Les accords de 1968 à la lumière du présent

L’Assemblée nationale vient de voter la fin des accords franco-algériens du 27 décembre 1968¹. C’est un geste politique, certes symbolique, mais salutaire : il oblige la France à relire un texte devenu obsolète, et à rouvrir un dossier qu’on avait enfermé dans les archives de la mauvaise conscience. Un demi-siècle d’asymétrie, d’aveuglement et de faux-semblants : voilà ce que ces accords ont produit, sous le masque de l’« amitié franco-algérienne ».

1962 : la promesse trahie des accords d’Évian
Le 18 mars 1962, les accords d’Évian mirent un terme aux combats, mais non à la guerre². Les massacres, les départs, les règlements de compte prolongèrent la tragédie : l’exode des pieds-noirs, l’abandon des harkis, les drames de la rue d’Isly, à Alger, le 26 mars 1962 et d’Oran, le 5 juillet. L’Algérie devenait indépendante, mais la paix, elle, restait à construire. Évian prévoyait la liberté de circulation entre les deux pays, la coopération économique, la protection des biens et des personnes. Les Algériens pouvaient, selon leur statut civil, conserver ou reconnaître la nationalité française jusqu’au 22 mars 1967³. Mais très vite, le régime algérien, né du FLN, verrouilla le pays. L’armée prit le pouvoir ; la suspicion remplaça le dialogue ; la « libération » s’acheva en confiscation et en opression.

1968 : réguler ce qui débordait
Six ans après Évian, la France cherchait à encadrer des flux migratoires devenus massifs. L’accord du 27 décembre 1968⁴ institua alors un quota annuel de 35 000 travailleurs, un certificat de résidence (valable cinq ou dix ans), un regroupement familial facilité, et une commission mixte chargée d’en suivre l’application. Mais surtout, son article 10 précisait que le titre de séjour pouvait être retiré à tout Algérien « considéré comme oisif », c’est-à-dire sans emploi ni ressources depuis plus de six mois⁵. Cette clause, qui liait le droit de séjour à l’activité, tomba rapidement en désuétude. La France, fidèle à son humanisme, préféra la tolérance à la rigueur. Ainsi s’installa un régime à sens unique : des droits étendus, mais peu de devoirs, et pratiquement aucune réciprocité⁶. Les avenants de 1985, 1994 et 2001, censés « moderniser » l’accord, n’en changèrent pas l’esprit.

La France patiente, l’Algérie rancunière
On parle volontiers d’« amitié franco-algérienne ». Mais l’amitié, disait Montaigne, suppose la vérité. Or, depuis soixante ans, la relation franco-algérienne repose sur le mensonge et la dissimulation. L’Algérie officielle entretient le ressentiment comme une rente d’État. Elle a bâti sa légitimité sur la haine du colonisateur, qu’elle ressuscite à chaque crise intérieure. Son pouvoir se nourrit du passé : il rejoue sans fin la guerre d’indépendance pour masquer ses échecs de gouvernement. Pendant ce temps, une partie de son élite vit à Paris, soigne ses proches dans nos hôpitaux et éduque ses enfants dans nos écoles — tout en accusant la France d’être la source de ses malheurs. C’est pratique. La répression, elle, s’exerce sur place : Boualem Sansal, Kamel Daoud, Ihsane El Kadi⁷, Mustapha Bendjama, ou plus récemment le journaliste français Christophe Gleizes⁸, tous connaissent ou ont connu la prison, l’exil ou le harcèlement judiciaire. Leur seul crime ? Aimer la liberté autant que la vérité. Dire qu’il n’y a pas de liberté sans vérité.

Un pays qui n’a pas gagné la paix
L’Algérie pense avoir gagné la guerre. En réalité, elle n’a jamais gagné la paix. Elle s’est libérée de la France pour tomber sous la tutelle d’une oligarchie militaire et pétrolière. Les ressources du sous-sol n’ont pas enrichi le peuple mais entretenu la dépendance. Les jeunes fuient, les intellectuels se taisent, et la Kabylie — cette terre rebelle où bat le cœur de l’âme berbère — reste marginalisée, surveillée, suspecte.

Le pouvoir désigne un bouc émissaire commode : la France.
L’accusation du « colonialisme » sert de paravent à la corruption, à la censure et à la faillite économique. C’est une musique politique : plus elle est forte, plus elle couvre le bruit des chaînes et le silence des agneaux.

Refonder ou cesser d’entretenir l’illusion
Le vote français du 30 octobre 2025 ne clôt pas un traité, il ouvre un débat. La dénonciation formelle d’un accord bilatéral relève du droit international, mais la volonté politique est là : relire, réévaluer, renégocier. Il est temps de transformer ce texte unilatéral en véritable contrat, fondé sur des droits et des devoirs réciproques. Ceux du droit international. Sans faux semblants. Droit de séjour et devoir d’intégration ; droit à la coopération et devoir de réadmission ; droit à la mémoire, mais devoir de vérité. Encore faut-il qu’il y ait, à Alger, un pouvoir capable de parler d’égal à égal. Or, un régime qui craint ses écrivains et emprisonne ses journalistes n’est pas un partenaire : c’est une tyrannie.

Épilogue
La France, patiente et naïve, a cru qu’en s’excusant toujours, elle finirait par être aimée. Elle a tendu la main à un pays qui lui tournait le dos. Elle a confondu la repentance avec la diplomatie, et la culpabilité avec la grandeur. Il est temps d’en sortir. L’Algérie de 1962 a conquis son indépendance ; il lui reste à conquérir sa liberté. Et si la France veut vraiment l’aider, qu’elle le fasse non par les mots d’une amitié feinte, mais par la force tranquille de la vérité et du respect du droit international.


¹ Le Monde, 31 octobre 2025.
² Journal officiel, 20 mars 1962.
³ Code de la nationalité française, art. 32–33.
⁴ Accord franco-algérien, 27 décembre 1968.
⁵ Article 10 de l’accord.
⁶ Rapport parlementaire, 2011.
⁷ Le Monde Afrique, 13 mars 2024.
⁸ France 24, 17 août 2025.

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