Extrait du livre de Nicolas Sarkozy « Ensemble », chapître « Fiscalité Emploi Mondialisation »
« Après y avoir beaucoup réfléchi et avoir étudié l’expérience du Danemark et celle plus récente de l’Allemagne, je suis convaincu qu’il faut expérimenter le transfert d’une partie des cotisations sociales sur la TVA, parce que ce système permet d’exonérer les exportations du financement de la protection sociale et de taxer les importations. C’est le contraire du système actuel de financement de la protection sociale qui, en taxant le travail, obère la compétitivité des exportations, augmente le prix des produits français par rapport au prix des produits importés, déprécie la rémunération du travail et contribue à faire de l’emploi une variable d’ajustement de l’économie. Le temps de l’expérimentation est venu. Il n’a que trop tardé.
Le financement de la protection sociale par l’impôt sur les ventes, que l’on appelle parfois un peu bizarrement la « TVA sociale », présente beaucoup d’avantages dans le contexte de l’économie globale. C’est un moyen pour lutter contre les délocalisations, pour créer de l’emploi, pour faire augmenter le pouvoir d’achat. En renchérissant le prix des produits importés, il diminue l’incitation du consommateur à acheter les produits bon marchés des pays à bas salaires plutôt que les produits fabriqués en France avec un coût du travail plus élevé. Le consommateur, qui recherche d’autant plus le meilleur marché que son pouvoir d’achat est faible, est ainsi incité à participer à la destruction de son emploi et de sa protection sociale. En taxant les importations et en exonérant les exportations, le basculement d’une partie des cotisations sociales sur la TVA a le même effet qu’une dévaluation, ce qui permet d’atténuer la surévaluation de l’euro et de doper la compétitivité. En allégeant la charge fixe qui pèse sur le travail, il permet d’amortir les fluctuations de l’emploi quand la conjoncture se dégrade. En diminuant le coût du travail, il favorise les entreprises qui emploient relativement plus de main d’œuvre, sans pénaliser pour autant la compétitivité des entreprises à forte valeur ajoutée par rapport à leurs concurrents étrangers. L’assiette de la TVA étant plus large que celle des cotisations sociales, environ un tiers de la baisse des cotisations pourrait être réalloué à l’augmentation du pouvoir d’achat. Ce qui contribuerait à la revalorisation des salaires.
Cela fera-t-il augmenter les prix ? C’est une question que je n’évoque pas à la légère car nos prix sont déjà trop élevés et c’est pour cela que l’expérimentation est utile. Il y aura une augmentation des prix s’agissant des produits importés, ce qui est l’un des buts recherchés, mais c’est peu probable pour les autres puisque la baisse des cotisations compensera dans le prix de revient la hausse de la TVA. En moyenne les prix des produits fabriqués en France devraient rester stables, compte tenu de la pression de la concurrence. L’expérience allemande est, de ce point de vue, encourageante.
Mais je comprends que le risque d’une hausse des prix qui rognerait le pouvoir d’achat inquiète les salariés et les retraités, tellement habitués à être trompés et à servir de variables d’ajustement. Pour éviter toute crainte de ce genre, je vous propose qu’avec l’accord des partenaires sociaux, toute avancée dans le sens de la TVA sociale s’accompagne d’un grand rendez-vous social à la fin de chacune des deux années suivantes. Ce rendez-vous prendrait la forme d’une conférence salariale qui aurait pour mission d’examiner du pouvoir d’achat des salaires et des retraites et de compenser l’éventuelle perte qui pourrait être imputée à la TVA sociale. …
Si l’expérimentation se révèle concluante, le report de charges sur la TVA devra s’effectuer progressivement, par le biais des franchises de charges sur tous les salaires. Je souhaite proposer à nos partenaires européens de s’engager dans la voie de cette expérimentation où l’Allemagne vient de nous précéder. Ce serait un bon moyen, avec la taxation écologique des importations à l’échelle européenne, d’esquisser une forme préférence communautaire. Cela permettrait de consolider le modèle social européen sans céder à la tentation du protectionnisme. La France a inventé jadis la TVA qui a été peu à peu adoptée par l’ensemble des pays européens. Mon objectif est qu’il en soit de même un jour pour la TVA sociale. Celle-ci nous amènera forcément à réfléchir à l’organisation de notre protection sociale. Elle nous obligera à progresser vers le décloisonnement de la protection sociale, à mettre tous les Français à égalité devant l’assurance- maladie et la retraite, à prendre aussi mieux en compte, à l’intérieur d’un système de protection qui couvre tous les Français, la mobilité, la pluriactivité et l’alternance de périodes de travail, de chômage, de formation. La réforme de nos régimes spéciaux de retraite que je souhaite engager s’inscrit bien pour moi dans cette perspective, tout comme la remise en plat – qu’elle permettra de financer – des critères de pénibilité et la remise à niveau des retraites des agriculteurs, des commerçants, des artisans et des pensions de réversion.
La TVA sociale, ce ne serait pas seulement un nouveau mode de financement de la protection sociale, ce serait aussi un levier du changement, une incitation à modifier nos comportements économiques et notre organisation sociale pour relever le défi de la mondialisation. C’est pourquoi je veux l’expérimenter. Au-delà du cas particulier de la TVA sociale, ce qui compte c’est de taxer le moins possible l’homme au travail et la production. Il faut taxer la richesse produite et non la production de richesse. Lorsque l’on décourage la création de richesse, on a moins à redistribuer. »