Mon intervention, hier, dans l’hémicycle de la Région Nouvelle Aquitaine, au nom du Mouvement de la Ruralité. (Seul le prononcé fait foi).
Monsieur le Président, mes chers collègues,
Nous examinons aujourd’hui le budget primitif 2021 de notre grande Région. Au-delà des chiffres, des ratios, des nombres parfaits ou imparfaits, le budget est un message politique.
L’occasion pour les groupes de prendre du recul par rapport à la comptabilité et de donner leur vision de notre collectivité !
Le mouvement de la ruralité a voté le plan de relance que vous nous avez proposé ce matin, a voté aussi la convention NéoTerra avec les caves coopératives de Nouvelle-Aquitaine, mais ne votera pas ce budget.
Nous estimons qu’il manque d’envergure, de puissance et de sens.
Il manque d’envergure et de puissance parce que notre Région évolue sous trop de contraintes.
- Des contraintes exomorphes :
- La baisse des recettes fiscales : baisse de la TVA et de la CVAE liées à la baisse du PIB, baisse de la TICPE … Tout cela est dû au confinement ;
- La fusion forcée, à peine digérée, non-souhaitée qui nous a occupé trop longtemps et qui, finalement, n’a pas produit l’effet attendu par le président François Hollande, le gouvernement de Manuel Valls et la majorité socialiste. Cette fusion, je paraphrase Sacha Guitry, nous a surtout occupé pendant 4 ans à résoudre des problèmes que chacune des Régions ne se posait pas lorsqu’elle était seule !
- Des contraintes endomorphes. Nous voulons parler de la course à l’échalote avec une partie de votre majorité. Celle qui n’aime pas les arbres de noël et le tour de France, celle qui veut remplacer nos centrales nucléaires par des moulins à vent, celle qui est contre les avions et contre les routes ; elle représente selon nous un nouveau radicalisme, celui d’une écologie punitive, dogmatique, décroissante, décliniste, déflationniste et anticapitaliste ; Dans un entretien récent à L’Obs, la maire de Paris Anne Hidalgo estimait que les écologistes « ont un sujet » avec la République, nous le pensons aussi ;
- Des contraintes métamorphes. Cette course à l’échalote qu’on nous impose avec un Président de la République déjà en campagne, adepte du « en même temps », inventant chaque jour de nouvelles contraintes et le lendemain de nouveaux objectifs qui viennent contredire les contraintes édictées la veille quand ce n’est pas le contraire, cette course à l’échalote avec le gouvernement, qui impose aux collectivité locales son « plan de relance » qui ne relancera rien : parce qu’il est lui aussi, un florilège de contraintes contradictoires et contre-productives, et parce qu’il sera tellement long dans sa mise en œuvre qu’il risque bien d’être prêt quand il sera trop tard ! Celle avec un Etat omnipotent et omniscient qui a perdu toute autorité et en devient autoritaire.
Ces contraintes nous empêchent d’investir là où il le faut et nous font investir à fond perdu dans des causes douteuses, couteuses autant qu’inefficaces.
L’administration de la République a pris le pouvoir et veut imposer aux territoires sa vison parisienne, urbaine, rétrécie et picrocholine de la France.
Pour notre Région elle le fait à travers une préfiguration du nouveau contrat de plan état région. Nous y reviendrons au cours de nos débats.
Nous voilà donc sur la ligne de départ avec sous la selle, un handicap qui pèse tellement lourd que notre destrier sera distancé et n’a aucune chance de gagner la course d’autant que la course que nous disputons là est une course d’endurance, sans ligne d’arrivée !
Vous rêvez d’autonomie et de liberté, Monsieur le Président, comme une Région Espagnole ou un länder Allemand. Il n’en est rien !
Nous sommes cornaqués de l’intérieur et de l’extérieur. La plupart de nos compétences sont partagées, contrôlées, inféodées, … A chaque acte de décentralisation on nous promet plus de liberté et au final, on nous donne plus de contraintes. Si bien que nos moyens se perdent dans une administration toujours plus bureaucratique et toujours plus nombreuse à chaque étage de l’organisation de la nation.
Nous avons de plus en plus de « services publics » et le public lui, cherche de plus en plus les services !
Il voit surtout des normes, de l’administration, des bureaucrates sans passion, … et de moins en moins de médecins, d’infirmières, de professeurs, de techniciens, de gendarmes, de policiers, de magistrats …
Nos hôpitaux se sont lancés il y a quelques années dans la comptabilité analytique des actes médicaux. Ils ont divisé le montant de leurs charges par le nombre de lits, et ont trouvé que les lits coutaient chers. Alors ils les ont fermés … mais les charges, elles, sont restées.
L’hôpital Français a remplacé les personnels de santé par des bureaucrates. Il a fermé des lits pour ouvrir des bureaux !
Cette crise du coronavirus révèle que l’Allemagne dont le budget de la santé est inférieur au notre, dispose, de plus de médecins, de plus d’infirmières, et de plus de lits de réanimation que la France.
Dans le système de santé Allemand, 1 personne sur 4 s’occupe de l’administration. En France, c’est une personne sur 3. L’hôpital n’est pas une exception.
Ce processus long, Monsieur le Président, vous le décriviez, en novembre 2014, au Sénat, je cite : « Oui, nous avons confondu en France l’emploi public et le service public. Oui, nous avons dégradé le service public parce que nous avons privilégié l’emploi public, que ce soit au niveau national ou au niveau territorial. Reconnaissons cela à notre débit. Il n’y a pas de contestation possible là-dessus, tous les recrutements qui ont été faits en redondance avec les communes plutôt que de la mutualisation », vous parliez à l’époque des intercommunalités, et ajoutiez qu’ayant présidé l’une d’entre elle vous « partagiez cette culpabilité ».
Cette crise du coronavirus aura fini de convaincre ceux qui en doutait encore. Notre pays meurt de trop d’administration. Qui aura le courage de réformer cela ?
Cette sur-administration interne ou externe, bride notre budget, ralentit nos actions, elle nous coupe les ailes, raccourci notre envergure et étouffe notre puissance. Elle nous empêche d’embrasser comme il le faudrait nos compétences.
Pourtant, il est des moments où il faut savoir casser la tirelire !
Notre Région est en charge de la compétence économique. Elle est en 1ère ligne. On compte sur nous.
Faisons-nous de notre mieux ? Il faut nous rendre à la raison, la réponse est non.
Malgré les millions annoncés, ce budget ne permet pas d’offrir aux acteurs économiques une intervention réellement exceptionnelle.
Pourtant, dans l’objectif de soutenir, voire de sauver des entreprises qui vivent une situation terrible, notre devoir est d’assumer le risque d’une tension passagère de nos ratios budgétaire et de voter un budget d’exception.
Le défunt Daniel Johnson, 1er ministre du Québec dans les années 60 aimait dire : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console ».
Chers collègues, nos capacités financières sont malgré tout et par comparaison à l’économie du pays, assez bonnes. Plus d’une entreprise se satisferait d’avoir nos ratios !
Mes chers collègues,
Au regard de nos capacités financières, l’effort vers les entreprises et l’économie régionale est en fait assez dérisoire si l’on rapporte les montants annoncés à la taille du budget :
Je rappelle quelques chiffres :
- 2 086 707 292 euros de dépenses réelles de fonctionnement au BP 2021
- 1 155 596 962 euros de dépenses réelles d’investissement au BP 2021
Soit un TOTAL des dépenses réelles du budget 2021 de 3 242 304 254 euros
Ainsi :
- 20 millions d’euros représentent 0,61% du budget
- 100 millions d’euros représentent 3,08% du budget
- …
Face à une baisse d’activité globale estimée à 14% … Pensez-vous raisonnable d’annoncer au milieu économique de notre Région un effort supplémentaire de quelques pouillèmes de notre budget Régional ?
Notre Région a-t-elle bien pris la mesure de la crise que nous vivons, de sa profondeur pour les acteurs économiques de la région ?
Malgré la baisse de nos recettes, nous pensons que ce budget manque cruellement d’envergure car, finalement, c’est un fifrelin budgétaire que nous consacrons à la lutte contre un tsunami économique !
Ce tsunami nous n’en sommes qu’au début. Dans quelques mois les entreprises devront rembourser les Prêts Garantis par l’Etat qui se sont substitué temporairement à leur chiffre d’affaire … Si d’ici là l’économie n’est pas repartie de plus belle, alors nous aurons devant nous des dépôts de bilan en pagaille, et une casse économique de grande ampleur !
La Région a entre les mains quelques leviers.
Si elle voulait bien les mettre en œuvre elle pourrait, par exemple, entrainer la mobilisation de la trésorerie qui se trouve actuellement dans les collectivités locales et les établissements publics locaux, en construisant avec eux les politiques d’aménagement du territoire que nous appelons de nos vœux.
Nous ne disposons pas des chiffres spécifiques à notre Région mais au niveau national, la trésorerie n’a jamais été aussi élevée :
Selon le ministère des finances qui détient les comptes des collectivités, il y avait, fin septembre 2020 :
- 25,815 milliards de trésorerie dans les communes ;
- 7,236 milliards de trésorerie dans les départements ;
- 5,030 milliards de trésorerie dans les régions ;
- 26,577 milliards de trésorerie dans les autres établissements publics locaux ;
Soit au total 64,658 milliards, une somme bien supérieure aux besoins de fonds de roulement, et qui serait très utile pour alimenter un plan de relance par la commande publique !
4 milliards de plus qu’en 2019 et 38,125 milliards de plus qu’en 2009 ! Cette thésaurisation en période de disette n’est pas bonne pour la Nation.
Cet argent est lui des citoyens il doit servir le bien commun. Nous avons quelques idées pour le mobiliser.
Mes chers collègues,
Ce budget par des causes externes ou internes, manque d’envergure et de puissance. Il manque aussi de sens.
Nous l’avons dit ici déjà, nous souhaitons autre chose pour notre Région.
Les études d’opinion et les travaux sur l’évolution des styles de vie, révèlent que les Français – à plus de 80 % – espèrent plus d’espaces et de temps. Ils veulent respirer, se détendre, profiter de leur famille et des richesses du patrimoine, rapprocher leur travail des lieux où ils aspirent à vivre.
D’une France concentrée, ils nous entraînent vers une France distribuée, faisant de la géographie une opportunité et de la qualité de vie un déterminant. Les français préfèrent les villes moyennes. C’est une révolution.
Pendant quelques années on a pensé l’hyper-concentration urbaine comme la quintessence du progrès. Et l’accélération comme gage de modernité.
Cette perspective « hors-sol » s’est enrayée. Percutée par des technologies qui abolissent les distances et par des crises sans précédents. À la promesse d’un monde aplati s’est substituée l’envie d’un monde en relief donnant à chaque territoire l’opportunité de révéler ses singularités, ses atouts et sa culture.
C’est à cette aune qu’il nous appartient de redessiner l’aménagement du territoire. Avec les « villes préférées des Français » comme point de départ, le bien-être comme promesse et une économie durable comme enjeu. Les villes moyennes qui structurent la Région, sont les sous-jacents de cette ambition.
L’intérêt stratégique de ce maillage est précisément de former une armature régulière, solide et homogène sur l’ensemble du territoire. Elle constitue autant de points d’ancrage pour coordonner et faire converger les services auxquels les Français aspirent. Leur géographie est un gage d’équité. Beaucoup de ménages, d’entrepreneurs ou d’élus sont contrariés par le silence sur l’avenir d’une maternité, ou d’une gare -nous avons vu sur France 2 cette semaine les inquiétudes des usagers de la ligne Périgueux-Agen -. Stabiliser une armature sur la durée est par conséquent une condition essentielle. Indispensable pour restaurer la confiance, pour stimuler des initiatives locales et pour réenclencher sereinement les investissements de long terme, privés et publics, dont nos territoires ont besoin. A l’image de ce que nous faisons pour les Lycées.
L’équilibre est à trouver, dans notre Région, entre la taille critique qu’exige un certain niveau de service, la possibilité de se loger facilement et le lien organique avec la nature auquel aspirent nos contemporains et une valeur essentielle pour Le Mouvement de la Ruralité.
Travailler pour que les villes moyennes bénéficient demain des mêmes avantages que ceux des grandes villes d’aujourd’hui est un défi prometteur. Cette perspective de modernité – combinant qualité de vie et qualité de service – donne à l’innovation une perspective de progrès authentique. Avec la « taille humaine » comment gage d’un développement durable et le « bassin de vie » comme gage de stabilité sociale.
Ne sacrifions pas la cohésion sociale à de fausses bonnes idées sur l’écologie. L’écologie est la science de l’habitat, de tous les habitats. Y compris celui des hommes.
Cette armature de villes moyennes, nombreuses, témoigne aussi de la diversité culturelle de notre Région devenue trop grande. D’un point de vue politique, comme sur le plan économique, l’adossement à des singularités culturelles a le double avantage de renforcer le sentiment d’appartenance et de fonder les avantages comparatifs des territoires.
C’est essentiel si nous voulons construire une prospérité durable, différenciée et mieux distribuée.
Les villes moyennes sont celles grâce auxquelles la réconciliation s’opère entre la ruralité et les métropoles.
En 1965, aux grandes heures de l’aménagement du territoire, Olivier Guichard qui était aussi Girondin, rappelait que « la multiplication des centres de vie dans un pays doit favorablement intervenir pour supprimer les déserts » ; Ce fut l’objet des travaux du GERI et de l’excellent Jacques Voisard il y a 25 ans ;
Mais où en sommes-nous aujourd’hui ?
Faute d’action concrète, le problème reste entier. Ces approches sont toujours au cœur des problématiques contemporaines. La dichotomie entre métropole et campagne, entre hyper-concentration et désertification est une impasse. Surtout dans une France dont la Constitution rappelle le principe d’indivisibilité, dont la stabilité sociale est conditionnée à la résorption des fractures territoriales et dont la prospérité est liée aux performances des échanges internationaux.
Les tensions qui naissent des asymétries territoriales, comme les perspectives économiques, appellent une redistribution régionale autour des « villes d’équilibre ». C’est un enjeu d’aménagement et une complémentarité vertueuse entre trois réalités :
- Une ruralité au sein de laquelle les néo-aquitains puisent leurs racines et dont les atouts participent d’une économie d’avenir ;
- Des villes moyennes dont l’armature et l’attractivité conditionnent les politiques de proximité ;
- Des métropoles, qui sont autant de référentiels politiques, administratifs, académiques ou diplomatiques, que des interfaces critiques pour interagir avec le reste du monde.
Néanmoins, cette complémentarité serait purement théorique sans des systèmes de connexions stratégiques, quasi systématiques, aux caractéristiques précises.
Notre projet régional se donne plusieurs objectifs
- Mettre chaque zone rurale à moins de 20’ d’une ville moyenne ; Pour cela, la voiture reste un transport d’avenir. Dans nos zones rurales, il n’y a pas de tram ! la voiture électrique est hors-jeu faute d’autonomie suffisante et la voiture la moins émettrices de CO2 et la moins polluante, reste la voiture diesel, loin devant les voitures hybrides ;
- Positionner chaque ville moyenne à moins de 1h30 d’une métropole régionale ; Nous avons besoin pour cela de routes, d’autoroutes, de trains, de gares, de RER, …
- Mieux connecter ces métropoles avec le monde ; Nous avons besoin pour cela d’aéroport et d’avions, de ports et de bateaux, de centrales nucléaire et d’énergie décarbonée … Ça tombe bien, selon le bilan effectué en 2019 par RTE, la Nouvelle-Aquitaine est excédentaire en énergie décarbonée : elle produit 56,2 TWh (+4,5% par rapport à 2018) et en consomme 39,8 TWh. 80% du parc de production d’électricité régional est nucléaire, 7% hydraulique, 5% solaire et 3% éolien ;
- Distribuer la fibre optique sur tout le territoire ; Ce sera le cas pour la Gironde en 2023 ; Il faut étendre ce modèle à toute la grande Région ; Nous avons besoin pour cela d’un budget de fonctionnement économe des deniers publics pour consacrer une part conséquente à l’investissement et aux travaux ;
- Utiliser prioritairement la 5G pour déployer des services publics à forte valeur ajoutée dans les villes d’équilibre, en particulier en matière de santé ou d’éducation ; Nous avons besoin du progrès et du numérique partout ;
- Reconstruire l’hinterland de nos grands ports maritimes pour ne laisser aucun territoire dans l’angle mort des échanges internationaux ; La Nouvelle-Aquitaine avec sa façade Atlantique, doit jouer un rôle primordial dans une France deuxième puissance maritime mondiale ; J’en profite pour vous conseiller à ce sujet la lecture de l’excellent dernier livre de Maud Fontenoy « Bleu : un Océan de solutions ». Maud Fontenoy dont le cœur a quelques attaches dans cet hémicycle ;
Les innovations en matière de mobilités, d’échanges de données, de solutions logistiques ou d’interactions sont autant de ressources à notre disposition pour valoriser la diversité des talents, des territoires et des atouts qui caractérisent la Région.
Aujourd’hui, les aspirations des néo-aquitains, conjuguées aux leviers de l’innovation et à la puissance de la Région, pourraient à nouveau faire de nos territoires la pierre angulaire d’une relance et d’un nouveau projet de société.
Avec l’équilibre comme principe, les villes moyennes comme pivots et la confiance comme valeur.
Voilà de quoi donner un sens à nos politiques Régionales. Ce sens, cette volonté, cette vision, c’est ce qui manque au budget que vous nous présentez.
Monsieur le Président, chers collègues,
Manque d’envergure, manque de puissance, manque de sens, voilà les raisons pour lesquelles nous voterons contre ce budget.
Redonner de l’envergure, de la puissance à la Région et redonner du sens à nos politiques publiques, voilà les raisons, aussi, pour lesquelles le mouvement de la ruralité s’engagera dans la campagne des prochaines élections régionales avec un projet politique que nous venons d’énoncer.
Nous invitons tous ceux que ce projet séduit à nous rejoindre.
Je vous remercie.