La Commission européenne s’apprête à autoriser les producteurs des Etats Unis à commercialiser des « châteaux » (en français dans le texte) sur le marché européen : Château Mac-Donald, Château Coca-Cola, Château Que-sais-je-Encore !
La mention « château » est pourtant réglementée. En Europe, un « Château » désigne un vin d’appellation d’origine contrôlée (AOC) issu à 100% de raisins récoltés et vinifiés sur une même propriété.
« Château » est donc une mention traditionnelle synonyme d’exploitation viticole, particulièrement utilisée à Bordeaux et dans le grand Sud Ouest ; elle est devenue au fil du temps emblématique de la production Girondine, puis de la production française.
Le 1er « Château », est sans doute le Château Haut-Brion.
La famille de Pontac est à l’origine de la fondation du vignoble tel que nous le connaissons aujourd’hui et du début de la grande renommée de Château Haut-Brion. Jean de Pontac, greffier civil et criminel du Parlement de Bordeaux reçoit, par son mariage, le 23 avril 1525, avec Jeanne de Bellon, fille du maire de Libourne, des terres au lieu-dit Haut-Brion dans la commune de Pessac. La vigne y était déjà cultivée sur le sommet de cette petite colline à 32 mètres au-dessus du niveau de la mer. En 1533, il achète la maison noble de Haut-Brion et, par une patiente politique d’acquisition de terres, il structure le terroir du domaine et enfin, en 1549, il entreprend la construction du château dont la silhouette orne les étiquettes des bouteilles.
Jean de Pontac se maria trois fois, eut quinze enfants et mourut a 101 ans -sans doute grâce au vin !-. Sous l’impulsion de sa nombreuse descendance, le domaine ne va cesser de s’accroître et de s’améliorer.
En 1649, Arnaud III de Pontac, devient propriétaire de Haut-Brion. Quatre ans plus tard, il est premier Président du Parlement de Bordeaux, et l’ascension de cette famille atteint alors son apogée.
Il fait mettre au point des techniques de conservation, tels que l’ouillage et le soutirage, lui permettant de commencer à faire vieillir ses vins et à déceler les vertus du terroir. Il élabore ainsi un nouveau type de vin rouge dénommé « New French Claret » par les consommateurs anglais qui, pour la première fois, se bonifiera en vieillissant et imposera le style des grands vins rouges actuels.
La notion de « Château » est née : une propriété, un terroir, un chai, un maître de chai, un savoir faire, un nom… Alors que les vins de Bordeaux étaient surtout assemblés par le négoce, aux quai des chartrons (« quai » vient de « chai »), Arnaud de Pontac fait de Haut-Brion, un vin de viticulteur, un vin de propriété, un vin de lieu.
Le livre de cave de Charles II d’Angleterre confirme la présence de bouteilles de « Hobriono » à la table royale, dès 1660.
En 1666, Arnaud III de Pontac envoie son fils, François-Auguste, à Londres pour ouvrir le tout premier restaurant de la ville – Pontack’s Head– où sera servie une cuisine beaucoup plus élaborée que ce que l’on pouvait alors trouver dans les tavernes traditionnelles. Cet établissement deviendra très vite un lieu de rencontre pour les lumières de l’époque et une plate-forme idéale pour promouvoir les vins du Château. Durant ce dernier tiers du XVIIe siècle, plusieurs écrivains anglais tels Samuel Pepys, John Evelyn ou John Locke évoqueront Haut-Brion dans leurs écrits.
Le vin et la Gastronomie avait scellé là, une 1ère alliance.
Vin de « château » et vins de « Marque ».
Le « château » désigne aujourd’hui un vin de propriété, dans la lignée de Château Haut-Brion et du classement de 1855.
Les vins de marque, au contraire, désignent des vins assemblés le plus souvent par les négociants. Ces vins ne déméritent pas, bien au contraire, mais n’offrent pas la garantie d’avoir été produit sur un terroir bien défini. Ce sont des vins de cépages, plus que des vins de terroirs.
En effet, plus l’assemblage est large, moins il laisse de place aux spécificités du terroir, et plus il fait ressortir les caractéristiques des cépages. Plus l’assemblage est « parcellaire », plus il met en exergue les caractéristiques du terroir.
Il y a une quinzaine d’année, le marché mondial pensait que les « châteaux » allaient disparaître pour laisser la place aux vins de marques… Que les vins de cépages allaient laisser la place aux vins d’assemblage. Bordeaux et ses 10000 Châteaux étaient la risée ! « Comment voulez vous faire du marketing sans marque ? » expliquaient les conseilleurs de tout poil.
Ce fut l’essort de grandes marques internationales : Jacob’s Creek, Yellow Tail, Red Bicycle, …
Mais la France a tenu bon et Bordeaux aussi.
C’est exactement ce qu’avait prédit René Renou, le défunt Président de l’INAO : « Vous verrez, quand les nouveaux consommateurs auront goûté aux marques et se seront formé le palais, ils reviendront à Bordeaux, pour déguster les Châteaux ». Nous y voilà !
C’est la tendance du marché aujourd’hui. Sur les cartes des vins, un peu partout dans le monde, on commence à trouver des vins du Chili, d’Argentine, d’Australie rangés dans une catégorie « Bordeaux Style » ou « Bordeaux Blend »… L’assemblage « à la bordelaise » est devenu un segment du marché… Le marché des vins de cépages, produits dans le monde entier, est devenu trop concurrentiel.
Les deux marchés cohabitent, mais les marges commerciales se font sur les vins de terroir, plus que sur les vins d’assemblage.
En Asie, notamment en Chine, le « Château » est une donnée importante : une propriété, un viticulteur, un terroir… des valeurs. Tout un symbole ! « Il y a plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres d’une bibliothèque » disait Louis Pasteur, encore faut-il ne pas perdre de vue le philosophe qu’il l’a produite !
Le viticulteur revient à la mode, et « Bordeaux fête le vin » s’exporte, avec ses viticulteurs. « Quel plaisir de goûter un vin, en présence du viticulteur » disent les consommateurs conquis. Le « Château » est un concept qui plaît. Le marketing s’organise : « offrez à la fois un château et un bouquet : achetez un vin de Bordeaux » !
L’Union Européenne doit défendre le concept de Château !
Alors, au lieu de copier le concept, les industriel du vin, veulent en prendre le nom ! Et ça, nous ne pouvons pas laisser faire.
Il n’y a pas de définition du terme « Château » aux États-Unis : Les raisins peuvent provenir de différents et nombreux fournisseurs. Qui plus est, 25% du contenu d’une bouteille, peut être produit ailleurs, en dehors de l’appellation, en dehors du terroir, en dehors de la propriété.
Cela n’est pas acceptable : question d’étiquette et question d’éthique!
Le cadeau que propose de faire l’Union Européenne aux Etats Unis, serait terrible pour toute l’économie viticole française.
Outre le détournement d’une terminologie française à forte notoriété, c’est une distorsion de concurrence à l’égard de nos exploitations viticoles et une tromperie pour les consommateurs de vin du monde entier !
Bernard Farges, Président de la Confédération Nationale des AOC précise que cela représente un enjeu pour l’ensemble de la viticulture française : « une telle autorisation va créer un précédent pour l’ensemble des termes synonymes d’exploitation viticole (domaine, hospices, clos, cru…), et cela constitue une tromperie des consommateurs ». « Nous demandons aux pouvoirs publics de se mobiliser pour que cela n’arrive pas et nous sommes résolus à recourir à la voie judiciaire si nous n’étions pas entendus » conclut le président de la CNAOC.
Ajoutons à cela le projet de la commission de supprimer le système des droits de plantation et on imagine assez bien l’effet de ces deux mesures sur la filière viticole Française ! Une filière qui exporte et qui n’a pas l’intention de délocaliser sa production !
La France doit être mobilisée pour défendre ses Châteaux, et les droits de plantation !
Historique du Château Haut-Brion – Source : Wikipedia
Château de France
L’Europe brade nos étiquettes de vin
Dimanche 30 Septembre 2012 à 16:00 | Lu 7733 fois I 13 commentaire(s)
Périco Légasse – Marianne
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Bruxelles souhaite autoriser les vins américains à utiliser le mot «château». Colère à Bordeaux où l’on devrait balayer devant les chais avant de pousser des cris d’orfraie.
(Eric Risberg/AP/SIPA)
Ce qu’il y a de bien avec la Commission européenne, pour reprendre la célèbre formule signée Michel Audiard dans les Tontons flingueurs, c’est qu’elle ose tout, et que c’est souvent à ça qu’on la reconnaît…
Après le rosé à base de vin blanc coupé de rouge voici que les vignobles des nouveaux mondes, Etats-Unis en tête, vont être autorisés à utiliser la terminologie viticole française, à savoir «château», «clos» et «cru», pour identifier et commercialiser leurs vins. Trois expressions répondant en France à des situations précises, réglementées par le code des appellations d’origine, à savoir un site, une vigne et un environnement spécifiques.
Vin classé en AOC issu à 100 % de raisins récoltés et vinifiés sur une même propriété, pour ce qui est du château, et parcelle de vigne ceinte par un mûr ou une haie dont le vin est vinifié au domaine, pour ce qui est du clos. Pour le cru, la chose est plus complexe puisqu’il existe des crus sur toute la Terre.
Rien n’interdit aux Américains, mais aussi aux Chiliens ou aux Sud-Africains d’avoir des châteaux ou des clos si cela correspond à une réalité. Et que le meilleur gagne. Si le challenge consiste à établir une rivalité qualitative loyale par l’affirmation de sa propre identité, alors ce défi est noble et la France doit s’incliner. Château et clos ne sont en ce cas que des concepts fonciers dont nous n’avons pas à exiger le monopole.
En revanche, si le but de cette concession est d’usurper des intitulés afin de créer une confusion commerciale et affaiblir l’image des vins français dans le monde, alors les instances professionnelles et les pouvoirs publics ont le devoir de protester auprès de Bruxelles. Mais attention, il nous faudra d’abord balayer devant notre porte. Qui a le plus banalisé l’image du vin français en s’alignant sur des procédés d’élevage et de vinification mercantiles en vigueur sur d’autres continents ?
On a vu des pauillacs et des margaux se mesurer à des mixtures sans âme pour une médaille d’or et finir en queue de peloton derrière un jus de chêne californien. Qui s’est prêté au jeu des comparaisons malsaines entre des vins qui n’avaient rien de commun sinon l’ambition de briller dans les concours internationaux ? Les Français. Et plus particulièrement les Bordelais. Roland Feredj, directeur du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux, s’insurge dans un entretien du 20 septembre avec Jacques Dupont, contre la forfaiture de la Commission européenne. Il pourrait le faire avec plus d’assurance encore si tous les châteaux bordelais étaient vraiment dignes de ce nom.
Certes, et bien que la mention soi réglementée par décret, l’usage du terme «château» par une propriété viticole en étant dépourvue est autorisé, la loi considérant qu’un vin issu d’un seul et même domaine est «détaché de toute idée de noblesse d’habitation». Que dire pour autant de ces hangars en béton, qualifiés de «château», dont l’étiquette montre un édifice aussi cossu que fictif, ou de ces châteaux grands crus classés en 1855 qui augmentent leur surface de vigne sans que soit remis en cause la grandeur de leur cru ou leur classement ? Vingt ans durant, de glorieux châteaux du Médoc et du Libournais se sont prosternés devant le critique Robert Parker, en singeant la couleur, la puissance et la concentration des vins de la Napa Valley, pour que le gourou leur ouvre le marché américain.
Et l’on ose ensuite crier à l’usurpation d’identité ? Ceux qui ont perdu leur honneur en se vendant comme des marques, et non comme des crus, connaissent aujourd’hui le revers de la médaille de la grande foire aux vins mondialisée grâce à laquelle ils ont voulu bâtir des châteaux en Amérique.