Depuis que je suis acteur dans la filière bordelaise, je suis admiratif de la capacité qu’a cette filière « Bordeaux » à débattre, sur des sujets innombrables. Dernier débat en date, celui des bassins de production…

En relisant l’histoire, on s’aperçoit que Bordeaux, pourtant toujours à la pointe de l’innovation, a connu à chaque mutation, des débats : débat sur le jauge de la barrique bordelaise au XVIII siècle, débat sur l’utilisation ou non du fil de fer pour remplacer les lattes (1845-1870), débat sur les différents mode de taille, sur l’encépagement, l’étiquetage, débat sur les limites du vignoble bordelais et plus récemment : débat sur les densité de plantation, débat sur l’utilisation des copeaux, sur la mention du nom de cépages, sur l’admission où non des « règles internationales »…

Dans chacun de ces débats il est notable, aussi, d’observer l’interventionnisme de l’Etat…le plus souvent, à la demande des acteurs eux-mêmes. Pour un oui ou pour un non, l’état ou ses représentant sont sollicités, pris comme arbitre. Ce fut le cas à de très nombreuses reprises.

Si autrefois on commandait l’avis du Préfet, aujourd’hui, malgré la décentralisation, on commande l’avis du Ministre !

Alors que partout ailleurs, dans le monde, la profession se prend en main. Chez nous, rien ne se décide sans l’avis de l’état… ou sans l’avis d’une de ses nombreuses émanations, institut, office, … 400 organismes divers et variés, en France, réfléchissent et interviennent sur l’avenir du vin !!!

On a même vu, en séance, à l’assemblée nationale, un député demander au Ministre s’il allait autoriser l’utilisation de copeaux de bois dans l’élaboration des vins!!! Pourquoi ne pas lui demander aussi, si les cuisiniers peuvent saler leur purée, ou si les femmes peuvent se maquiller pour se rendre à leur travail? Tout cela prouve que nous sommes dans une logique d’interventionisme permanent…

Il y a quelques mois le Ministre, Dominique Bussereau a exprimé la volonté de voir constituer des «bassins de production » dans chaque région. Il souhaite que chacun de ces bassins de production se prenne en charge et produise un « vin de pays de bassin ».

Mais, cette fois, dans sa déclaration, le Ministre n’a pas pris le soin de donner les limites du bassin de production. Il a renvoyé la question aux bassins eux même. Ainsi rejailli le dossier des frontières de la région bordelaise… que l’on croyait refermé depuis 1 siècle !

Revenons donc sur l’histoire de la délimitation des frontières de la région bordelaise… Parce que ce débat est symptomatique des débats à la bordelaise, qui, avec la lamproie et l’entrecôte du même nom, caractérisent si bien bordeaux.

Le débat sur le délimitation de la région Bordeaux fut d’abord un moyen de prélevé la taxe sur les « vins du haut pays », le fameux « privilège » des vins de Bordeaux. Preuve, s’il en fallait, qu’en France, il est important de mettre au point des taxes en tout genre…

Les débats qui n’en finissent pas, et l’invention de nouvelles taxes ne sont ils nos deux sport nationaux ?

Mais revenons à notre sujet. Bordeaux avant d’être un terroir, fut un port. Les négociants achetaient le vin le long des fleuves, les élevaient, les assemblaient et les expédiaient. Parmi les vins commercialisés, ceux du pays arrivaient sans taxe, par contre, ceux du « haut-pays » (Quercy, Tarnais, Albigeois, Languedoc) payaient un octroi pour pouvoir être assemblés aux Bordeaux.

A la fin du XIX siècle, Féret, pour délimiter le territoire de Bordeaux et faire son répertoire, parle prudemment de « vignoble Girondin ». Mais derrière cette prudence se cache le fonds du débat : les frontières du vignoble Girondin sont-elles le même que celles du vignoble Bordelais ?

En 1907, la commission Cazeaux-Cazalet tente de délimiter la région « Bordeaux » en excluant la région Landaise, l’Entre-Deux-Mers, le Bergeracois, le Marmandais et le Duracois. Pour ce faire, cette commission pointe du doigt le rôle du climat dans l’obtention des vins de Bordeaux : « Le climat Girondin est exclusivement celui du département de la Gironde, à cause de la situation de celle-ci à la fois dans le voisinage de la mer et sur deux rivières importantes la Garonne et la Dordogne », mais ceci est contesté immédiatement par les viticulteurs Marmandais, et Cazeau-Cazalet est obligé de reconnaître qu’il « était matériellement impossible de dire où commençait le climat Girondin »…

En 1908 de nombreux conseils municipaux du Lot votèrent une protestation contre l’exclusion de ce département de la zone « Bordeaux ».

En 1909, la délimitation par le Conseil d’état propose que le terroir bordelais, en réintroduisant l’Entre-Deux-Mers, s’arrête aux frontières administratives du département. Rappelons que les frontières administratives avaient été elle-même définie par Napolèon pour permettre au Préfet de se rendre à la limite du département en 1 journée à cheval… Le terroir s’arrête donc à 1 journée à cheval de la Préfecture ! La carte remise par le Conseil d’Etat est qualifiée par lui-même de provisoire et susceptible d’évoluée… En effet, cela n’allait pas dans le sens des commissions interdépartementales de 1907 qui avaient demandé clairement que Bergeracois et Marmandais fassent partie du Bordelais, dans la mesure où :

  • de mémoire d’homme, ces vins n’avaient jamais payé l’octroi des « vins de haut » et qu’il y avait continuité géographique entre les vignobles.
  • la jauge de la futaille (barrique) des vins de Bergerac était la même que celle de la sénéchaussée de Bordeaux contrairement à la futaille des vins de Castillon et de Blaye,
  • que Bergerac ne faisait pas parti du « Haut-Pays » puisqu’au début du XVI sièvle on parlait déjà, à Bordeaux, de la Vinée de Bergerac.

En 1910, J.L.Riol, à la demande du Syndicat viticole de Gaillac fait paraître une étude historique sur le vignoble de Gaillac qui montre que le Bordelais n’avait pas pu se passer des vignobles de l’amont (vins du haut-pays). J.A. Brutails, archiviste de Gironde, lui répond cette même année, que Cahors et Gaillac avaient perdu leur notoriété en XVII et XVIII siècle et que leurs vins étaient « seulement bons à couper les Bordeaux »…

En 1911 les représentants de la Dordogne, du Lot et Garonne, du Tarn et Garonne et du Lot protestent contre la délimitation du Bordelais. Mais en 1914 la zone « Bordeaux » est assimilée au département de la Gironde, région Landaise exclue. Le Conseil d’Etat, depuis, n’est jamais revenu sur la dite délimitation.

Aujourd’hui, les viticulteurs des départements voisins, dont le vignoble touche celui de Bordeaux, aimeraient pouvoir écrire sur leur bouteille, « Grands vins de Bordeaux », « Bordeaux-Aquitaine », ou tout simplement y faire figurer le « B de Bordeaux », c’est-à-dire le logo du CIVB.

Mais dans un même temps, leurs représentants n’arrêtent pas d’aller contre Bordeaux et contre l’A.O.C. Bordeaux, dans les instances nationales (INAO, CNAOC, VINIFLHOR…), au sein du Conseil de Bassin : sur le sujet des densités de plantation, des copeaux, de la création des IOC, sur le sujet de la restructuration du vignoble, sur le sujet de la distillation, sur le sujet des replis…

Si nous faisons partie de la même famille donnons cette image de nous à l’extérieur ! Nous avons les mêmes usages, les mêmes terroirs, les mêmes cépages. Au lieu de cela certains représentants du Bergeracois s’inscrivent dans une fronde permanente vis à vis de Bordeaux ! Comment imaginer se marier, alors qu’on laisse penser qu’on est d’accord sur rien ? Commençons par construire une interprofession commune avec des règles de représentation honnêtes et équitables. Mettons en commun nos cotisations pour être plus fort ensemble.

N’ajoutons pas de la division à la division !

Et puis, si le mariage est possible un jour. En tout cas, il ne l’est pas en temps de crise ! Comment imaginer qu’au moment où Bordeaux peine à vendre ses vins, au moment où Bordeaux arrache 3000 ha de vignes, on ajoute 17000 ha à sa production ?

N’ajoutons pas de la misère à la misère !

Enfin, alors que le consommateur ne comprend déjà pas grand chose aux 57 AOC Bordelaises, est-ce bien le moment de leur expliquer qu’on en ajoute…

N’ajoutons pas de la complexité à la complexité !

Par Yves d’Amécourt, d’après Philippe Roudié in Vignobles et Vignerons du Bordelais (1850-1980)

5 commentaires sur “Bassin de production”

  1. S’il est un commentaire pour un non-viticulteur c’est celui de se demander si la mévente des Bordeaux non-grands-crus ne provient pas, pour une grande part, du fait que :
    1°)malgré l’arrachage d’un côté, on continue à planter de l’autre pour augmenter son CA dans l’avenir,
    2°)les méthodes commerciales des non-grands-crus se calquent archaiquement sur celle des grands crus, ce qui n’est pas le cas des vins concurrents étrangers.
    La mutation rapide des Présidents du CIVB n’est-elle pas la résultante de cet archaisme des esprits ?

  2. Merci pour vos commentaires:
    1/ Les plantations nouvelles sont contingentées. Actuellement il n’y a pas de nouveaux contingents.
    2/ Vous avez bien raison. Bien souvent Bordeaux est absent sur les marchés qui ne consomment pas de 1er crus.
    3/ Le mandat du Président du CIVB est passé de 2 ans à 3 ans…Mais sera-ce suffisant? D’un autre coté, le CIVB ne peut pas tout. Par exemple, en Champagne, le CIVC ne s’occupe pas de maketing et de promotion…Le résultat est pourtant exceptionnel, éclatant! Rendre leurs cotisations aux adhérents et laisser chacun assurer sa propre promotion est une autre solution, plus…libérale!

  3. cher yves,
    la différence est qu’en champagne, l’interprofession gère UNE appellation, adossée à UN syndicat de producteurs et à UN syndicat de maisons de champagne… la politique commerciale (et de production) est plus facile à mettre en place. De plus, appellation et marque se confondent. Pas d’effet chateaux, pas d’effet terroir,pratiquement pas d’effet millésime, seulement la recherche de la permanence dans la qualité et les prix. La moindre communication sur le mot champagne sert l’ensemble des produits. Une situation exemplaire pour Bordeaux et ses 57 AOC…qui s’affrontent déjà à la fédération des grands vins, avant de se confronter aux négociants dans les salons du civb
    Bon courage pour la suite,
    cordialement

  4. Pour parler de la Champagne, il faut la connaître. Je suis vigneron.

    1- La Champagne est menée par un négoce (les maisons de Champagne) fort qui représente 70 % des volumes commercialisés avec une présence quasi mondiale et une excellente connaissance des marchés.
    2- Les vignerons pour la majeure partie sont des apporteurs de raisin.
    3- La filière à l’instar de l’agro alimentaire (lait, viande) est intégrée. Les producteurs produisent, le négoce vend.
    4- Les leaders sont forts (LVMH 60 millions de cols, Vranken plus de 20) et assurent un rôle de leader. Ils sont exigeants en matière d’image et de qualité.
    5- Le CIVC ne fait pas de communication car les maisons de Champagne communiquent de leur propre gré avec des montants colossaux.
    6- Si Bordeaux redistribue aux opérateurs le budget du CIVB, cela ne représentera aucun moyen compte tenu de l’extrème atomisation des opérateurs.
    7- La Champagne, patrie de Colbert, est unie, centralisatrice et forte autour de son négoce. Bordeaux est la terre des girondins, c’est à dire des forces centrifuges. Chacun agit seul et remet sans cesse en cause les décisions.
    8- Enfin, la Champagne est toujours plus exigente en qualité, ce qui n’est pas le cas des génériques à Bordeaux toujours plus prêts à moins de contraintes.

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