Souveraineté alimentaire : le revenu agricole doit être notre priorité !

(c) Yves d’Amécourt

Par Angélique Delahaye, agricultrice, ancien député européen, ancien Maire de Saint-Martin le Beau, Présidente départementale du Mouvement de la Ruralité en Indre-et-Loire et Yves d’Amécourt, viticulteur et sylviculteur, ancien Conseiller Général et Maire de Sauveterre-de-Guyenne (Gironde), porte-parole national du Mouvement de la Ruralité.

Constat amer. L’agriculture et le monde rural intéresse peu nos gouvernants et ceux qui aspirent à gouverner… Elle fut absente du discours du Président de la République le 9 décembre alors que la France s’apprête à prendre la Présidence de l’Union Européenne, si ce n’est à travers l’évocation des « clauses-miroirs » -indispensables- et l’évocation de la lutte contre le concept écologiste fumeux de « déforestation importée » qui vient s’ajouter à celui « d’eau virtuelle exportée ». Elle fut absente aussi, des débats lors du congrès des Républicains qui s’est clos le 4 décembre avec l’investiture de Valérie Pécresse. En France, on s’intéresse surtout aux problématiques urbaines et, de temps en temps, au monde rural. Lorsqu’il y a un accident de chasse ou un coq jugé en appel.

Pourtant, l’heure est grave. La France importe 60% des fruits qu’elle consomme. 40% des légumes. 50% de la viande blanche et 25% de la viande rouge… 75% des fleurs coupées ! S’il n’y avait pour la rendre excédentaire, l’exportation des céréales, des vins et des spiritueux, la balance commerciale agricole de la France serait largement déficitaire ! L’Allemagne, depuis qu’elle a pris le taureau par les cornes au début des années 2000 et les mesures Schröder / Hartz dispute désormais à la France son statut de leader agricole de l’union européenne.

Nos bois sont exportés pour être transformés dans des pays où la main d’œuvre est moins chère, et quand ils reviennent en France, c’est sous la forme de produits finis… Lorsque l’on veut construire en bois, la plupart des bois sont importés, soit d’Europe du Nord (charpente), soit des pays exotiques (menuiseries), alors que la France dispose de toutes les essences et de toutes les ressources. Mais elle manque cruellement d’industries de 1ère et deuxième transformation. La balance commerciale de la filière bois en France est déficitaire de 7 milliards d’euros.

La « politique agricole commune » de l’Europe est devenue une vaste politique environnementale différenciée, ni vraiment agricole, ni vraiment commune, qui agit à contrario de la souveraineté alimentaire du continent et de la France.

La stratégie « Farm to fork » (de la ferme à la fourchette) adoptée en octobre dernier par le le parlement européen en se donnant des objectifs de « réduction des pesticides » et d’augmentation de l’agriculture « biologique » , risque fort de sacrifier un peu plus encore notre autonomie alimentaire et l’avenir de nos agriculteurs. C’est en tout cas l’avis de nombreux experts qui tirent la sonnette d’alarme sans être vraiment entendus.

En France, plus les conversions à l’agriculture biologique sont nombreuses, plus le tonnage de pesticides augmente … Puisque les pesticides « biologiques » notamment le cuivre qui entre dans la composition de la bouillie bordelaise, est l’un des plus lourd du marché… Et chaque année les écologistes crient à hue et à dia que la France décidément ne tient pas ses objectifs de réduction ! Ils critiquent en fait les effets dont ils chérissent les causes.

Ce discours idéologique qui ignore tout ou presque des réalités scientifiques est en train de tuer à petit feu tous les efforts de l’agriculture européenne et les fruits des progrès de l’agronomie.

Cette politique, basée sur une idéologie mortifère a un impact direct sur le moral et sur le revenu des agriculteurs.

Pour limiter l’impact de sa stratégie sur les revenus des agriculteurs, le Parlement européen a d’ailleurs demandé à la Commission d’intensifier ses efforts – y compris par l’adaptation des règles de concurrence – pour renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement !

En France, on est loin du compte ! Les débats sur la loi « égalim » ressemblent fort à un pansement Français sur une jambe de bois Européenne ! Il suffit d’interroger les premiers concernés, pour constater avec eux que si les prix des productions agricoles et forestières ont augmenté récemment, ils ont le plus souvent retrouvé les niveaux de rémunération d’il y a … 40 ans !

Le moral des agriculteurs est au plus bas. La moitié d’entre eux a plus de 55 ans et aspire à la retraite dans les dix ans qui viennent. Une grande partie ne transmettra pas son exploitation faute de candidat.

Nous disposons pourtant d’une solution éprouvée pour permettre aux agriculteurs Français d’améliorer leur revenu tout en taxant les produits d’importation : c’est ce que l’on a appelé au cours des sempiternels débats depuis 20 ans la « TVA sociale », la « TVA antidélocalisation » la « TVA relocalisation », la « TVA équitable » … Toujours évoquée, jamais mise en place faute de courage politique pour l’appliquer et de discours pédagogique pour l’expliquer. Appelons-la aujourd’hui « TVA souveraineté » ! Il s’agit de faire basculer un certain nombre de charges sociales des salaires et/ou des revenus agricoles, vers la « valeur ajoutée ». Taxer la « Valeur Ajoutée » plutôt que les salaires permettrait de retrouver un équilibre concurrentiel nécessaire entre production nationale et production importée et de redonner une chance à la souveraineté alimentaire nationale, tout en améliorant le revenu agricole.

Un revenu qui pourrait être complété judicieusement et logiquement par une part de la taxe carbone dont le prix s’envole (88€88 la tonne le 8 décembre 2021) qui est payée par les émetteurs de CO2, pour saluer et rémunérer les efforts constants des agriculteurs et des sylviculteurs qui fixent le carbone dans leurs productions et dans les sols, participant ainsi activement à la lutte d’intérêt général planétaire contre le changement climatique.

Le revenu agricole doit être notre seule priorité car il conditionne toutes les autres : le bien-être et le moral des agriculteurs, la qualité des productions agricoles, l’investissement, la protection contre les aléas climatiques et économiques, la transmission des exploitations et l’installation des nouvelles générations. Bref, tout ce qui permettra la souveraineté alimentaire de la France !

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