« Maintenir les résultats du 1er tour de l’élection municipale du 15 mars 2020 serait un déni de démocratie » (Bernard de Froment)

Bernard de Froment, Avocat spécialisé en droit public, maire de Saint-Fiel (Creuse) de 1995 à 2014, député de 1993 à 1997, Président du Conseil Général de la Creuse de 1994 à 1998, ancien Conseiller Régional du Limousin.


Le Président de la République, d’abord, le jeudi 12 mars, le Premier ministre, ensuite, le samedi 14 mars, dans des allocutions télévisées aux heures de grande écoute, n’ont pas craint la contradiction, plongeant ainsi nos compatriotes dans un abîme de perplexité :

  • D’une part, ils ont décidé de maintenir le premier tour de l’élection municipale des 15 et 22 mars 2020 ;
  • D’autre part, ils ont fortement invité les personnes âgées, et d’une façon générale, nos compatriotes les plus fragiles à ne pas quitter leur domicile, et donc, à ne pas aller voter.

Les résultats de cette politique ne se sont pas fait attendre :

  • Jamais le taux d’abstentions pour une élection municipale n’a été aussi élevé dans le pays : 55,34% contre seulement 36,35% et 38,95% aux 1ers tours de 2014 et 2008 ;
  • Le chef de l’Etat et le gouvernement ont dû, en raison du confinement de la population décrété à compter du mardi 17 mars, se résoudre à différer l’organisation du 2nd tour de scrutin, sans pouvoir à ce stade préciser la date de celui-ci.

Certes plus de 30.000 communes sur les 35416 communes que compte notre pays, ont élu leur conseil municipal, puisque seules 4816 communes seraient concernées par ce second tour.

Pour autant, cette circonstance, ajoutée à celle que dans un nombre important de ″petites″ communes le résultat était connu d’avance, puisque seule une liste se présentait aux suffrages des électeurs, ne sauraient justifier la validation des résultats du premier tour.

Trois raisons, en effet, conduisent à estimer que la décision de ne pas annuler les résultats du vote du 15 mars 2020 dans l’ensemble des communes de France méconnaît la sincérité du scrutin :

  1. D’abord, et c’est la principale raison, parce qu’il découle des chiffres mêmes de la participation électorale dans toutes les communes de France, qu’un nombre significatif d’électrices et électeurs, soit 15 à 20% du corps électoral, ont été privés de leur droit de vote, qu’ils aient, soit été empêchés de voter (pensionnaires d’EPHAD ou de maisons de retraite), soit dissuadés de le faire (incitation à rester confinés émanant du Président de la République). S’agissant des pensionnaires des institutions pour personnes âgées ou handicapées, il y a encore plus critiquable : des instructions, en effet, ont été données par les préfets aux directeurs d’établissements, pour qu’ils votent à la place des pensionnaires qui leur auraient donné procuration. Peut-on garantir dans une telle configuration le caractère personnel et secret du vote ? Quant à l’effet de la moindre participation au scrutin du corps électoral, on ne saurait sérieusement affirmer qu’elle aurait nui dans les mêmes proportions à toutes les listes de candidats.
  2. Ensuite, parce qu’il ne résulte pas seulement de la loi (article 56 du code électoral), mais du bon sens même, que le second tour de l’élection municipale, lorsqu’il est nécessaire, doit avoir lieu le dimanche suivant le 1er tour, le délai le plus long entre les deux scrutins d’une même élection étant les deux semaines qui séparent les deux tours de l’élection présidentielle. Le Conseil d’Etat, dans sa fonction de conseiller juridique du gouvernement, a estimé que la sincérité de l’élection ne serait pas remise en cause, si le deuxième tour avait lieu dans les 3 mois suivant le 1er tour, soit au plus tard le 14 juin. Et pourquoi 3 mois, et pas 2 ou 4 ? Un tel avis ne saurait convaincre, car tout peut arriver dans un délai aussi long que 3 mois, et les candidats éliminés, à l’issue du premier tour, seraient bien recevables et fondés à estimer qu’ils ont été, à tort, empêchés de se présenter au second tour de scrutin, à plus forte raison, au regard de la forte abstention enregistrée au 1er tour.
  3. La juridiction administrative, enfin, (tribunaux administratifs, en premier ressort, et Conseil d’Etat, en appel), vont se trouver embouteillés par l’’examen de centaines, voire de milliers de protestations électorales, et notamment, chaque fois que la différence de voix entre élus et candidats battus ou distancés sera inférieure au nombre d’électrices et d’électeurs qui pourront démontrer avoir été empêchés d’aller voter le 15 mars dernier. Le bon sens devrait conduire, ne serait-ce que pour cette raison d’intérêt général, d’éviter l’encombrement des prétoires.

La validation des résultats du scrutin du 15 mars par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 (JORF du 24), dite « d’urgence pour faire face au covid 19 », loi votée à l’unanimité par l’ensemble des députés et sénateurs, laisse, il est vrai, peu d’espoir d’obtenir devant les juridictions nationales, une annulation générale des opérations de vote du 15 mars dernier.

Mais, même si cet espoir est ténu, il convient de ne pas baisser les bras, car :

  • En premier lieu, cette validation ne prive pas de la possibilité pour tout électeur ou électrice de saisir directement le Conseil d’Etat, compétent en premier ressort dans une telle matière, d’une demande d’annulation de la décision du Président de la République et du Premier ministre de maintenir le scrutin du 15 mars, principalement motivée par le taux anormal d’abstention, cause d’une insincérité évidente du scrutin ;
  • En deuxième lieu, la loi n’a pas été examinée par le Conseil Constitutionnel, de sorte qu’il reste possible d’en contester la constitutionnalité par le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), soit à l’occasion de la contestation devant un tribunal administratif des opérations électorales dans une commune donnée, soit à l’appui de la demande susmentionnée d’annulation de la décision du Président de la République et du Premier ministre de maintenir le scrutin du 15 mars ;
  • En troisième lieu, l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont le respect est contrôlé par la Cour européenne de Strasbourg, affirme le droit à des élections libres, et ce dans les termes suivants : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Ainsi, dans l’hypothèse où le Conseil Constitutionnel viendrait à valider les résultats du scrutin du 15 mars 2020, il serait toujours possible à une électrice ou à un électeur, (et à plus forte raison, à un très grand nombre de citoyennes et citoyens français qui formeraient le recours), une fois tous les recours juridictionnels internes épuisés, de saisir la Cour européenne des droits de l’homme au motif, qu’en raison de l’impossibilité dans laquelle s’est trouvée une multitude d’électrices et d’électeurs français, d’aller voter, la sincérité des opérations de vote du premier tour de l’élection municipale dans toutes les communes de France a été altérée.

Dès lors, en conclusion, il convient d’affirmer que maintenir les résultats du 1er tour de l’élection municipale serait un déni de démocratie.

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