François Hollande avait fait campagne pour une Europe plus forte, plus solidaire et plus juste. Une Europe qui relancerait la croissance par l’investissement public. Au Conseil européen de juin dernier, il s’est vanté d’avoir fait accepter un « pacte de croissance » selon lequel 120 milliards de crédits seraient – soi-disant – immédiatement mobilisés à cette fin. Une heureuse coïncidence des calendriers lui permettait d’obtenir la prolongation de cet effort jusqu’à la fin de la décennie : immédiatement après a commencé la négociation sur le cadre budgétaire européen – le financement des grandes politiques communes – pour les années 2014-2020. De fait, le Conseil européen a débouché le 8 février sur un accord unanime. Que contient-il ?
Pour la première fois depuis trente ans, le budget européen baisserait en valeur absolue : les 120 milliards de plus sont devenus 35 milliards de moins.
Ces économies seront coûteuses : si l’on a un budget commun, c’est pour être plus efficaces ensemble avec moins d’argent public dans les domaines où l’union fait la force. La fraude géante sur la viande rappelle la nécessité, dans un marché unifié, d’avoir un service européen unique de répression des fraudes, dont l’efficacité serait plus grande pour un coût moins élevé que les vingt-sept services nationaux ; tous les trafics de la drogue, de la prostitution et de l’immigration clandestine continueront de prospérer chez nous tant qu’il n’y aura pas d’équivalent européen d’un FBI et une police commune des frontières ; si l’Union tarde à relayer les efforts de la France au Mali, c’est d’abord parce qu’elle n’a pas les moyens requis pour financer rapidement l’accompagnement civil et humanitaire de l’action militaire, ainsi que l’aide aux pays africains directement concernés. C’est bien pour cela qu’on a fait le traité de Lisbonne. Son application de fait attendrait donc la prochaine décennie ?
L’Europe gagnera-t-elle en justice ce qu’elle perdra en efficacité ?
Les agriculteurs, dont l’écrasante majorité ne sont vraiment pas des privilégiés, perdront 12 % des crédits qui leur sont affectés. Les crédits de cohésion régionale, qui financent un tiers de nos propres investissements régionaux et les deux tiers pour nos partenaires les moins favorisés, baisseraient de 8 %, pendant que les pays riches continueraient de profiter d’un véritable bouclier fiscal, qui plafonne leur contribution nationale au budget commun. Au moment où se ferment des usines dans la sidérurgie, l’automobile, la chimie, le Fonds d’ajustement à la mondialisation, qui finance la reconversion des salariés concernés, serait divisé par trois. Le Fonds de solidarité face aux calamités naturelles serait réduit de moitié. Le programme d’aide au plus démunis reviendrait à un niveau équivalent à 5 centimes par jour pour chacun de ses 18 millions de bénéficiaires…
Certes, une partie de ces réductions serait compensée par une augmentation des dotations aux investissements d’avenir. Mais nous sommes là à la limite du dérisoire. La dotation demandée pour rattraper le grave retard européen sur les réseaux de fibre optique a été divisée par dix. Sur la recherche, l’augmentation obtenue représente trois dix millièmes de PIB ! On devine que nos concurrents américains et asiatiques tremblent à l’idée de devoir affronter une telle puissance de feu européenne d’ici à 2020… Tout comme les 30 millions dont est dotée annuellement l’Agence européenne de défense sont propres à dissuader tout ennemi potentiel d’entreprendre quoi que ce soit contre la superpuissance européenne.
Comme chacun de ses homologues, François Hollande avait en poche le droit de veto. Sans même aller jusqu’à le brandir, il aurait pu se saisir des propositions mises sur la table à la demande du Parlement européen, devant qui il s’était présenté la veille : l’affectation au budget européen de ressources propres, telle la taxe sur les transactions financières, pour soulager d’autant les budgets nationaux qui en supportent aujourd’hui le poids ; et le principe, de bon sens, d’une révision à mi-parcours, pour ajuster le tir quand la conjoncture sera plus favorable. Ces points n’ont même pas été débattus. À ce degré de silence, ce n’est plus de la résignation : c’est de la complicité satisfaite. Oui, on fera l’Europe sociale ! Avec le budget européen de M. Cameron ?
Un bras de fer s’engage maintenant entre le Conseil européen et le Parlement, qui refuse de condamner l’Europe à l’impuissance et au lent délitement. Pour tous les acteurs – gouvernements, parlementaires européens et nationaux, partis politiques, Commission européenne -, ce sujet majeur est un test implacable de la réalité des volontés européennes. On mesure désormais celle du président français.
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Par Alain Lamassoure, le 23 février 2013.
- Liste des autres signataires : Jean-Pierre Audy, président de la délégation ; Sophie Auconie ; Nora Berra ; Philippe Boulland ; Alain Cadec ; Arnaud Danjean ; Michel Dantin ; Rachida Dati ; Joseph Daul ; Christine de Veyrac ; Gaston Franco ; Marielle Gallo ; Françoise Grossetête ; Brice Hortefeux ; Philippe Juvin ; Agnès Le Brun ; Constance Le Grip ; Véronique Mathieu-Houillon ; Elisabeth Morin-Chartier ; Maurice Ponga ; Franck Proust ; Dominique Riquet ; Jean Roatta ; Tokia Saïfi ; Marie-Thérèse Sanchez-Schmid ; Michèle Striffler.