élections européennes sur le délicat sujet de l’agriculture, le gouvernement est sans doute à l’écoute d’autres voix, en même temps ! Reste à voir lesquelles inspireront les députés. Penser Printemps ne suffit plus !

A l’analyse de tout cela je repense aux citations favorites de mon père. Notamment celle-ci : « On ne peut pas avoir à la fois, le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière ! »

En conclusion, il me semble que les simplifications proposées, derrière des intentions louables du ministre de l’agriculture, relèvent plus de bricolage que de la véritable simplification.

D’ailleurs, confier au parlement un débat sur la simplification ne me semble ni judicieux, ni opportun. La véritable simplification s’opère au plus proche du terrain, avec les acteurs eux-mêmes. « Si tout ce que vous avez pour agir est un marteau, tous les problèmes ne finissent-ils pas par ressembler à un clou » Abraham Maslow (The Psychology of Science, 1966).

La simplification ne se décrète pas… Ça se saurait !

Yves d’Amécourt -Nouvelle Energie- 7 juin 2026

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