Extrait du discours prononcé le 10 novembre 1848 par Victor Hugo devant l’Assemblée nationale

« …la grande erreur de notre temps, ça a été de pencher, je dis plus, de courber l’esprit des hommes vers la recherche du bien matériel. Il importe, messieurs, de remédier au mal ; il faut redresser pour ainsi dire l’esprit de l’homme ; il faut, et c’est la grande mission relever l’esprit de l’homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand. C’est là, et seulement là, que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même et par conséquent la paix de l’homme avec la société. »

« …quel est le grand péril de la situation actuelle ? L’ignorance. L’ignorance encore plus que la misère. L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes. »

« Personne plus que moi, messieurs, n’est pénétré de la nécessité, de l’urgente nécessité d’alléger le budget. J’ai déjà voté et continuerai de voter la plupart des réductions proposées, à l’exception de celles qui me paraîtraient tarir les sources mêmes de la vie publique et de celles qui, à côté d’une amélioration financière douteuse, me présenteraient une faute politique certaine. C’est dans cette dernière catégorie que je range les réductions proposées par le comité des finances sur ce que j’appellerai le budget des lettres, des sciences et des arts.

Que penseriez-vous, messieurs, d’un particulier qui aurait 500 francs de revenus, qui .:on sacrerait tous les ans à sa culture intellectuelle, pour les sciences, les lettres et les arts, une somme bien modeste : 5 francs, et qui, dans un jour de réforme, voudrait économiser sur son intelligence six sous ? Voilà, messieurs, la mesure exacte de l’économie proposée.

Eh bien ! ce que vous ne conseillez pas à un particulier, au dernier des habitants d’un pays civilisé, on ose le conseiller à la France.

Je viens de vous montrer à quel point l’économie serait petite ; je vais vous montrer maintenant combien le ravage serait grand. Ce système d’économie ébranle d’un seul coup tout net cet ensemble d’institutions civilisatrices qui est, pour ainsi dire, la base du développement de la pensée française.

Et quel moment choisit-on pour mettre en question toutes les institutions à la fois ? Le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir.

Eh ! Quel est, en effet, j’en appelle à vos consciences, j’en appelle à vos sentiments à tous, quel est le grand péril de la situation actuelle ? L’ignorance.

L’ignorance encore plus que la misère. L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes.

Et c’est dans un pareil moment, devant un pareil danger, qu’on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de combattre, de détruire l’ignorance. On pourvoit à l’éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très bien, des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques ; quand donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire dans le monde moral et qu’il faut allumer des flambeaux dans les esprits ?

Oui, messieurs, j’y insiste. Un mal moral, un mal profond nous travaille et nous tourmente. Ce mal moral, cela est étrange à dire, n’est autre chose que l’excès des tendances matérielles. Eh bien, comment combattre le développement des tendances matérielles ? Par le développement des tendances intellectuelles ; il faut ôter au corps et donner à l’âme.

Quand je dis : il faut ôter au corps et donner à l’âme, ne vous méprenez pas sur mon sentiment. Vous me comprenez tous ; je souhaite passionnément, comme chacun de vous, l’amélioration du sort matériel des classes souffrantes ; c’est là selon moi, le grand, l’excellent progrès auquel nous devons tous tendre de tous nos veux comme hommes et de tous nos efforts comme législateurs.

Eh bien, la grande erreur de notre temps, ça a été de pencher, je dis plus, de courber l’esprit des hommes vers la recherche du bien matériel. Il importe, messieurs, de remédier au mal ; il faut redresser pour ainsi dire l’esprit de 1’homme ; il faut, et c’est la grande mission relever l’esprit de l’homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand. C’est là, et seulement là, que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même et par conséquent la paix de l’homme avec la société.

Pour arriver à ce but, messieurs, que faudrait-il faire ? Il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Il faudrait multiplier les maisons d’études où l’on médite, où l’on s’instruit, où l’on se recueille, où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd.

Ce résultat, vous l’aurez quand vous voudrez. Quand vous le voudrez, vous aurez en France un magnifique mouvement intellectuel ; ce mouvement, vous l’avez déjà ; il ne s’agit pas de l’utiliser et de le diriger ; il ne s’agit que de bien cultiver le sol. :époque où vous êtes est une époque riche et féconde ; ce ne sont pas les intelligences qui manquent, ce ne sont pas les talents ni les grandes aptitudes ; ce qui manque, c’est l’impulsion sympathique, c’est l’encouragement enthousiaste d’un grand gouvernement.

Je voterai contre toutes les réductions que je viens de vous signaler et qui amoindriraient l’éclat utile des lettres, des arts et des sciences. Je ne dirai plus qu’un mot aux honorables auteurs du rapport. Vous êtes tombés dans une méprise regrettable ; vous avez cru faire une économie d’argent, c’est une économie de gloire que vous faites.
Je la repousse pour la dignité de la France, je la repousse pour 1’honneur de la République. »

8 commentaires sur “Extrait du discours prononcé le 10 novembre 1848 par Victor Hugo devant l’Assemblée nationale”

  1. il a aussi écrit ceci qui me fait penser à 2002 et à l’apparition d’un petit personnage qui voulait devenir grand:
    « Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
    Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
    Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
    Le front de l’empereur brisait le masque étroit….. »

  2. Monsieur, comment pouvez-vous utiliser un texte de Victor Hugo qui prône (si vous l’avez entièrement lu) :

     » C’est là, et seulement là, que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même et par conséquent la paix de l’homme avec la société.

    Pour arriver à ce but, messieurs, que faudrait-il faire ? Il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Il faudrait multiplier les maisons d’études où l’on médite, où l’on s’instruit, où l’on se recueille, où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd.  »

    Alors que le parti et la majorité auxquels vous appartenez ( il n’y a pas de honte à cela) n’a de cesse de détruire l’Education Nationale et donc ses écoles.

    Comme tout le service public d’ailleurs (cf: traité de Lisbonne + les recommandations de l’OCDE)

    Assumez donc votre position et n’allez pas chercher un texte du Grand Hugo qui dit le contraire de ce que vous faites.
    Pensez-vous que nous puissions être et naïfs et incultes?
    La malhonnêteté intellectuelle me hérisse.

    Ca me rappelle l’utilisation par certain de Jaurès et Guy Moquet et bientôt de la Taxe Tobin que l’on a abhorrée, vouée aux gémonies, ridiculisée.

  3. Cher GPMarcel,

    Je n’utilise rien du tout. Je me permets simplement de mettre sur mon blog, in extenso, un texte de 1848, prononcé par Victor Hugo à l’assemblée.

    L’objectif de cette mise en ligne n’est pas « d’utiliser Victor Hugo », mais de permettre a chacun de le relire afin de pouvoir nourir sa propre réflexion.

    Ce texte a été prononcé en 1848, il a plus de 150 ans. N’en tirons pas des conclusions hâtives et ne l’utilisons pas à d’autres fins que ce pourquoi il a été prononcé à l’époque.

    La compréhension du passé, la connaissance du présent, sont utiles pour la préparation de l’avenir.

    Bien cordialement.

    Yves d’Amécourt

  4. Le lapsus qu’il ne fallait pas faire!!!

    Alors que Hugo parle de  » relever l’esprit de l’homme  » ( … il faut, et c’est la grande mission … relever l’esprit de l’homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand. »…)

    Vous avez lu, Marie Christine, je vous cite :  » « Redresser l’esprit de l’homme », cher Yves, nous avons du pain sur la planche…!  »

    REDRESSER pour RELEVER. Là est tout ce qui nous différencie, là est tout ce qui vous sépare de Hugo. Ce lapsus de lecture est REVELATEUR

    Nous voulons permettre aux consciences de s’ouvrir et non les redresser, les raboter, comme planches torves ou gauches.

    Travailler ces consciences, comme vous voulez le faire, c’est les affadir, les égaliser à votre idée, c’est donc les emprisonner dans un schéma alors que notre, mon but c’est de les rendre libres.

    En voulant REDRESSER ce qui était à RELEVER vous a, bien à moi, malheureusement à vous, REVELE.
    Trahie par sa lecture.
    On ne peut plus avoir confiance en personne, même pas en ses mots qui deviennent maux.

  5. @ Monsieur D’Amecourt

    D’accord à quatre vingt dix pour cent avec votre phrase:  » La compréhension du passé, la connaissance du présent, sont utiles pour la préparation de l’avenir.  »

    Le détail, mais de taille, dans la perspective qui nous tombe sur les genoux…au mot PREPARATION j’aurais préféré CONSTRUCTION qui inclut dans sa pensée le « Tabula rasa » de St Augustin.

    Bien à vous.

  6. Cher J.PMarcel,

    « redresser l’esprit de l’homme » était dans la phrase
    juste au dessus, vous l’avez sorti de son contexte.

    Je pourrais vous dire qu’avant de se relever, il faut se redresser, mais je vois que je n’ai pas droit à l’erreur
    aussi je ferai attention à mes prochains propos. Loin
    de moi de vouloir « travailler » les consciences, ce n’est
    pas dans mes intentions, je vous rassure.

  7. Depuis quelques années le collège de Bazas souffrait de très préjudiciables dégradations que le temps lui infligeait jour après jour. Les chefs d’établissement successifs ne manquaient pas chaque hiver de signaler ces infamies au Conseil Général, et plus précisément à son président. Rien n’y faisait.
     » Pas de budget « , leur répondait-on.  » Le gouvernement, sa politique de rendre exsangues les collectivités territoriales… »
    Mais miracle il y a peu. Miracle, sans nul doute dû à une manne impromptue et bienfaitrice. Finies, donc, les températures glaciales dans les salles de classes, fini le gymnase, lui aussi glacial et complètement délabré.
    Une députée PS et un conseiller général PS, lui aussi, sont venus informer en délégation exceptionnelle que tous les travaux nécessaires seraient réalisés pour la rentrée de janvier.
    Bien sûr, ceux qui pensent que cette magnifique démarche serait due aux prochaines élections cantonales seraient réputés avoir mauvais esprit. Même si le conseiller général du canton n’a pas été informé de la mesure. Même si celui-ci est UMP et membre de droit du conseil d’administration du collège en question.

    N. B. 1 :
    Glaciales : 4 degrés le matin dans les classes ; 2, dans le gymnase plusieurs jours consécutifs les hivers passés et les jours précédents ces lignes.
    N. B. 2 :
    Les parents d’élèves et les personnels du collège sourient un peu, beaucoup même, qu’on les considère ainsi.
    N. B. 3 :
    Quel plaisir de relire Victor Hugo.

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