[Entretien # 4 ] avec Gabrielle Cluzel (Boulevard Voltaire) : « Chaque région a ses traditions, ses usages, ses coutumes. C’est un patrimoine immatériel à protéger. »

Observateur et acteur de la vie rurale, Yves d’Amécourt est père de famille, vigneron, ancien élu de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine*, porte-parole national du Mouvement de la ruralité (ex Chasse, pêche, nature et traditions, CPNT). Durant l’été, période propice pour s’intéresser à nos campagnes, il nous donnera son éclairage sur l’actualité paysanne. 

Gabrielle Cluzel : Depuis le 1er juillet, le Puy-de-Dôme a décidé de revenir à la limitation de vitesse de 90 km/h. Cinq autres départements l’ont déjà fait. À la rentrée, sept départements en auront totalement fini avec la limitation de 80 km/h imposée en 2018. Une bonne nouvelle pour le rural que vous êtes ? 

Yves d’Amécourt : Souvenons-nous que cette limitation à 80 km/h est arrivée au Parlement comme un cheveu sur la soupe… Cela ne faisait pas partie du projet présidentiel d’Emmanuel Macron. C’était une idée d’Édouard Philippe. Cette mesure, avec celle d’une nouvelle taxe sur les carburants, avait déclenché la crise des gilets jaunes. Ce furent les deux gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase du « ras-le-bol ». Pour donner des gages aux gilets jaunes après le tour de France du président de la République, le Premier ministre, s’est dit « ouvert à des évolutions » et prêt à laisser les départements revenir aux 90 km/h sur certaines routes. Bref, ce fut la « patate chaude » !

Aujourd’hui, dans certains endroits, une même route change deux ou trois fois de département, et… de vitesse. Si l’on y ajoute quelques carrefours limités à 70 km/h, des hameaux à 50 km/h, tout cela n’a plus aucun sens et devient même dangereux. D’où la décision du Puy-de-Dôme d’adopter la même vitesse que ses départements voisins.

La limitation à 90 km/h devrait être une règle nationale sur les routes départementales qui comportent une signalisation horizontale et, sur les côtés, des bandes multifonctionnelles. Les départements ont engagé des sommes importantes sur ces routes pour en améliorer la sécurité, faire des détours d’agglomérations. Elles sont tout à fait adaptées à une vitesse de 90 km/h, voire 100 km/h. Il en va de même des routes à trois voies. Ensuite, il y a les routes communales et départementales d’intérêt local qui ne comportent pas de signalisation centrale. Elles peuvent être limitées à 80 km/h, voire à 70 dans certain cas.

Cette limitation à 80 km/h n’a pas apporté la preuve de son efficacité sur la réduction du nombre d’accidents. Elle a coûté très cher au contribuable en pose de panneaux, d’une part, et en amende pour excès de vitesse, d’autre part. Nos routes sont un capharnaüm de panneaux.

Ce qui est important, c’est que les limitations soient homogènes le long d’un axe afin que les conducteurs se concentrent sur la circulation plutôt que sur les changements de vitesse. L’idée est tout de même que la vitesse dépende de la qualité du réseau plutôt que de la couleur politique du président du département !

G. C. : Cette semaine, vous avez taclé sur les réseaux sociaux les écologistes qui, dans votre région, la Gironde, s’élèvent contre la plantation de pins maritimes, jugés trop « inflammables ». N’entend-on pas pourtant le même son de cloche du côté des pompiers ?

Y. A. : Les écologistes n’aiment pas la forêt cultivée. Ils n’aiment pas les peupliers, un bois de déroulage, qui a pourtant de multiples usages. Ils n’aiment pas les robiniers qu’ils jugent « invasifs ». Ils n’aiment pas la monoculture des douglas en Limousin. Ils n’aiment pas les plantations homogènes et rectilignes du centre de la France. Ils n’aiment pas les résineux des Landes qu’ils trouvent trop « inflammables ». Ici, nous sommes habitués à leurs lubies sur ce qu’ils appellent « la culture industrielle du pin », la forêt « artificielle », selon leurs mots.

En fait, le pin maritime est une essence indigène des Landes de Gascogne, une des seules qui pousse dans les sables dunaires et les sols acides et pauvres. Il supporte bien les fortes chaleurs et la canicule. Il fait partie des arbres pyrophytes, comme le chêne-liège. Il est inflammable à cause de sa sève. C’est pour cette raison que les sylviculteurs et les pompiers ont mis en place tout un système de DFCI (défense de la forêt contre les incendies).

Je rappelle que les incendies, en France, sont d’origine humaine dans 95 % des cas ! Ce sont les incivilités qui mettent le feu, pas les arbres, fussent-ils résineux.

Dans les Landes, la forêt « primaire » faisait 200.000 hectares et était déjà exploitée par les Romains, pour son bois et sa résine. Elle a disparu avec l’arrivée des Germains. Peu entretenue, elle fut peu à peu défrichée, au profit de l’élevage. Elle est alors devenue un marécage insalubre où les moustiques prospéraient, et avec eux le paludisme. Sans les arbres, le vent poussait le sable dans les terres, créant des dunes mobiles dont l’avancée menaçait les villages et l’habitat des hommes.

Sous l’impulsion de Louis Napoléon, la loi du 19 juin 1857 imposa aux communes de grands travaux d’assainissement des marécages et de plantation d’arbres. Le but était de purifier la zone et de développer la sylviculture pour l’industrie, notamment le gemmage qui permettait de récupérer la sève des pins maritimes pour la transformer en essence de térébenthine et en colophane.

Si les écologistes connaissaient un peu mieux l’histoire des forêts de France ils s’apercevraient que toutes sont des créations des hommes. « Des forêts et des hommes », c’est une longue histoire ! Aujourd’hui, la forêt des Landes est une forêt cultivée qui produit du bois d’œuvre pour la construction, l’ameublement, des bois d’emballage. Les éclaircies successives alimentent l’industrie du papier et du carton… Autant de produits « bio » que les écologistes, par ailleurs, plébiscitent !

On est tout de même dans un drôle de pays où l’on veut du bois pour remplacer le béton et le plastique, pour absorber le gaz carbonique, mais on est contre la culture des arbres ! Pourtant, pour que le bois soit utilisable, il faut que l’homme l’accompagne dans sa croissance avec tout son savoir-faire.

G. C. : On vous a vu, également, paré des attributs traditionnels, participer à une cérémonie d’intronisation à la confrérie des compagnons du Bordeaux dans la ville de Sauveterre-de-Guyenne. Ces cérémonies, au-delà du folklore, revêtent-elles encore, pour vous, de l’importance ?

Y. A. : C’est très important. Nous avions, ce week-end, à Sauveterre-de-Guyenne la 50e édition de « Sauveterre fête ses vins », une fête qui a attiré, pendant trois jours, quelque 15.000 personnes – 10 fois la taille de notre commune – autour de nos vins de Bordeaux et de l’Entre-deux-Mers, de notre gastronomie locale (poissons de la Dordogne et de la Garonne, crevettes de l’estuaire, huîtres de Marennes, canards gras, bœuf de Bazas…), de gastronomies invitées (cuisine réunionnaise et alsacienne), de musiques actuelles (Philippe Etchebest, Mikaël Vigneau, le Collectif Métissé, entre autres) et de bandas. On a chanté, on a dansé, toutes générations confondues.

Le dimanche matin, après la messe en l’honneur des vignerons, en présences des délégations des villes jumelées de Sottrum (Allemagne), Olite (Espagne) et Hadchit (Liban) et après le verre de l’amitié en l’honneur des présidents d’associations, ont eu lieu les traditionnelles intronisations comme « vigneron d’honneur » par la Confrérie des Compagnons du Bordeaux. C’est le moment de remercier des bénévoles très actifs dans les associations et de faire de quelques personnalités notables des ambassadeurs de nos vins.

Nous avons par exemple, cette année, intronisé Thomas Boudat, qui est originaire de notre région et cycliste professionnel (champion du monde de l’Omnium, il a disputé deux fois le Tour de France) et Laurence Harribey, sénatrice.

Ces intronisations ont lieu depuis cinquante ans sur la place carrée de notre bastide et nous y avons accueilli de très nombreuses personnalités.

Cette cérémonie unit toutes les générations. On la regarde petit avec les yeux écarquillés, avant d’être soi-même intronisé quelques années plus tard… puis d’introniser les autres. C’est un moment pour dire du bien des gens sans vanité aucune, simplement par sympathie et reconnaissance. Une mise à l’honneur toute simple. Un instant de bonheur partagé. On lit « l’hymne aux vins de Bordeaux » écrit par Maurice Druon. On jure fidélité aux vins de Bordeaux. Les costumes sont hérités de ceux des Jurats et Échevins qui administraient nos villes au Moyen Âge.

Chaque région a ses traditions, ses usages, ses coutumes. Elles ont été décrites et contées par Marcel Pagnol, Maurice Genevoix, Henri Vincenot et tant d’autres dans des livres extraordinaires. C’est un patrimoine immatériel à protéger.

Lire l’entretien sur le site de Boulevard Voltaire

* 2004-2021 : conseiller général, maire, président de communauté de communes, conseiller régional

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