Par Yves d’Amécourt, ancien élu local (maire de Sauveterre-de-Guyenne, président de la communauté des communes éponyme, conseiller général de la Gironde, conseiller régional de la Nouvelle-Aquitaine), Vice-Président de l’Association « 50 millions d’électeurs », Porte-Parole National du « Mouvement de la Ruralité ».
Ce mardi après-midi à l’Assemblée Nationale, dans une prise de parole solennelle au début de la séance des questions au gouvernement, M. Richard Ferrand, Président de l’Assemblée Nationale, a souligné que « jamais une élection, sous la Vème République, n’a connu un niveau de participation aussi faible que dimanche dernier », avec un taux d’abstention au-delà de 65 %…
Le 1er Ministre Jean Castex lui a répondu que « l’abstention s’adresse à nous tous » reconnaissant qu’« il y a sans doute une explication liée au contexte global, d’autant que l’abstention avant la survenue de la crise sanitaire était en recul ».
Face aux critiques visant le gouvernement, le Premier ministre a renvoyé les élus de tous bords à leurs responsabilités en rappelant que « la détermination des dates des élections départementales et régionales étaient issue d’un consensus. Le gouvernement a entendu les associations d’élus qui avaient exprimé leur préférence pour le report des élections les 20 et 27 juin. »
« Contexte anxiogène, campagne confinée, congés anticipés, migrations vers les résidences secondaires, fête des pères… tout y est passé pour tenter d’expliquer cette abstention abyssale qui ronge la démocratie comme un cancer… » écrivait le journal des Maires. Mais dans le fond, qu’avons-nous fait depuis 20 ans si ce n’est se moquer des électeurs, leur retirer leurs repères essentiels, jusqu’à les dissuader d’aller voter !
La loi NOTRe un repoussoir pour les électeurs.
Des régions surdimensionnées où le lien s’est distendu entre des élus hors-sol et des citoyens enracinés. Des grandes régions qui auront fini d’écrasé la représentation des petits départements ruraux au profit des départements métropolitains, alors que les villes qui pèsent beaucoup dans la répartition des sièges, comptent peu d’électeurs, qui, de surcroit, ne votent pas !
Des cantons trop grands avec comme critère de découpage, outre les arrières pensées politiciennes, la seule démographie … au détriment de la démocratie. Ces derniers sont animés par un binôme de Conseillers Départementaux pour favoriser utilement la parité homme-femme mais qui a desservit la lisibilité et la clarté sur laquelle s’appuie le lien social et la connaissance de ses représentants par le peuple. On ne connait plus son conseiller départemental, comme on connaissait son conseiller général.
Le « conseiller territorial » siégeant à la fois au département et à la région, proposé par François Fillon dès 1995 dans le programme présidentiel d’Edouard Balladur, puis voté en 2011 sous le mandat de Nicolas Sarkozy avant d’être supprimé par François Hollande en 2012, participait de cette « lisibilité » qui encourage la participation et permet la démocratie. Il permettait aussi de diminuer le nombre d’élu tout en assurant une cohérence entre les politiques départementales et régionales.
Aux régionales, un mode de scrutin désuet autant qu’incompréhensible …
Au lieu de cela on a agrandi inutilement les régions … et maintenu le nombre d’élus… L’électeur se trouve devant des listes abondantes avec jusqu’à 200 candidats figurants sur un bulletin de vote devenu illisible. Même pas la place d’indiquer à la fois la profession, le mandat éventuel et la commune de résidence… Des informations pourtant utiles à l’électeur…
Une liste présentée par section départementale … Mais où les scores des différentes listes dans les départements ne sont pas pris en compte dans la répartition des sièges et le résultat final …
Ainsi une liste peut faire 14% des voix dans un département au 1er tour, et ne pas être qualifié pour le second tour … Elle peut être majoritaire au second tour dans un département, et n’avoir finalement que peu d’élus si elle est minoritaire dans la Région !
En pleine crise du Coronavirus, un Etat défaillant
Malheureusement, rien n’a été fait par le gouvernement pour qu’il en soit autrement !
En pleine crise sanitaire, alors que les réunions publiques étaient interdites, aucun service particulier n’a été mis en place sur les télévisions et radios de service public comme cela peut se faire pour d’autres élections ;
A cela s’est ajoutée la bérézina dans la logistique de distribution de la propagande électorale …
Outre la désorganisation des services préfectoraux qui n’était pas équipé pour assumer l’organisation de deux scrutins le même jour … Les vieux démons d’une administration bureaucratisée ont repris le dessus. Ainsi a-t-on vu organisé des commissions de propagande dans les 12 départements de la Région Nouvelle-Aquitaine, pour l’élection régionale alors que le bulletin de vote et la profession de foi étaient identique ! En outre, pour simplifier le tout, chaque département avait ses propres exigences en matière de livraison des documents …
Il y a fort à parier, d’ailleurs, que nombre de fusion au second tour n’a pu être réalisé pour des raisons logistiques bien plus que politiques. La vérité c’est que seules les listes qui avaient envisagé la fusion avant le 1er tour ont pu la réaliser. Car il fallait, dans un laps de temps très court, faire signer aux candidats de la liste issue de la fusion l’original du formulaire CERFA (encore un formulaire !) de candidature au second tour.
Pour couronner le tout, sous couvert de la bonne application du « code des marchés publics » l’Etat a confié à une entreprise qui n’était pas qualifiée pour le faire la distribution de la propagande sur une partie de la France, oubliant que le 1er critère de choix, c’est la qualité de la prestation ! Ainsi de très nombreux électeurs n’ont pas eu connaissance de la tenue du scrutin !
Nous n’avons jamais eu autant de fonction publique et jamais aussi peu de service public ! L’Etat est partout, mais il est incapable d’assumer ses missions essentielles.
Un Etat qui préfère les citoyens tirés au sort, aux corps intermédiaires !
Mettons-nous à la place des électeurs : on leur demande de voter pour des élus locaux et on confie les sujets qui les intéressent à des assemblées citoyennes tirées au sort ! Un comité citoyen pour l’avenir de la planète et du climat, un autre pour recueillir l’avis des Français sur la politique agricole commune (PAC) … Un haut conseil scientifique nommé par lui-même pour conseiller le président sur la crise du coronavirus, et prendre le contre-pied des élus locaux, de l’académie de médecine, des médecins généralistes …
A quoi sert-il d’aller voter dans ces conditions ? Attendons plutôt d’être tirés au sort ! Faisons une « Française des Jeux » de la politique ! Ce gouvernement tourne le dos aux corps intermédiaires …
Les députés LREM ont été choisis par internet sur des critères de non-représentativité, afin d’être bien sûr qu’ils seront dociles et feront allégeance au Président … Comme le dit avec justesse Jean-Pierre Chevènement : « Avec le quinquennat (décidé par Jacques Chirac) et l’inversion du calendrier électoral (décidé par Lionel Jospin), les députés ne sont plus les représentants du peuple. Ils sont les représentants du Président de la République. » A quoi sert-il d’aller voter ?
Il y a quelques années les hommes politiques raillaient les représentants syndicaux élus dans les entreprises par quelques % des salariés : « Vous n’êtes pas représentatifs ! ». Au 1er tour des élections régionales LREM, le parti du Président, a totalisé 3% des voix des électeurs inscrits ! Est-il représentatif ? S’il ne l’est pas, est-il légitime ?
Quid des nouveaux modes de vote ?
Alors que notre jeunesse déserte les bureaux de vote dont l’organisation n’est pas adaptée à son mode de fonctionnement, chacun y va de son couplet pour rendre le vote obligatoire, mettre des sanctions, … Toujours cette manie de la complexité et de la sanction, au lieu de travailler sur la simplicité et l’appétence …
En quelques semaines un homme seul, Guillaume ROZIER, a pu mettre en place « covid tracker », un outil permettant de suivre l’évolution et le suivi de l’épidémie à Coronavirus en France et dans le monde, puis l’outil « vite-ma-dose » une application toute simple d’utilisation pour trouver un créneau de vaccination proche de chez soi, renvoyant dans ses 22 mètres l’administration tout entière … devenant la référence nationale, et recevant une reconnaissance mondiale !
Aujourd’hui nos étudiants votent par toutes sortes d’applications innovantes, prennent des décisions, se consultent, s’invitent et se concertent en digital … Mais non … Pour voter on leur demande de prendre un train, un blablacar, pour aller passer le dimanche chez leurs parents … ou bien de se rendre dans un commissariat de police, une brigade de gendarmerie, après avoir fait une demande préalable sur le site du ministère de l’intérieur … Rien de bien simple en fait, quand ils sont habitués à payer leurs dettes avec LYDIA, et qu’ils confient leurs informations personnelles à la sphère digitale !
Qu’à fait le gouvernement depuis 12 mois et le fiasco des élections municipales pour développer une application « Je Vote » ? A part expliquer de semaine en semaine « qu’il n’aurait pas le temps » ? Pourtant une telle application aurait pu permettre tout à la fois, sur la base du volontariat, de prendre connaissance des candidatures et des programmes, et de voter !
Le samedi vote digital et le dimanche vote physique ! Tout cela était possible. Quand on veut, on peut. Les élections régionales et départementales étaient un bon test pour le faire. Où est passé le génie Français ?
A lieu de tout cela, le gouvernement et ses services ont regardez le temps passer comme une vache regarde passer le TGV, en ruminant… « Aujourd’hui peut-être, ou alors demain … »
Ne sacrifions pas le suffrage universel sur l’autel de la procrastination.
Sans doute nombre de nos gouvernants pensent-ils comme le « politologue » Alain Duhamel qui sur LCI le 20 juin 2017 avait dit la chose suivante : « L’abstention signifie l’inadaptation des Français à la vie politique » …
Me revient en mémoire cette diatribe de Bertolt Brecht : « Le gouvernement estime que le peuple a ‘trahi la confiance du régime’ et ‘devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités ‘. A ce stade, ne serait-il pas plus simple de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? »
Après tout, qui se souci du manque de participation ? On en parle le dimanche soir de 17h à 20h, et après cela : place aux résultats ! Ainsi on nous dira que le Ministre de l’Intérieur lui-même a obtenu 54% des voix dans son canton à Tourcoing … on ne dira pas qu’avec 80% d’abstention, cela représente 10,8% des inscrits. En 2020 déjà, il avait été élu triomphalement dès le 1er tour à la mairie de Tourcoing avec 60,88% des voix … mais 15,22% des inscrits !
En mémoire de ceux qui ont depuis 250 ans œuvrer pour obtenir le suffrage universel tel que nous le connaissons aujourd’hui, d’Olympe de Gouges[1] à Valéry Giscard d’Estaing[2], en passant par Benoit XV[3], Moustapha Kémal[4] et Charles de Gaulle[5], le Conseil National de la Résistance et les suffragettes, … Ne laissons pas la démocratie en jachère !
Sauvons l’universalité du suffrage !
Il est urgent d’agir :
- en redéfinissant les contours et les compétences des territoires pour leur rendre leur humanité,
- en simplifiant les modes de scrutin pour qu’ils soient plus justes et plus respectueux des électeurs,
- en inventant grâce au digital des manières d’apprendre, de comprendre et de voter adaptées aux jeunes générations afin qu’ils se saisissent de leurs droits et prennent conscience de leurs devoirs.
[1] Olympe de Gouges publie en 1791 la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » qui fait écho à la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789, dans lequel elle revendique le droit de vote pour les femmes, puisque « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune« . Elle est arrêtée puis guillotinée en 1793 pour ses écrits sur l’égalité des sexes et la démocratie.
[2] En 1974, le président Valéry Giscard d’Estaing abaisse la majorité électorale à 18 ans.
[3] Le pape Benoît XV se prononce officiellement pour le vote des femmes en 1919, mais cela dessert la cause des suffragettes françaises. Les partis de gauche, pourtant favorables à l’émancipation féminine, y voient l’influence conservatrice de l’Église catholique sur les femmes, ce qui lui permettrait de s’immiscer à nouveau dans la société française.
[4] En Turquie, entre 1930 et 1934, les femmes obtiennent progressivement le droit de voter et d’être élues, d’abord pour les élections municipales, et en 1934, pour voter et être nommés aux sièges du Parlement. En 1935, au Parlement turc, 4,5% des députés étaient des femmes.
[5] « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. » Grâce à cette ordonnance signée depuis Alger le 21 avril 1944, le général de Gaulle accorde aux Françaises le droit de vote et celui d’être élues. C’est ensuite au tour des militaires d’obtenir le droit de vote, le 17 aout 1945, eux qui ne pouvaient voter sous-prétexte de ne pas prendre parti dans les luttes politiques. Le droit est ensuite étendu à l’ensemble des Français d’outremer en 1946. Le 28 octobre 1962, le président Charles de Gaulle, jusque-là élu au suffrage indirect, demande au peuple français, par le biais d’un referendum hautement critiqué par les parlementaires, s’il désire que le suffrage universel direct soit mis en place.