Intervention du père Roumanos Sassine lors de la conférence donnée à Hadchit lors de la cérémonie de Jumelage avec le Sauveterrois.

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IMG_2249.JPGIntervention du père Roumanos Sassine lors de la conférence donnée à Hadchit, le 14/08/2016 : histoire, politique et relations entre les maronites libanais et la France. A l’occasion de la signature du protocole de jumelage entre la communauté des communes du Sauveterrois et la commune de Hadchit.

Cher père Christophe,
Chers pères et sœurs,
Monsieur Yves d’Amécourt, maire de Sauveterre-de-Guyenne et Président de la communauté des communes du Sauveterrois, et madame,
Membres de la délégation de jumelage, élus et citoyens,
Monsieur Robert Sakr, maire de Hadchit,
Maître Elie Homsi, ancien maire de Hadchit,
Membres du conseil municipal,
Mesdames et Messieurs,

Parler des maronites à Hadchit, ancienne colonie phénicienne et forteresse de la Résistance maronite, qui a donné le Patriarche Daniel de Hadchit (1278-1282). Celui-ci a pu stopper les Mamelouks quarante jours à Ehden, chose étrange voire déplacée.

Parler des maronites en présence d’une délégation française à Hadchit paraît une chose louable qui honore la France, grand ami du Liban et de la Nation maronite.

il me paraît utile d’examiner l’état de la religion aux premiers siècles de la chrétienté.

Après les persécutions à Jérusalem, les croyants en Jésus comme Fils de Dieu se sont dispersés en Phénicie, en Chypre et en Antioche (Actes 11/19). Rejoignant Paul et Barnabé, Pierre, chef des Apôtres fondit une communauté chrétienne à Antioche, ville d’ouverture, de dialogue et d’initiative. Et c’est à Antioche que les disciples de Jésus furent appelés chrétiens (Actes 11/26).

Depuis Constantin, Rome professait le christianisme (13 juin 313, l’édit de Milan). Byzance hérita Rome. A Antioche commence des discussions christologiques qui ont impliqué Alexandrie, Rome et Byzance.

  • L’arianisme (Alexandrie) : Dieu est unique et inengendré, mais que le Verbe, son intermédiaire avec le genre humain, est créé sans être éternel.

Le concile de Nicée, en 325, avait condamné l’arianisme et proclame que le Christ est de la même essence divine que le père.

  • Le nestorianisme (Antioche-Constantinople) : Nestorius distingue deux natures séparées, divine et humaine, dans le Christ (diophisisme).

Le concile d’Ephèse, en 431, a condamné le nestorianisme.

  • Le monophysisme fait son apparition par opposition au diophysisme de Nestorius.

Eutychès (Constantinople), prêcha qu’après l’Incarnation il ne subsistait plus qu’une seule nature dans le Christ, celle de Dieu. Niant que l’humanité du Christ fut identique à la nature humaine.

Le concile de Chalcedoine, en 451, a condamné le monophysisme.

Après cette date, l’empire se scinda en deux camps ennemis : chalcédoniens (deux natures) et non-chalcédoniens (une seule nature).
En 517, les maronites, fervents défenseurs de la foi chalcédonienne, payèrent un lourd tribut de sang : 350 moines furent massacrés par les non-chalcédoniens.
En 518, Justin décréta que la foi chalcédonienne devenait obligatoire pour tous les chrétiens de l’Empire. Une chasse aux monophysites commença.
Le calme ne revint qu’en 527, lorsque Justinien succède au trône, inspiré par l’impératrice Théodora, son épouse, attachée au monophysisme, il nomma Anthyme, un patriarche monophysite à Antioche celui-ci fut déposé un an plus tard par Rome. Il y a eu deux patriarches monophysites, un à Alexandrie et un autre à Antioche.
L’invasion perse (613) fut refoulée en 627 par Héraclius qui, aidé par Sergius, patriarche de Constantinople (610-638) essaya de rallier les monophysites à l’Empire, en leur offrant une forme atténuée de la foi chalcédonienne, « moyen terme entre le monophysisme hérétique et le duophysisme catholique : ce fut le monothélisme, qui affirme l’existence d’une volonté (ou activité) unique dans le Christ.
En 680-681, le concile de Constantinople III condamna le monothélisme et confessa la pleine humanité du Christ en lui reconnaissant une volonté humaine, distincte de sa volonté divine.
Mais entretemps, la Syrie et l’Egypte furent perdues par la conquête arabe (633-638).

En parallèle des discussions christologiques déjà citées, un courant spirituel traversa l’Egypte et la Syrie. En Egypte, est né le monachisme oriental au 3ème siècle, (illustré notamment par les pères du désert, comme Saint Antoine le Grand). En Syrie et en Mésopotamie, le monachisme connait un premier essor au 4ème siècle. Aux environs d’Antioche, grâce aux écrits de Jean Chrysostome, des moines y vivaient dans des huttes séparées, les kalbbia, formant un hameau sur les pentes de la montagne.
A Apamée, Saint Maroun vit en anachorète. Theodoret de Tyr (393-460) raconta, en l’an 440, l’histoire des ascètes d’Orient, et dit au sujet de Saint Maroun qu’il était un ermite et qu’il soulageait les corps et guérissait les âmes. Il avait de nombreux disciples. Saint Jean Chrysostome, depuis son exil (404-407), lui a écrit une lettre amicale.
Saint Maroun mourut vers l’an 410. Aux bords de l’Oronte, les disciples de Maroun vivaient en communauté. Pendant la conquête arabe, en 636, le siège patriarcal d’Antioche étant vacant et vu leur responsabilité dans la préservation de la vraie foi, les moines maronites ont élu un patriarche parmi eux et fut Saint Jean Maroun qui conserva ainsi la continuité apostolique à Antioche depuis Saint Pierre. Les persécutions arabes s’accentuèrent, le patriarche fit pousser à l’exode avec une partie de son peuple vers une terre nouvelle où il a pu retrouver des frères dans la foi depuis les temps apostoliques. Jean Maroun ne cessa pas de mener le plus noble des combats en établissant des églises, en ordonnant des prêtres, en fondant des paroisses dans la vraie foi. Il mourut en 707. Après lui, des patriarches occupèrent le siège patriarcal.

En l’an 1100, les armées franques débarquèrent à Antioche et à Jérusalem.

L’an 1280, le patriarche Daniel de Hadchit reçut la lettre de confirmation du Pape Nicolas III, prescrivant que le Saint Chrême se composa désormais d’huile d’olive et de baume seulement.
En l’an 1282, le patriarche Daniel de Hadchit conduisit personnellement ses hommes pour se défendre contre les troupes des Mamlouks égyptiens qui avaient attaqué la joubbé de Bécharré ; il parvint à stopper l’avance des soldats pendant 40 jours devant Ehden. Les Mamlouks ont réussi à capturer le patriarche et l’exécuter suite à une conspiration par un des maronites connu sous le nom d’Ibn Sabha, qui plus tard a regretté sa trahison et construit Notre Dame de Hawqa.

Rapports franco-maronites : (de Saint Louis au Général Charles De Gaulles).

Dans cet exposé, je vais traiter le rôle primordial de la France et de la francophonie dans tout ce qui touche l’identité maronite.

Saint Louis a été le premier Roi de France qui eut des rapports directs avec les maronites. Le 24 mai 1250, pendant sa première croisade, le fils d’un chef maronite vint le trouver à Saint-Jean-D’acre, lui apporta des cadeaux, entre autre des chevaux magnifiques, mais surtout 25000 combattants maronites et l’assura de l’ardente amitié de toute sa nation maronite pour la France.

Saint Louis répondit en l’assurant de toute sa protection, ses paroles devinrent la charte du roi Louis IX aux maronites :

«Louis, roi de France, à l’Emir des Maronites, au mont Liban et aux patriarches et évêques de ladite nation.
Notre coeur fut rempli de joie, lorsque nous avons vu notre fils Siman venir à nous, accompagné de 25000 hommes, nous portant le témoignage de vos sentiments d’amitié, et nous offrant ces magnifiques cadeaux. En vérité notre amitié sincère que nous avons commencé à ressentir envers la maison maronite, lors de notre relâche à Chypre, où ils sont établis, s’est redoublée aujourd’hui davantage, et nous sommes persuadés que cette nation, que nous trouvons établie sous le nom de Saint Maron, est une partie de la nation française ; car son amitié pour les Français ressemble à l’amitié que les Français se portent entre eux. En conséquence, il est juste que vous et tous les Maronites jouissiez de la protection dont les Français jouissent près de nous, et que vous soyez admis dans les emplois comme ils le sont eux-mêmes.

C’est pourquoi nous vous exhortons, ô émir très noble, de faire tous vos efforts pour rendre le peuple libanais heureux, et de prendre soin d’établir des nobles parmi les hommes que vous trouverez les plus dignes, comme c’est l’habitude en France. Pour vous, seigneurs, patriarche et évêques, clergé et peuple maronite, ainsi que votre grand émir, nous avons vu avec grande joie votre constant attachement à la religion catholique, et votre vénération pour le chef catholique, successeur de saint Pierre à Rome : nous vous exhortons à conserver cette vénération, et à rester inébranlables dans cette foi.

Pour nous et nos successeurs sur le trône de France, nous promettons de vous donner, à vous et à tout votre peuple, notre protection spéciale, comme nous la donnons aux Français eux-mêmes, et nous nous emploierons en toute circonstance à tout ce qui contribuera à votre prospérité. »

Capturé et emprisonné a Mansourah, Saint Louis demanda des secours au Liban, et c’est grâce aux renforts venus du pays des cèdres que les Sarrasins libérèrent le Roi. Le Roi fit également don de sa Crosse aux maronites en signe de reconnaissance.

L’annexion de Lyon au royaume de France, en 1208, et l’importance qu’y avait prise l’industrie de la soierie, donnait un nouvel essor au commerce français en Syrie. Ainsi, les consuls de France à Sidon, à Tripoli puis à Beyrouth participèrent au développement du commerce français et à la protection de leurs intérêts. Au début du XIV siècle, la France venait au premier rang des puissances commerçantes dans les échelles de Syrie.

En 1535, François 1er conclua une capitulation avec Soliman II, ainsi, la France devenait la seule puissance chrétienne admise officiellement dans l’empire ottoman et autorisée à y séjourner et à trafiquer. Aussi Soliman II avait garanti à deux reprises, en 1549 et en 1553, aux maronites le libre exercice de leur culte catholique. En effet, seul le patriarche maronite n’avait pas l’obligation de faire allégeance au sultan ottoman.

Avec la capitulation de 1604, conclue entre le roi Henri IV et le sultan Ahmad, la France a garanti la liberté religieuse dans l’empire ottoman, la garde des Lieux Saints et la protection des chrétiens orientaux. Au XIXème siècle, les maronites du Liban jouissaient de la protection toute particulière de la France.

En 1649, Louis XIV, dans une lettre adressée au patriarche des Maronites, renouvela les assurances les plus formelles de son amitié royale et de sa protection. En 1661, il établit un consulat français à Beyrouth et en investit le cheikh maronite Abou Naoufal Khazen, avec tous les « honneurs autorisés… » dont jouissaient les autres consuls français du Levant. L’émissaire du patriarche auprès de Versailles fut l’évêque de Tripoli Monseigneur Isaac Chedrawi qui mourut en 1656 et fut inhumé à saint Jacques à Jbeil.

Louis XIV, dans une lettre du 28 avril 1649, se proclama protecteur des maronites. Louis XV le 12 avril 1737, reconduisa les dispositions de Louis XIV.

En 1860, Napoléon III a envoyé un contingent de 12000 hommes, commandé par le général de Beaufort d’Hautpoul, pour défendre les chrétiens du Liban et de libérer Deir el Kamar.
Après la première guerre mondiale, le 25 octobre 1919, le patriarche maronite Eliès Hoyek, président de la délégation libanaise à la conférence de la Paix, à Paris, agissant au nom du Gouvernement et du conseil administratif du Liban, dont il a mandat, a demandé entre autres ; la reconnaissance de l’Indépendance du Liban proclamée par le gouvernement et le peuple libanais, le 20 mai 1919. Et la restauration du Liban dans ses limites historiques et naturelles.

  • L’indépendance du Liban surtout « une indépendance complète vis-à-vis de tout état arabe qui se constituerait en Syrie. Par une conception abusive de la langue on a voulu confondre le Liban et la Syrie ou, plutôt, fondre le Liban dans la Syrie. C’est là une erreur. Sans remonter à leurs ancêtres, les Phéniciens, les Libanais ont toujours constitué une entité nationale distincte des groupements voisins par sa langue, ses moeurs, ses affinités, sa culture occidentale. » « Cette indépendance du Liban vis-à-vis de tout gouvernement syrien, arabe ou autre, se justifie par d’autres considérations dont l’importance n’échappera pas à la conférence de la Paix ».

– considérations historiques :

A travers l’histoire, le Liban a conservé, pendant la conquête arabe ou la domination ottomane, souvent une complète autonomie, qui fut consacrée par les grandes puissances suivant un règlement en 1860. Même la Turquie ne chercha, en aucun moment à fusionner le Liban avec les vilayets voisins.

– considérations politiques :

Cette situation indépendante du Liban s’appuyait sur une organisation politique, puis parlementaire, qui resta sur tout le territoire de l’Empire la seule de ce genre. Alors que la Syrie voisine subissait le sort de toutes les provinces turques.

D’autres considérations de culture et de principe restent à évoquer plus tard.

Après l’indépendance (1946). Le général de Gaulle et le Liban.

Le général De Gaulle a séjourné plusieurs fois au Liban, entre novembre 1929 et janvier 1932, entre 25 juillet et 21 août 1941, et entre 11 septembre et 10 octobre 1942.
En reconnaissance des libanais envers Charles De Gaulle, le 9 novembre 1972, un millier des cèdres du Liban avait été planté sur la colline où la croix de Lorraine veille sur le dernier sommeil du Général à Colombey-les-deux-Eglises.

Je termine avec le témoignage du chef des Français Libres à Beyrouth, le 27 juillet 1941 : « Si nous sommes heureux de prendre de nouveau, depuis hier, contact avec le Liban, c’est d’abord, évidemment, parce que dans tout coeur de Français digne de ce nom, je puis vous dire que le nom seul du Liban fait remuer quelque chose de très particulier. Et j’ajoute que c’est d’autant plus justifie que les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple dans l’histoire du monde qui, à travers les siècles, quelles qu’aient été les péripéties, les malheurs, les bonheurs, les destins, le seul peuple dont jamais, aucun jour, le coeur n’a cessé de battre au rythme de la France ».

Enfin, je vous remercie mesdames et messieurs de m’avoir prêté une oreille attentive et un grand merci aux pionniers du projet de jumelage : Maître Elie Homsi, ancien maire de Hadchit et mon cher frère Pierre Sassine, artisan du jumelage avec monsieur Roger Bounader.

Je suis heureux que ce jumelage prenne acte aujourd’hui à la veille de la fête de l’Assomption de la Vierge Marie, Mère de Dieu, Patronne de la France et du Liban.
Vive la France, et vive le Liban.

Père Roumanos SASSINE, natif de Hadchit,
-Curé de Saint Jacques Byblos-Jbeil,
-Protopresbytre du second district de l’Eparchie Maronite de Jbeil,
-Président et Directeur général de la caisse de retraite des prêtres séculiers à l’Eparchie Maronite de Jbeil.
-Membre du conseil presbytéral.
-Membre du collège des consulteurs éparchiaux.

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