Observateur et acteur de la vie rurale, Yves d’Amécourt est père de famille, vigneron, ancien élu de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine, porte-parole national du Mouvement de la ruralité (ex Chasse, pêche, nature et traditions, CPNT). Durant l’été, période propice pour s’intéresser à nos campagnes, il nous donne son éclairage sur l’actualité paysanne.
Gabrielle Cluzel : Vigneron en Gironde, vous êtes très affecté par les incendies qui ravagent votre région… Y voyez-vous une fatalité ou pointez-vous du doigt des responsabilités ?
Yves d’Amécourt : L’incendie de Landiras a commencé à 35 km de la maison. Nous avons de nombreux amis dans ce secteur : des forestiers, des élus, des habitants. Depuis chez nous, nous voyons un panache de fumée blanche toute la journée, et la nuit, nous voyons distinctement les flammes qui emportent la pinède. Depuis deux jours, le vent a changé de secteur et apporte avec lui l’odeur de bois brûlé. Le ciel de Gironde s’est assombri. Nous suivons, heure par heure, l’évolution des incendies.
Il semble que l’origine de l’incendie de Landiras soit criminelle. Celle de La Teste-de-Buch accidentelle. La propagation est accentuée par la sécheresse, comme chaque été. La végétation des sous-bois sèche l’été et devient inflammable. Les arbres résineux sont plus sensibles que les feuillus. Mais l’étincelle, elle, est bien d’origine humaine. Elle n’a rien à voir avec le réchauffement climatique.
Il y a deux incendies, dans deux contextes très différents.
D’un côté, une forêt de pins, cultivée et certifiée « gestion durable » pour produire le bois dont on fait des maisons (construction bois), des parquets, des meubles, des palettes et des caisses pour transporter le vin, du papier, des cartons, des emballages… Cette forêt que je connais bien était équipée de piste de défense incendie, accessible pour les pompiers.
C’est une catastrophe pour ceux qui y vivent et ceux qui en vivent, car c’est le travail de deux ou trois générations qui est réduit à néant. C’est un désastre pour de nombreuses familles et pour toute une économie locale.
De l’autre, la forêt « usagère » de La Teste-de-Buch qui a un statut très particulier hérité du Moyen Âge. L’usage de cette forêt est réservé aux habitants de communes du bassin d’Arcachon et cela fait l’objet de très nombreux débats. Les associations locales à tendance écologistes manifestent régulièrement pour empêcher son exploitation, son entretien, son nettoyage… L’année dernière, la sénatrice EELV Monique de Marco s’est vantée, sur les réseaux sociaux, d’être intervenue auprès du gouvernement pour suspendre le plan simple de gestion de cette forêt (PSG), qui organise pourtant son entretien et son exploitation dans le respect de la loi. Le 13 juillet, une association locale appelait à manifester devant la sous-préfecture d’Arcachon pour s’opposer aux aménagements de pistes souhaités par l’État pour la défense contre les incendies. Aujourd’hui, c’est la totalité de la forêt de La Teste-de-Buch qui a été emportée.
Dans les deux cas, c’est un désastre pour la biodiversité car, contrairement à ce que pensent un certain nombre de personnes, le biotope de nos landes girondines est très riche et abrite de très nombreuses espèces. C’est une catastrophe pour l’environnement et pour nos paysages. C’est une catastrophe aussi pour les nombreux acteurs des chasses traditionnelles qui sont très implantées dans cette partie de la Gironde. C’est une catastrophe pour le tourisme autour du bassin d’Arcachon et de la dune du Pilat, dont l’histoire et l’existence sont directement liées à la présence de la pinède.
Enfin, tout cela est un immense gâchis car la forêt est aussi un puits de carbone : un hectare de pin capte, chaque année, 12 tonnes de CO2 (gaz carbonique). Depuis une semaine, 20.000 hectares de forêt ont disparu… C’est une pompe à 240.000 tonnes de CO2 par an que l’on vient de détruire. Un m3 de bois stocke une tonne de CO2 ! Cet incendie a libéré dans l’atmosphère des millions de tonnes de CO2 !
Comme après chaque catastrophe, de nombreuses personnes sont attirées par le bruit médiatique. Elles fourmillent d’imagination pour « en être ». C’est souvent déplacé, parfois indigne. L’urgence, aujourd’hui, c’est d’éteindre l’incendie.
Quand j’entends le président de la région Nouvelle-Aquitaine et le président du département de la Gironde expliquer que, depuis dix ans (les incendies de 2013), ils demandent que les bombardiers d’eau soient stationnés à Mérignac, je me dis qu’ils manquent cruellement d’efficacité ! Car ils sont au pouvoir l’un et l’autre depuis dix ans et c’est leur parti qui était au gouvernement de 2012 à 2017… La vérité, malheureusement, comme pour de trop nombreux sujets, c’est qu’une fois les feux éteints, toutes les questions posées se retrouvent sans réponse… Entre dire et faire, il y a la place pour la sincérité.
La protection incendie est une compétence partagée entre les SDIS [1], qui en assument le coût, et l’État, qui en assure le commandement. Chacun se renvoie la balle. Le bon sens voudrait que l’on choisisse une fois pour toute qui, de l’État ou des collectivités, assume totalement cette compétence.
G. C. : Sur votre compte Twitter, vous rendez hommage à la solidarité d’un collectif d’agriculteurs qui a ravitaillé les pompiers à Landiras. Dans la presse, on lit aussi que des agriculteurs ont prêté main-forte aux pompiers un peu partout en France. La solidarité, dans nos campagnes, n’est pas un vain mot ?
Y. d’A. : L’élan de solidarité est total : préparation des repas, mobilisation des tracteurs, des pompes, des citernes et des tonnes à lisiers, mises en place d’équipe de sentinelles pour surveiller et éteindre les reprises de feu… De nombreux bénévoles sont sur le terrain jour et nuit : agriculteurs, chasseurs, retraités… De nombreux pompiers sont venus de nos casernes girondines. Ils sont pour la plupart « pompiers volontaires », bénévoles eux aussi. Le département et la région ont mis à disposition les cuisines des collèges et des lycées du territoire, les salles de classe, les gymnases, les douches… Tout le monde est mobilisé.
C’est vrai que la solidarité est une valeur forte dans nos territoires ruraux. D’une exploitation agricole à l’autre, d’un voisin à l’autre, d’une entreprise à l’autre, d’une famille à l’autre. Nous l’avons vécu notamment durant les tempêtes de 1999 et 2009, pendant la canicule de 2003, les incendies de 2013.
Certains citoyens s’engagent dans les associations. Dans nos conseils municipaux, la plupart des élus sont bénévoles. Ils donnent du temps à la collectivité.
Dans nos territoires, tout cela va encore de soi. Il y a encore beaucoup de générosité et de bon sens un peu partout. Nos relations sont basées sur la confiance, bien plus que sur la défiance. Quand de nombreuses personnes cherchent à savoir qui est responsable des incendies, d’autres se disent : « Quand et comment je peux aider ? »
La solidarité, c’est l’autre nom de la fraternité !
G. C. : Depuis quelques jours, les médias bruissent de cette « sobriété énergétique » que nous recommandent – avant de nous l’imposer ? – ceux qui nous dirigent. Est-elle un sujet d’inquiétude pour le monde rural ?
Y. d’A. : Bien sûr. Nous sommes en première ligne.
Par nécessité, nous avons plus de voitures par foyer que dans les zones urbaines. En 2017, l’INSEE avait établi que le budget annuel consacré aux carburants atteignait 1.550 euros par an pour un ménage habitant en zone rurale, contre 650 euros en région parisienne. C’était bien avant toutes les vagues de hausse des prix que nous avons connues depuis. Aujourd’hui, il doit se situer autour de 2.000 à 2.200 euros.
Nous avons plus d’habitat individuel. L’habitat est diffus. Nos logements sont plus grands que dans les zones urbaines. Dans une note publiée en décembre 2021, l’INSEE expliquait que « les habitants des zones rurales ont des dépenses énergétiques beaucoup plus importantes que les citadins ».
Sur la base des travaux de l’INSEE, dans une tribune publiée début 2021, j’estimais que le surcoût énergie pour un foyer en commune rurale est de 400 € sur l’année ! Qu’en est-il aujourd’hui ? Sans doute a-t-il quasiment doublé.
Or, nos revenus sont plus bas qu’en zone urbaine. Si nos revenus ne changent pas, si l’énergie continue d’augmenter, nous n’aurons d’autre choix que la sobriété énergétique. Mais pour nombre d’habitants du monde rural, cette sobriété est déjà de mise. Pour un nombre grandissant d’habitants des zones rurales, on ne parle plus de sobriété mais de précarité énergétique.
À court terme, il faut trouver des solutions pour permettre à chacun d’équilibrer son budget familial. Plutôt que verser des chèques, des primes, d’imaginer des tarifs d’accès à l’énergie différenciés… il faut revoir le système des allocations devenu très complexe (nous avons plus de 50 dispositifs !), le simplifier et l’adapter au contexte.
À moyen et long terme il faut repenser notre aménagement du territoire, rapprocher les bassins de vie des bassins d’emploi, mettre fin aux déserts de services publics, équiper les villes moyennes. J’avais signé une tribune collective sur ce sujet en 2020.
Lire l’entretien sur Boulevard Voltaire
[1] Syndicats départementaux d’incendie et de secours qui regroupent les départements et les communes