Quinze ans après l’entrée en vigueur de l’aménagement et de la réduction du temps de travail dans la fonction publique (ARTT), le Premier ministre a souhaité qu’un bilan soit établi des pratiques mises en place par les employeurs ainsi que de leurs conséquences sur les obligations professionnelles des agents et sur les nécessités de service.
Le temps de travail est une notion complexe car sa composition est multiple (durée réglementaire, congés, absences de natures juridiques diverses, heures supplémentaires,…) et la statistique publique n’exploite pas suffisamment les données dont elle dispose, données par ailleurs limitées. Toute moyenne doit être regardée avec beaucoup d’attention tant sont diverses les composantes des calculs.
La mise en oeuvre de l’ARTT s’est faite par souci d’égalité de traitement entre salariés du secteur privé et agents publics. Une durée légale de 1 600 heures puis de 1 607 heures a été fixée ainsi qu’un nombre de jours de réduction du temps de travail (RTT) compensant le dépassement des 35 heures hebdomadaires. La volonté de ne pas perturber le fonctionnement des services a souvent conduit à maintenir l’organisation du travail en place et conserver des « usages » comme des jours de congés supplémentaires. Dans la fonction publique territoriale, les employeurs ont usé de la possibilité légale de maintenir les régimes antérieurs plus favorables que les 1 607 heures.
Plusieurs cycles de travail ont été proposés ou imposés aux agents avec pour incidence une multiplication des possibilités (jusqu’à 10 dans un ministère) ; de manière paradoxale, le cycle à 35 heures hebdomadaires n’est pas offert dans certains services alors même que la réforme en faisait la solution pour concilier vie personnelle et vie professionnelle. Les agents ont massivement choisi les cycles les plus longs (38h30) qui leur offrent la contrepartie de nombreux jours de RTT. Le passage aux 35 heures a permis d’épargner des jours de congés non pris ou de RTT non consommés sur un compte épargne-temps (CET). Ces CET ont prospéré et constituent une dette des employeurs vis- à -vis des fonctionnaires, dette valorisée pour la fonction publique d’Etat (FPE) et la fonction publique hospitalière (FPH) mais pas pour la fonction publique territoriale (FPT). L’assimilation entre jours de congés et jours de RTT est une confusion courante.
L’introduction des horaires variables était conditionnée au contrôle du temps de travail accompli, essentiellement par des badgeuses. A quelques exceptions près (dans des ministères notamment), ces badgeuses existent mais le badgeage fait l’objet d’un débat entre partisans et opposants. Les uns y voient la possibilité d’avoir une connaissance précise du temps de travail effectif alors que les autres regrettent une gestion alourdie et la dévalorisation du travail que le badgeage entraînerait.
Par ailleurs, dans les établissements de soins et la police nationale, l’absence de maîtrise du temps de travail s’est traduite par une inflation des heures supplémentaires. Ces heures dues sont une charge pour les finances publiques, d’autant que leur volume est mal connu, surtout dans la fonction publique hospitalière.
La complexité de la mise en place et de la gestion de l’ARTT, la satisfaction des agents et la volonté de maintenir des équilibres ont, jusqu’à présent, peu incité les employeurs (à l’exception de la FPH) à renégocier les accords initiaux ; mais la contrainte budgétaire, l’augmentation du volume des CET, la réorganisation de services et les nouvelles modalités de travail remettent le dossier « temps de travail » à l’ordre du jour, notamment dans la FPT depuis quelques années.
La mission évalue, sur la base des données INSEE, la durée annuelle de travail des fonctionnaires à 1584 heures par an, inférieure de 1,4% à la durée réglementaire. Cette différence s’explique principalement par la nature des missions confiées au secteur public. En effet, les exigences du service public entraînent des contraintes spécifiques dont la contrepartie a porté plus souvent sur la durée du travail que sur les rémunérations, faisant du temps de travail un élément essentiel de compensation des sujétions. Ainsi, à titre d’exemple, les infirmiers(ères) hospitaliers(ères) travaillant la nuit ont une durée de travail hebdomadaire ramenée à 32h30 et les policiers(ères) bénéficient d’un régime d’heures plus favorable lié à leurs horaires de travail atypiques. De même, les astreintes sont deux fois plus importantes pour les agents publics que pour les salariés du secteur privé.
La notion même de temps de travail a beaucoup évolué ces dernières années avec le développement des technologies permettant de travailler en-dehors des heures habituelles de bureau. Ces nouveaux outils, qui permettent ou impliquent de travailler soirs et week-ends, ont rendu floue la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle et contribué à la charge de travail des cadres. Le forfait-jours est à la fois un avantage pour les cadres autonomes, car il leur offre de très nombreux jours de RTT (auxquels ils sont maintenant très attachés), et un inconvénient car ils se doivent d’être constamment disponibles. La conception traditionnelle du temps de travail comme l’organisation des services doivent être reconsidérées au regard de ces nouveaux enjeux numériques.
Au terme de l’analyse qui révèle par ailleurs que le droit européen s’est imposé aussi bien au secteur privé qu’au secteur public dans le souci de protéger la santé des travailleurs, la mission a formulé 34 recommandations qui peuvent être regroupées en quatre axes thématiques :
- fixer les 1607 heures comme moyenne effective de travail dans la fonction publique quand aucune sujétion ne justifie un régime inférieur ;
- moderniser les organisations de travail pour mieux s’adapter aux besoins des usagers (annualisation, moins de cycles, forfait…) ;
- garantir plus d’équité entre fonctions publiques et entre agents placés dans des situations comparables (astreintes, ASA, compensation des sujétions…) ;
- assurer un meilleur suivi du temps de travail