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La semaine dernière, le service public de l’information, en l’occurrence France 2, avait choisi de programmer, en début de soirée, une émission sur les arbres ! L’idée était séduisante et surtout tellement utile au moment où les grands de ce monde se réunissaient à Charm el-Cheikh pour la 27e COP. L’émission avait comme générique « Aux arbres, citoyens », la chanson de Yannick Noah. La soirée était animée par Léa Salamé et Hugo clément. Elle était annoncée comme une émission « événement » car, pouvait-on lire sur le site de France 2, « France Télévisions mobilise ses antennes autour des enjeux environnementaux et de la nécessité impérieuse de préserver notre planète, sa biodiversité et ses ressources ».
Le sujet est d’importante car, si les activités humaines émettent des gaz à effet de serre par l’usage des énergies fossiles, notamment du gaz carbonique, les activités végétales, elles, absorbent le gaz carbonique et le transforment en matière organique et en oxygène. À l’heure où l’humanité recherche des solutions technologique pour atténuer l’effet de serre, la forêt, elle, est un fabuleux outil de captation et de stockage du carbone !
Choix éditorial : on parlera de la forêt sans les acteurs de la forêt
Curieusement, et cela devient une habitude sur France 2, les professionnels de la forêt n’étaient pas invités… Les multiples demandes de Fransylva, qui représente les trois millions de propriétaires forestiers français et 75 % des forêts françaises, de France Bois Forêt, qui rassemble l’ensemble des acteurs de la filière (propriétaires et exploitants forestiers, industrie de transformation), sont restées lettre morte. Seul un agent de l’ONF, Laurent Tillon, était présent, au titre de la protection de la biodiversité.
Yannick Noah, interprète de la belle chanson qui donna son titre à l’émission, avoua rapidement que s’il aimait les arbres il était totalement incompétent sur le sujet. Lorsqu’on demanda aux invités, dans la soirée, de citer dix essences d’arbres de son environnement, il répondit avec difficulté : « Le palmier et le bananier. » Or, le bananier n’est pas un arbre mais une herbe géante. Les autres ne firent pas mieux puisque aucun ne sut citer ne serait-ce qu’un arbre… Nagui avoua, lui aussi, qu’il ne connaissait pas grand-chose aux arbres et glissa subrepticement qu’il ne mangeait plus de viande. Puis il se retourna, hilare, vers Hugo Clément : « T’as vu, j’ai réussi à le placer. »
Marion Cotillard dit que si elle était là, c’était « pour écouter et poser des questions ». Malheureusement, elle n’avait personne à qui les poser, puisque ceux qui avaient les réponses n’étaient pas invités !
Gilles Bœuf, biologiste de renommée mondiale, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, fit projeter trois photos d’arbres afin de voir si les personnes présentes sur le plateau les reconnaîtraient. Seule Chloé Nabédian reconnut l’un des arbres (le platane). Les autres n’en avaient aucune idée. Hugo Clément se retournait alors vers l’auteur de la question afin d’avoir la réponse… Ce dernier fut incapable de nommer les arbres qu’il avait lui-même photographiés !
On fit la connaissance de « Lulu », qui s’est battue dans le Morvan pour qu’une forêt ne soit pas vendue à Société forestière (la filiale forestière de la Caisse des dépôts et consignations détient 310 000 hectares de forêt en France), autrement dit à l’Etat, car « ils allaient tout couper ». La Société forestière, qui est un acteur de référence dans la gestion durable des forêts, appréciera ! Elle non plus n’était pas invitée !
Bien sûr, le témoignage des pompiers de la Gironde emmenés par le capitaine Rémi Lassoureille fut très émouvant et applaudi à juste titre. Mais il est regrettable qu’il n’ait pas été accompagné du président du Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest pour parler de la reconstruction du massif des Landes de Gascogne après les terribles incendies de cet été. Cyril Dion fit part de son amour – sincère – pour les arbres et de ses découvertes – intéressantes – lors d’un entretien avec Francis Hallé.
Léa Salamé était, elle, très heureuse de sa soirée : « J’apprends beaucoup de chose, ce soir. » C’est sans doute un des points positifs de l’émission…Élise Lucet expliqua que, quand elle était petite, elle habitait à côté d’une forêt et elle avait un herbier avec des feuilles d’arbres.
On parla de l’élection de Lula, au Brésil, et de la forêt amazonienne. On parla des délinquants qui ouvrent des mines d’or illégales en Guyane française, à la barbe de l’État et au détriment de la forêt.
On apprit que cette émission tournée dans les serres du parc André-Citroën était « écoconçue »… et que l’ensemble des déplacements des intervenants et des équipes s’étaient faits en transport électrique.
Le but de la soirée était de financer des projets forestiers de l’association France Nature Environnement. Des projets « dans toute la France » dont on ne nous a finalement rien dit. Malgré cela, la soirée aura permis de récolter plus de un millions d’euros, à la grande surprise de Léa Salamé qui n’en revenait pas.
Et le climat, dans tout ça ?
Seule Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe n° 1 du GIEC, expliqua pourquoi les arbres étaient importants et interrogea le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu sur les grands enjeux : comment faire pour que la forêt française capte plus de carbone encore ? Comment faire pour que le bois matériau soit plus utilisé car il permet de stocker le carbone ? Malheureusement, le ministre avait préparé ses propres éléments de langage et ne répondit pas à la question… Il s’en excusa.
José Bové demanda que la mairie de Sète arrête son projet de parking souterrain en centre-ville pour préserver les tilleuls de la place. Le ministre accepta de recevoir les parties prenantes du projet…
Bref, durant cette soirée, on parla de beaucoup de chose, sauf de la forêt française !
Ainsi, personne n’a expliqué que, depuis deux siècles, la forêt française n’avait cessé de progresser, pour atteindre 17 millions d’hectares aujourd’hui + 8 millions outre-mer. Personne n’a expliqué que la forêt française était l’une des plus diversifiées, avec près de 190 essences différentes, soit près des trois quarts des essences présentes en Europe, que cette diversité s’expliquait par la variété des milieux et offrait une précieuse richesse aux sylviculteurs et aux transformateurs : à chaque essence son bois, ses particularités, qui les destinent à un usage précis. Personne n’a expliqué non plus qu’en France, la récolte de bois (38 millions de m3) représente moins de la moitié de la production annuelle de la forêt française (plus de 90 millions de m3). La France ne récolte pas assez. Personne n’a expliqué, enfin, que malgré tous ces atouts, depuis plusieurs années, le déficit commercial de la filière bois se creuse… Il était de 7,37 milliards d’euros, en 2019. Les importations sont de 17 milliards d’euros, tandis que les exportations sont de 9,5 milliards d’euros. La France ne transforme pas assez.
À part Valérie Masson-Delmotte, personne n’aborda le véritable enjeu : couper et planter des arbres, réindustrialiser la filière forêt bois pour pouvoir récolter le bois que nous produisons et le transformer en France sur les territoires. À part elle, personne ne parla des vertus de la filière forêt bois pour agir sur le climat : séquestrer le gaz carbonique émis par les activités humaines à l’aide du soleil, utiliser le bois comme matériaux pour stocker le gaz carbonique et développer le bois énergie comme substitut aux énergies fossiles.
Personne ne précisa que la filière forêt bois, en France, ce sont aujourd’hui 378.000 emplois et un potentiel de développement énorme, tant économique qu’écologique.
Cultiver la forêt secondaire permet de sauvegarder la forêt primaire
Par bien des côtés, la forêt française, qu’elle soit publique ou privée, est exemplaire. Les propriétaires d’aujourd’hui coupent les arbres qu’ont plantés leurs grands-parents. Les arbres qu’ils replantent seront coupés par leurs petits-enfants. Ils réalisent concrètement ce proverbe africain popularisé par Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des hommes : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. »
Mundiya Kepanga, chef papou, représentant des forêts primaires de Papouasie-Nouvelle-Guinée menacée par la déforestation, était l’invité de France Culture, le 22 octobre 2022. Alors que les journalistes lui demandaient son avis sur la forêt française, il répondit avec sagesse : « Autrefois, je croyais que les Blancs se moquaient des arbres, que vous faisiez que les couper. Et quand je suis venu en France, j’ai découvert que vous êtes aussi frères des arbres. Beaucoup de gens, chez vous aussi, prennent soin des arbres, les protègent. » Et d’ajouter : « Je n’ai rien contre l’usage du bois. Plein de choses en bois sont très utiles dans nos maisons comme dans les vôtres. Mais c’est important de protéger les forêts « primaires »[1]. Pour le faire, il faut replanter des forêts secondaires[2]. » C’est exactement ce que nous faisons en France.
Dommage que, la semaine dernière, Léa Salamé et Hugo Clément aient refusé d’inviter quelques frères des arbres. La France en compte de très nombreux. Ils sont pépiniéristes, propriétaires, exploitants forestiers, bûcherons, débardeurs, scieurs, transformateurs, mérandiers, tonneliers, papetiers, menuisiers, charpentiers, architectes… Ils auraient pu répondre aux questions que tout le monde se pose.
[1] Une forêt primaire, forêt vierge, forêt naturelle, forêt primitive ou forêt originelle, est une forêt composée d’espèces indigènes où aucune trace d’activité humaine passée ou présente n’est clairement visible.
[2] Une forêt secondaire est une forêt qui a été plantée ou a repoussé par régénération naturelle après avoir subi des perturbations profondes, humaines ou naturelles.