L’écureuil, le roquet, le pivert et le poisson rouge.

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Dans le petit bois de Trousse-Chemise, sur l’île de Ré, vivait un écureuil. Son agilité était connue de tous. Son amour des glands, aussi.

Il disait : « C’est avec les glands qu’on fait les chênes ! Mangez des glands et vous serez plus fort. Et ce n’est pas de la langue de bois ! »

Influencés par l’écureuil, chacun s’était mis à consommer des glands. Le gland de ré avait la côte.

Au fil des années, l’écureuil avait acquis une grande notoriété. Il faut dire que du haut des cimes, il voyait toute l’île. Si bien que chacun comptait sur lui pour l’avertir des dangers, des intempéries, des tempêtes, d’eau ou de sable. Il faisait le lien entre la terre et le ciel, en quelques sortes.

Quand tout allait bien il chantait un «ré». Pour le danger c’était un « do »… Chaque information avait sa note. Et lorsqu’il descendait des arbres pour une réunion publique, c’était un « sol » !

A la fin des réunions tout le monde chantait l’hymne de l’écureuil : « Do ré mi fa sol la si do, gratte moi la puce que j’ai dans le dos. Si tu l’avais gratté plus tôt, je n’serai pas monté si haut ! » Et l’écureuil, d’un seul élan, remontait dans les arbres ! Tout le monde applaudissait et reprenait sa tâche où il l’avait laissée, avant que le « sol » ne soit entonné.

L’écureuil faisait l’unanimité. L’unanimité, ou presque. Car, dans la ferme voisine, un petit roquet, le jalousait.

De temps à autre, il faisait des réunions pour dire tout le mal qu’il pensait de l’écureuil :

Il commençait par le flatter, pour capter l’attention : « Certes l’écureuil est agile et léger. Certes il a un beau toupet. Oui l’écureuil connait toutes les branches des arbres, il voit loin… »

Puis il le critiquait : « Mais il n’a pas les pieds sur terre ! Ca crève les yeux ! Que connait-il de notre condition ? Connait-il les flaques d’eau, la boue, les salissures ? Sait-il comme en bas, la vie est plus dure ? »

Et le roquet de conclure : « Notre condition ne l’intéresse pas. Pourtant, ce n’est pas dans les cimes que se décide notre avenir. C’est ici, c’est en bas ! Avec l’écureuil, attendons-nous au pire.»

Petit à petit, le discours du roquet fit flores. En se promenant, il en rajoutait. Croisant une grenouille, il lui disait : « Vous avez vu l’écureuil ici ou là? Non ? Décidément, la vie d’en bas ne l’intéresse pas ! »…

Le pivert en rajoutait « l’écureuil, la vie d’ici-bas ne l’intéresse pas »… Et petit à petit l’idée faisait son trou dans tous les esprits. Ceux qui quelques semaines plus tôt plébiscitaient l’écureuil, se mire à douter de lui.

Et le pivert poursuivait son travail de sape « l’écureuil n’en a que pour les cimes, la vie d’ici-bas ne l’intéresse pas »…

Les élections approchaient. Le pivert et le roquet avait bien envie d’être candidat. Alors on organisa un primaire ! Il y eu 3 candidats : le roquet, le pivert, et un poisson rouge ! Il voulait être le messager des « sans voix ». Et ça tombait bien, car il n’en avait pas.

Le poisson rouge fit campagne sur les thèmes ouverts par les deux autres :

« je vis en bas, je suis d’ici, je ne connais pas les cimes, je n’ai jamais vu la Chine… Je serai toujours parmi vous »

« Je pèse mes mots… Je connais les flaques, je connais la boue »…

« Je ne consomme pas de gland, je ne serai pas le Président des Chênes ».

« Prendre de la hauteur ne m’intéresse pas… »

«Mon ennemi n’a pas de nom, pas de visage… Il se trouve dans les cimes et les branchages. »

Le pivert et le roquet, tellement préoccupés à dire du mal l’un de l’autre et de l’écureuil, écoutaient le poisson rouge d’une oreille distraite…

Pendant ce temps, le poisson rouge, lui, devisait : « L’écureuil nous parle d’une tempête… Mais là où je suis, je n’en vois pas. » « Comment voulez vous que l’on croit quelqu’un qui vit en haut des arbres ! » « Là où je suis, le vente m’importe peu, je ne sens pas la houle ! Je n’ai pas peur des vagues.» « Si vous votez pour moi, vous serez comme des poissons dans l’eau » « Dans mon étang on ne ressent la tempête, ni derrière, ni devant ! »

Et le poisson rouge, haut-la-main, gagna l’élection primaire !

Pendant quelques mois, on n’avait parlé que d’eux : du pivert, du roquet et du poisson rouge. Si bien qu’après cet épisode, l’écureuil du refaire son retard… Il fit campagne.

Allant de branche en branche, d’arbre en arbre, d’étang en margouillis, de Ré-union en Ré-union…

Le pivert et le roquet, contre-mauvaise-fortune-bon-cœur, faisait la campagne du poisson rouge !

Le roquet aboyait, et se disait que pour aboyer, le poisson rouge aurait besoin de lui…

Le pivert savait enfoncer des idées dans le crane des citoyens, comme on creuse le tronc des arbres pour y faire son nid, le poisson rouge aurait besoin de lui. Il poursuivait donc son travail de sape : « l’écureuil, la vie d’ici bas ne l’intéresse pas »…

De nombreux habitant de trousse-chemise ne voulaient plus voter pour l’écureuil – le pivert les avait convaincu- mais ne croyait pas à l’avenir du poisson rouge non plus…

Mais le roquet leur disait : « le poisson rouge est capable de survivre en apnée ! Il n’a pas besoin de respirer… » Et tout le monde était fort impressionné !

Le jour du choix, de nombreux habitants de l’île ne vinrent pas voter. D’autres, glissèrent un bulletin blanc dans l’urne. D’autres, enfin, votèrent pour le « poisson rouge » convaincu par le pivert, qu’il fallait voter « contre l’écureuil ».

Le jour du choix, c’est le poisson rouge qui l’emporta, d’une courte tête, d’une queue de poisson… L’écureuil, lui, remonta dans les arbres.

A la 1ère annonce de vents violents, on posa le poisson rouge au pied d’un arbre… Mais malgré ses très grandes qualités, il n’avait pas l’agilité de l’écureuil.

A la première tempête, faute de préparation, le petit bois de Trousse Chemise fut entièrement dévasté par le vent et par la pluie. Et lorsqu’on se retourna pour leur demander leur avis, le roquet et le pivert n’étaient plus là…

On se souvint alors de cette citation d’Albert Einstein : « Tout le monde est génie, mais si on juge un poisson par sa capacité à grimper aux arbres, il vivra sa vie entière en croyant qu’il est stupide. »


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