Par Yves d’Amécourt, viticulteur à Sauveterre de Guyenne. Vice-Président de l’Union Nationale pour la Promotion des vignes Hautes et Larges. Union Girondine n°992 – Août 2003.
Nous sommes un certain nombre de viticulteurs des appellations Bordeaux et Bordeaux Supérieur à utiliser un mode de production que certains qualifient d’original : les vignes larges et hautes.
Les vignes larges représentent aujourd’hui 33000 ha. Soit un quart des surfaces Bordelaise, et quasiment 10% de la surface AOC française !
L’objet de mon propos n’est pas d’opposer les vignes larges et hautes aux vignes étroites. Ce serait une erreur ! Les sources de division entre nous sont bien assez nombreuses, sans aller chercher un nouvelle occasion de nous affronter ! L’Union Girondine est trop importante à mes yeux, et l’énergie que nous dépenserions à nous affronter sur ce sujet serait gâchée… alors que nous avons besoin de cette énergie ailleurs.
Aujourd’hui, les tenants des vignes hautes et larges, s’opposent aux tenants des vignes étroites et basses, et cela , dans chaque région : en Anjou, à Bordeaux, en Alsace, dans les Cotes de Beaune, en Italie, en Espagne, en Autriche, … Les uns accusant les autres d’être « productivistes » les autres accusant les uns d’êtres des « fous dangereux »…
Et si ces deux méthodes étaient de bonnes méthodes ?
Et si il y avait deux chemins pour arriver à Rome ?
Et si il y avait deux pensées uniques ?
Que disent les agronomes ?
Fort de nos convictions et de nos propres résultats, nous poursuivons nos recherches et nos travaux pour comprendre… C’est ainsi que nous avons pris connaissance du rapport RONEO n°96-121 qui est la synthèse des observations de la commission « densité » de l’INAO. Il y est fait état des travaux des agronomes à ce sujet. Il ne s’agit pas à proprement parlé d’une étude scientifique. Il s’agit d’un tour de France des bonnes pratiques dans différentes régions d’Appellation d’Origine Contrôlées dont l’objectif est de vérifier la véracité des hypothèses, notamment d’Alain Carbonneau, sur les facteurs qui permettent d’obtenir des raisins de qualité. C’est à dire les pratiques qui permettent à chaque appellation de produire le meilleur d’elle même : des vins typiques de son terroir, de son climat, qui mettent en exergue le savoir faire des hommes et qui soit adaptés à l’attente des consommateurs …
Nous sommes d’accord avec les grandes lignes de ce rapport, que je résumerai en trois points :
Pour obtenir des raisins de qualité :
- Il faut capter la lumière du ciel avec les feuilles et absorber la chaleur
- Il convient d’occuper le sol avec les racines
- En toute chose il faut éviter les excès
- Il faut capter la lumière du ciel avec les feuilles
- et absorber la chaleur …
Les feuilles captent la lumière du soleil et concentrent cette énergie solaire dans les amidons, que la chaleur transforme en sucres. Pour savoir de quelle surface foliaire nous avons besoin, il convient de connaître : la quantité de raisin (60 hl de vin = 8 tonnes de raisins ), la quantité de sucre que nous voulons produire et la quantité de soleil dont nous disposons…
Or nous ne produisons pas tous les mêmes types de vins et nous ne sommes pas tous égaux vis à vis de l’ensoleillement . Pourtant , plus l’ensoleillement est important, moins la quantité de surfaces foliaires utiles est importante…
Nombre d’heure d’ensoleillement par an Régions productrices d’AOC
- Moins de 1700 heures Alsace, Moselle, Rhin
- De 1700 à 1900 heures Val de Loire, Anjou, Touraine, Coteaux du Loir…
- De 1900 à 2100 heures Libournais, Cubzadais, Bourg et Blayais, Beaujolais, Bourgogne, Madiran, Iroulegy…
- De 2100 à 2300 heures Médoc, Entre Deux Mers, Bergerac, Buzet, Marmandais
- De 2300 à 2500 heures Roussillon, Corbières
- De 2500 à 2700 heures Aude, Languedoc
- 2700 heures et plus Pic St Loup, Costières de Nîmes et du Gard, Provence,
Les quantités de chaleur qui sont nécessaires à la vigne pour parcourir les diverses phases de son existence, et conduire son fruit à maturité, ont souvent été calculées par cépage. En ne tenant compte que des températures utiles , c’est à dire celles qui sont supérieures au point initial et inférieur au palier. Comme cette dernière somme de chaleur doit être emmagasinée entre la fin de la floraison et l’automne, on comprend toute l’importance qui s’attache au choix du cépage suivant la région…
On a mis en évidence, aussi, pour chaque cépage, une fourchette de température pour laquelle elle a son optimum d’activité. Pour les variétés septentrionales de la vigne cet optimum est situé entre 24 et 25°C. Le potentiel « thermique » d’un terroir viticole est donc lié aux laps de temps passé par la plante dans cette tranche optimum.
Nous ne produisons pas tous les mêmes types de vins, nous disposons de cépages différents et nous ne sommes pas tous égaux vis à vis des températures, pourtant , plus la température est optimum plus la productivité des feuilles augmente, et moins il faut de feuille, à objectif équivalent…
Températures moyennes en juillet d’après la carte des isothermes vraies de juillet Régions productrices d’AOC
- Plus de 22°C Littoral de Montpellier à Marseille : Pic St Loup, Costières de Nîmes et du Gard, Provence
- Entre 20 et 22°C Libournais, Cubzadais, Bourg et Blaye, Entre Deux Mers, Bergerac, Roussillon, Corbières, Aude, Languedoc, Bergerac, Buzet, Marmandais, Iroulegy …
- Entre 18 et 20°C Médoc, Alsace, Moselle, Rhin , Val de Loire, Anjou, Touraine, Coteaux du Loir Beaujolais, Bourgogne …
A tout cela il convient d’ajouter la connaissance des micro-climats et la connaissance des conditions climatiques particulières de chaque parcelle (régime hydrique, exposition,…) et de chaque exploitation… « Tout le raisonnement lié à l’éclairement et à la température doit être fait notamment en interaction avec le niveau de contrainte hydrique des sols » (Alain Carbonneau – 2002).
Par exemple, à Barrollo, en Italie, les pentes sud sont plantées à 3000 pieds car les sols sont riches et l’ensoleillement est important, tandis que les pentes nord sont plantées à 5000 pieds pour augmenter le surface foliaire exposée et pallier le manque de soleil.
Il faut coloniser le sol avec les racines…
Nous sommes là face à un choix :
- Soit le sol permet le développement des racines (ex : argiles, boulbènes, molasses, sables, …) c’est ce que l’on appelle les terrains « prospectables » , alors les racines se développerons tranquillement pour coloniser le sol…
- Soit le sol n’est pas prospectable (ex : graves, calcaires, « rocher »…), alors un moyen d’augmenter les racines est d’augmenter le nombre de ceps de vigne.
- Soit le sol est riche et d’après Carbonneau 6 « il suffit de 2500 pieds pour obtenir une bonne expression végétative »… On augmentera le nombre de pieds, notamment sur le rang, pour accroître la concurrence et réduire les rendements… Ou alors ou utilisera l’enherbement pour permettre le plongeons des racines.
- Soit le sol est pauvre alors il sera utile d’augmenter le nombre des racines : un moyen d’augmenter les racines peut être d’augmenter le nombre de ceps de vigne.
Notons ici, que les argiles et les sables permettent la taille des racines à l’automne (donnée qui n’entre dans aucune étude agronomique sur les rendements et la qualité des vins) alors qu’elle permet d’avoir un impact important sur le volume racinaire , sur le régime hydrique et sur le développement du feuillage. Cette méthode là n’est pas envisageable sur les sols de grave et de rocher : c’est une spécificité de certaine de nos régions qui permet de diminuer les densités de plantation, tout en permettant la concentration. Car la concentration dépend du rapport (charge par pieds, feuillage actif (chloroplastes), racines utiles)…
Il faut éviter les excès notamment de vigueur…
Dans les sols pauvres, la question ne se pose même pas. Parfois même devant la pauvreté du sol on multipliera le nombre de ceps pour obtenir un rendement minimum…
Dans les sols riches, pour maîtriser la vigueur on est face à un choix :
- L’augmentation des densités, parfois sur le rang, qui augmente la concurrence entre ceps
- L’enherbement. L’herbe concurrence la vigne en surface et incite les racines à plonger. Cette méthode permet aussi de protéger les racines des tassements dus aux passages des tracteurs, de protéger les terroirs de l’érosion de diminuer considérablement les quantité d’herbicides (8 fois moins que dans une culture en désherbage total), de faire des apports azotés naturels par le truchement de l’herbe, voire du trèfle blanc, de la luzerne, …selon les besoins.
La conclusion de tout cela est que le nombre de cep à l’hectare ne saurait être un objectif à atteindre ! Ce ne sont que des « tuyaux » dont le nombre -dans certaines limites- importe peu… du moment que l’architecture du vignoble (feuillage, charge, volume racinaire) est adaptée à la parcelle considérée.
Quelle est donc la bonne densité ?
Bref, le choix de la densité arrive bien tard dans l’ordre des choix à effectuer par le vigneron… Les questions devraient plutôt être posées dans cet ordre :
- Quelles sont les caractéristiques de mon environnement : Thermométrie, ensoleillement, sols…
- Quel vin dois-je faire , pour quel marché ? Suis je producteur de vin de collection, de vin de dégustation, de vin à boire … Pendant les repas, entre les repas… Pour des Américains, pour des Français, pour des Russes ?
- Quels sont mes cépages , quelles sont leurs caractéristiques ?
- De quelle surface foliaire ai-je besoin, compte tenu de l’ensoleillement de ma parcelle ?
- De quelle quantité de racine ai-je besoin compte tenu de la qualité de mes sols (prospectabilité, richesse, régime hydrique…), de mon mode de taille, de mon choix de travail des sols ?
- Quelle mode de conduite dois-je privilégier pour atteindre ces objectifs ?
- Enfin, avec quelle densité ?
Ainsi , la densité sera :
- dans certains cas, un moyen d’augmenter la quantité de racines,
- dans d’autres cas, un moyen d’augmenter la surface foliaire exposée,
- dans certains cas, enfin, le moyen de maîtriser la vigueur en accentuant la concurrence entre ceps…
L’objectif est que les organes actifs de la plante (le feuillage, les racines et la grappe –cette dernière trop souvent négligée-) soient suffisamment développés et en mesure de fonctionner normalement (loi des minimums) afin de produire le raisin attendu: c’est à dire celui qui permettra de réaliser le vin promis au marché !
Quelques avantages de la vigne haute et Large
1 – Augmenter les chances de récolter au « top de maturité »
Rien ne sert d’avoir du beau raisin si on est pas capable de le récolter à l’heure : quand il est bien mûr ! Les vignes à 3 mètres permettent de vendanger très rapidement (1 heure 15 minute par hectare) et ainsi de vendanger au top de maturité… Ce dernier avantage est énorme. En 2002, par exemple, ceux qui ont pu vendanger les Cabernet Sauvignon après la pluie ont aujourd’hui des produits très qualitatifs. On est beaucoup plus serein quand on a besoin d’1 heure 15 pour vendanger 1 hectare… On peut attendre le dernier moment et prendre des risques qui sont impossibles à prendre ailleurs. Il est en effet très important d’avoir des raisins sains et mûrs… Il convient de pouvoir les récolter ainsi pour profiter de leur plein potentiel ! Récolter des raisins mûrs ne coûte pas plus cher et la différence sur la qualité des vins est énorme. Les vignes larges et hautes permettent de récolter plus vite, elles augmentent donc les possibilités de récolter mûr.
2 – Permettre un effeuillage très partiel
L’effeuillage sur les vignes hautes et larges (1m40 à 1m50 de feuillage) fait disparaître environ 20% des surfaces foliaires (30 cm), laissant au cep 80% des surfaces foliaires utiles. Sur une vigne classique il peut faire disparaître jusqu’à 50% des feuilles.
3 – Préserver l’avenir économique de nos AOC
Un certain nombre des tenants des AOC, tiennent un discours dangereux selon lequel : « les AOC n’ont que faire de la réussite économique de tel ou tel… « , »la seule chose importante , c’est la qualité, pas les coûts de production ! » Méfions nous de ce type d’arguments. Les AOC n’existeraient pas si les vignerons qui les produisent n’avaient pas des entreprises florissantes ! Sans économie pas d’AOC et vice-versa. Une AOC n’existe que parce qu’elle crée de la valeur : elle répond à un besoin d’un consommateur qui, en échange, est près à payer un certain prix.
Il nous faut donc satisfaire le consommateur et garantir nos marges. Pour ce faire, d’une part développer la valeur de notre AOC et d’autre part, en optimiser les coût de production.
Loin de moi l’idée que l’économie guide nos conditions de productions : l’objectif , au contraire, est de produire la meilleure qualité au moindre coût ! Plutôt que de produire la qualité à n’importe quel prix… Certaines mesures qui ne coûtent pas plus cher permettent d’obtenir plus de qualité dans le verre, telle que, par exemple, la récolte à maturité. D’autres mesures sont très coûteuses et n’apportent rien : méfions nous de ces recettes là !
Nous le savons tous et la dernière étude de l’URABLT sur le sujet le démontre : Nos coûts à la vigne sont de deux types : le coût des travaux manuels qui sont proportionnels au nombre de ceps, le coût des travaux mécaniques qui sont proportionnels à la distance parcourue/ha…
N’oublions jamais que le prix de vente d’un produit, ne dépend pas des dépenses faites pour l’obtenir…Ça c’était la théorie de Karl Marx et d’Adam Smith ! Le prix d’un produit dépend du plaisir qu’il procure à celui qui le consomme , de la valeur qu’il lui accorde, et de la notoriété qui en découle…
A qualité de vendange égale, les vignes larges et hautes peuvent être un moyen de maîtriser les dépenses…
Aujourd’hui, parmi les ventes à 11000 F le tonneau (1677 €uros) en vrac, toutes appellations de Gironde confondues, il y a des vins produits à 3000 pieds, à 5000 pieds, à 7000 pieds par hectare. A votre avis, lequel de ces viticulteurs gagne le mieux sa vie ?
4 – Diminuer l’utilisation des désherbants et des pesticides
Les quantités de désherbants sont proportionnels aux surfaces désherbées, avoir un nombre de pieds raisonnable, et pratiquer l’enherbement, c’est diviser par 8 la quantité de désherbant et ainsi participer à la protection de l’environnement… Le palissage très aéré limite considérablement la pression des maladies cryptogamiques, les Vignes Hautes et Larges permettent une baisse de 20 à 40% des pesticides (selon le stade végétatif).
5 – Diminuer le ratio « litre de gasoil utilisé/hectolitre de vin produit » et ainsi participer à la diminution des émissions de gaz dits « à effet de serre ».
En effet, un écartement entre rangs de 3 mètres permet de diminuer le nombre de kilomètres parcourus/hectare. Prenons l’exemple d’une parcelle carrée de 1 ha. Il faut 3,3 kilomètres pour travailler un hectare de vigne planté à 3 mètres entre les rangs, 5 kilomètres pour parcourir une parcelle plantée à 2 mètres…Soit avec des tracteurs identiques presque le double de trajet, donc de carburant !
6 – Participer à la protection des paysages
Dans certaines région de la Gironde, l’Entre Deux Mers, par exemple, la plupart des vignes sont des vignes « hautes et larges », maintenir ce type de culture est essentiel pour protéger nos paysages. Paysages très appréciés des cinéastes : les « Filles du Maître de Chai », la « Bicyclette bleue »… n’ont-ils pas été tournés sur fonds de vignes haute et larges ?
Conclusion
La quête d’une densité idéale qui soit adaptée à tous les types de climats, tous les types de cépages, tous les type de sols, tous les types d’usages, tous les types de vins, est une quête irréaliste ! L’idéal doit nous guider, mais, par définition, ne saurait être atteint !
Les utilisateurs des Vignes Hautes et Larges , pensent que le palissage , le travail des sols et l’enherbement, permettent la bonne expression du terroir, sans avoir recours à le seule densité de plantation.
Nous ne sommes pas des productivistes, mais bien des viticulteurs, conscients que leur mission est de livrer aux consommateurs du monde entier, un produit digne de nos appellations : c’est la cas de la plupart de nos produits… Et pour ceux qui ne sont pas conformes, selon les résultats du « suivi aval de la qualité », il n’y a aucune corrélation entre la densité des plantations et la mauvaise qualité des vins… Il n’y a pas de relation non plus, entre les prix de vente enregistrés et les densités de plantation !
Ce qu’il faut soigner , ce sont les mauvaises parcelles (en qualité et en quantité) ce sont les carences en tel ou tel élément…
Ce qu’il faut privilégier avant tout, c’est l’équilibre tant en ce qui concerne l’architecture de la vigne (proportion du raisin, du feuillage exposé, des rameaux, du bois et des racines) que sa croissance et son mûrissement !
Ce qu’il faut préconiser, c’est la liberté individuelle et la responsabilité…qui n’est possible que si l’on impose une densité « minimum » et un rendement « maximum » qui permette à chacun de trouver son propre chemin vers l’équilibre de son exploitation et de son vignoble : 3 mètres, 2.50 mètres ou 2 mètres…voire 1 mètre pour certains !
Pour ma part j’ai fait le choix des vignes à 3 mètres car mes sols, mon climat et mon exploitation me le permettent. Sans vouloir me venter, je n’ai pas à rougir des vins que je produis, tant en rouge qu’en blanc ! Ils correspondent, me dit-on, à ce que recherche le marché !
Il est évident qu’il faille augmenter les densités de plantations de l’appellation Bordeaux. Notre décret est à 2000 pieds par hectare ! D’ailleurs, un nombre important de viticulteurs n’ont pas attendu un changement de décret pour planter à 3mètres ! Mais désormais, plutôt que de débattre sur 667 pieds à l’hectare (la différence qu’il y a entre 4000 et 3333), utilisons notre énergie pour d’autres débats et d’autres enjeux !