Poème de CLOVIS HUGUES Paru dans « LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES », revue populaire du 16 avril 1899 (Collection personnelle Christian de LOS ANGELES). Merci aux « nouvelles de la vallée du Ciron » d’avoir exhumé ce joli texte !
Béni soit le soleil, père de toutes choses,
Qui, tout en s’occupant de nous faire des roses
Avec son baiser d’or et ses rayons divins,
Trouve encore le temps de féconder les treilles
Dans la saison charmante et douce où les abeilles
Volent aux pampres, lourds du vieux renom des vins !
Mais surtout gloire à lui, gloire à l’oeuvre féconde
Qu’il accomplit d’en haut pour la gaieté du monde !
Gloire à lui, quand, versant partout l’ivresse à flots,
Il fait jaillir du sol qui s’entrouvre et qui fume
Les flots légers, les sols vivants, la blonde écume
Du Champagne, à travers la chanson des goulots !
Le meilleur vin reste un peu fade
Quand on ne trinque qu’une fois :
Vive la dernière rasade
Qui fait trembler le verre aux doigts
C’est elle seule, ô doux mensonge,
Qui peut, lorsque le rire a fui,
Ressusciter le premier songe
Et noyer le dernier ennui !
C’est pour la rasade suprême
Où l’on boit pour tout oublier
Que l’automne écrit le poème
Des vignes bordant le sentier.
Le vent léger, à cause d’elle,
Caresse les pampres jaunis,
Et les grives battent de l’aile
Ne sachant plus où sont leurs nids.
Qu’un autre à ma place révère
Les sages qui font leurs discours !
Le temps s’en va, les jours sont courts :
Buvons encore un large verre
A la santé de nos amours !
Convives, soyons doux, puisque la vigne est douce !
Alors qu’elle frissonne en poussant, ce qui pousse
Dans le fouillis des ceps tout plaqués de tons verts,
Ce n’est pas seulement la plante avec sa sève,
C’est aussi l’idéal et c’est aussi le rêve
Subitement éclos dans l’audace du vers.
Que de quatrains mignards ont déjà l’aile prise
Aux longs rameaux tordus effleurés par la brise !
Que de strophes, demain, monteront vers les cieux
Dans le matin vermeil, loin des regards profanes,
Après avoir trempé leurs plumes diaphanes
Dans le vin célébré par les bardes joyeux !
Parlez nous, ô France maternelle
Qu’on n’évoque jamais en vain !
L’humanité, source éternelle,
Jaillit dans l’âme du vin.
Le Champagne, que nous envie
L’allemand méthodique et froid,
Met une espérance de vie
Dans le dernier verre qu’on boit.
C’est pour cette rasade seule,
Douce aux amants, chère aux amis,
Que la nature, bonne aïeule,
A créé les plaisirs permis.
Qui n’a sa petite faiblesse
A l’appel du divin moqueur ?
Quel est le vin qui ne nous laisse
Un peu d’azur au fond du coeur ?
Qu’un autre à ma place révère
Les sages qui font leurs discours !
Le temps s’en va, les jours sont courts :
Buvons encore un large verre
A la santé de nos amours !