« Produits phytosanitaires dans l’agriculture : l’urgence d’une approche dépassionnée et rationnelle » (Fondation Concorde)

glyphosate.jpgLa pratique du désherbage est consubstantielle à celle de l’agriculture. Depuis des millénaires, l’homme trie les semences, enlève celles qui ne conviennent pas ou sont nuisibles, pour ne conserver que celles qui sont utiles. Ce principe de sélection et d’intervention sur la marche naturelle des choses est au cœur de la révolution néolithique qui est née dans les territoires du Proche-Orient aux alentours du dixième millénaire avant notre ère. C’est précisément cette sélection et cette intervention qui distinguent la cueillette et la chasse, respectivement, de l’agriculture et de l’élevage. C’est d’ailleurs le même processus de sélection, répété de générations en générations, qui a permis aux hommes de créer des espèces végétales et animales originales dont les qualités lui convenaient mieux (chiens et chats « de race », c’est-à-dire modifiés par nous, vaches plus productives, céréales plus résistantes, variétés de légumes et de fruits au meilleur goût, etc.).

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, le désherbage était réalisé à la main. Une tâche particulièrement fastidieuse mobilisant une importante main d’œuvre. L’utilisation à partir de cette époque du désherbage chimique a permis une forte augmentation de la productivité. Avec la mécanisation permise par la maîtrise de l’énergie de la vapeur, le désherbage chimique fait partie des facteurs à l’origine de la première Révolution industrielle. En augmentant la productivité agricole, elle a libéré une importante main d’œuvre qui, en migrant dans les villes, a fourni les ressources nécessaires au développement industriel.

Le désherbage chimique est depuis près de deux siècles une pratique largement répandue. Doté de multiples avantages, le glyphosate, seul herbicide système utilisable en grandes cultures, est le produit désherbant le plus utilisé. Sur les 60 000 tonnes de produits phytosanitaires qui étaient utilisés en 2016 chaque année en France, 9 000 tonnes étaient du glyphosate (soit 15% de la consommation), dont 8 000 par l’agriculture et 1 500 par les espaces publics et les particuliers. Depuis 2017, son utilisation est néanmoins proscrite pour les espaces publics, et devrait l’être à partir de janvier 2019 pour les particuliers.

L’utilisation des produits phytosanitaires fait aujourd’hui l’objet d’un important débat. Il s’inscrit dans un mouvement plus général de méfiance vis-à-vis de tous les produits chimiques et d’attirance symétrique pour toutes les pratiques réputées « naturelles ». Si les termes de ce débat sont connus depuis longtemps, ils se structurent depuis quelques années autour d’une tendance troublante : la remise en cause, implicite ou non, des avis scientifiques et leur mise sur un pied d’égalité avec des opinions qui, pour être respectables, n’en sont pas moins avant tout le reflets d’idées et de prises de positions idéologiques. A l’objectivité scientifique est ainsi opposée la subjectivité passionnée et militante. Au principe de falsifiabilité (qui pose qu’une théorie est réputée exacte jusqu’à ce qu’elle soit prouvée fausse) est opposée une version déformée du principe de précaution selon lequel les produits chimiques sont mauvais a priori. Au principe d’expérimentation suivant un protocole strict et prenant en compte des conditions particulières de l’environnement sont opposés certains événements ponctuels hâtivement généralisés.

La pression exercée avec succès par quelques minorités particulièrement actives sur l’opinion publique se transmet aux décideurs politiques. Transformant des questions scientifiques en supports de communication politique, ils ne font guère progresser le débat, préférant trop souvent relayer les arguments les moins solides et les prises de position péremptoires. C’est pour cette raison qu’il nous a paru important de tenter d’éclairer les enjeux du débat afin de lui permettre, autant que possible, de quitter le domaine des passions et de l’idéologie pour revenir à celui des faits.

Le glyphosate est un herbicide utilisé depuis 40 ans dont l’innocuité a été confirmée à chaque renouvellement de son autorisation de mise sur le marché. La molécule entre dans la composition d’un certain nombre d’herbicides dont le plus connu est le Round up. Les avis des trois principales agences sanitaires françaises et européennes (l’EFSA, l’ANSES et l’ECHA) sont unanimes : le glyphosate est non cancérogène, son utilisation est sans risque pour la santé publique et sa dégradation rapide lui permet avoir peu d’impact sur l’environnement. Pourtant, des voix, y compris parmi les décideurs politiques importants, se sont élevées pour prendre position contre le glyphosate, si bien que la possibilité d’une décision de la France d’interdire entièrement son usage en dépit des avis scientifiques ne peut, à l’heure où nous écrivons, être totalement écartée.

Cette étude a pour objectif d’envisager les conséquences prévisibles d’une interdiction de l’utilisation du glyphosate à l’agriculture et aux autres usages professionnels.

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1 commentaire pour “« Produits phytosanitaires dans l’agriculture : l’urgence d’une approche dépassionnée et rationnelle » (Fondation Concorde)”

  1. Sans rentrer dans les considérations techniques sur les produits phytosanitaires (on démontrerait aisément le caractère tendancieux de l’affirmation suivante : « Le glyphosate est un herbicide utilisé depuis 40 ans dont l’innocuité a été confirmée à chaque renouvellement de son autorisation de mise sur le marché. » Il suffirait d’examiner les modalités de « confirmation de l’innocuité » et de rappeler quelques contre-expertises sérieuses… Passons.

    Il y a plus grave et cela ruine la crédibilité des auteurs. A un méta-niveau, ce texte recèle en effet d’énormes faiblesses épistémologiques qui induisent une sévère suspicion sur leur argumentaire.

    Cela révèle à l’évidence un texte purement idéologique.

    Je relève seulement deux courtes phrases, à titre d’exemple.

    (1) « A l’objectivité scientifique est ainsi opposée la subjectivité passionnée et militante. »

    Ceci est confondant ! Nous avons ici l’exemple type du degré zéro de l’épistémologie. L’objectivité, y compris en science, est une idéalité qui véhicule une idéologie : le scientisme. Je ne peux pas argumenter ici à la hauteur de ce qu’il conviendrait de faire, car cela prendrait quelques dizaines de pages (je l’ai fait ailleurs, mais pas encore publié… Je mettrai peut-être bientôt quelques pages en ligne sur l’objectivité et la rationalité (à suivre)). Mais d’autres, et pas des moindres, ont déjà « tordu le coup » au mythe de l’objectivité.

    Je renvoie à un petit livre génial et facile à lire, écrit par un scientifique (gage d’objectivité !! :), cosmologiste et philosophe (à lire absolument pour acquérir une culture épistémologique de base sur la science) : Aurélien Barrau. De la vérité dans les sciences. Dunod, 2016 (95 p).

    Il faudrait lire aussi Paul Feyerabend. Adieu la raison. Le Seuil, 1989.
    «On peut supposer encore que la Raison et la Rationalité sont des pouvoirs de même nature [que celle des rois ou des dieux] et qu’ils sont entourés d’une aura identique à celle dont jouirent les dieux, les rois, les tyrans et leurs lois sans pitié. Le contenu s’est évaporé ; l’aura reste et permet aux pouvoirs de survivre.» (p. 18).

    «Les philosophes définissent ce que veut dire «savoir» et ce qui est bon pour la société. Beaucoup d’intellectuels ont cette approche autoritaire en faveur. Ils peuvent toujours exprimer une préoccupation débordante pour leurs concitoyens, ils peuvent toujours parler de «vérité», de «raison», d’«objectivité» et même de «liberté», en fait, ce qu’ils veulent réellement, c’est le pouvoir de refaçonner le monde à leur propre image». (p. 69).

    «…les rationalistes aussi ont leurs autorités ; mais en parlant d’une manière objectiviste, en omettant soigneusement toute référence aux gens qu’ils essayent d’imiter et aux décisions qui les ont conduits à adopter leurs techniques, ils créent l’impression que la nature elle-même ou la raison elle-même sont de leur côté.» (p. 105).

    J’ai quelques scrupules à me citer après les grands, mais tant pis, je le fais 🙂 : la question de l’objectivité/rationalité versus objectivité/irrationalité est en filigrane dans tout mon ouvrage : Complexité : Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels. edp sciences, 2018, avec quelques saillies, pages 46, 93-95, 106-109, 126-127, 134-136.

    La subjectivité est une propriété fondamentale de l’humain qu’il est intellectuellement malhonnête d’associer systématiquement à la passion et au militantisme.

    La subjectivité est une réalité, tandis que l’objectivité est un fantasme.

    Cela a été montré (scientifiquement !) de diverses manières.

    En voici deux, par exemple :

    – par Kurt Gödel, avec l’incomplétude des systèmes formels (tout raisonnement, même scientifique, repose sur des postulats, invérifiables dans le système formel qu’ils étayent). La science repose donc sur un corpus de croyances : où est l’objectivité ?

    – par Antonio Damasio : la sphère émotionnelle et l’intellect fonctionnent en synergie : «Lorsque quelqu’un prend une décision, il ne se sert pas seulement de sa raison ou de ses connaissances. Il a aussi besoin de ses émotions pour guider son choix» (Damasio, 2003, p. 373).

    (2) « Au principe de falsifiabilité (qui pose qu’une théorie est réputée exacte jusqu’à ce qu’elle soit prouvée fausse) est opposée une version déformée du principe de précaution selon lequel les produits chimiques sont mauvais a priori. »
    • Le principe de réfutabilité (plutôt que l’anglicisme « falsifiabilité ») fait référence à Karl Popper, grand épistémologue, néanmoins controversé, notamment par Paul Feyerabend, cité supra.
    • Oui, n’en déplaise aux technocrates, tous les produits chimiques de synthèse sont « mauvais a priori » pour une raison simple : l’organisme humain a co-évolué avec la « soupe chimique » de son environnement, que les molécules nouvelles viennent massivement et brutalement perturber. Il y a rupture de l’homéostasie et déstabilisation des organisations biochimiques.
    En résumé, il est assez désespérant de constater que ceux qui instrumentalisent la pensée scientifique fassent preuve d’autant d’indigence à son propos. L’idéologie scientiste et technocratique imprègne manifestement les auteurs, avec le déni d’humanité qui va de pair.
    Question subsidiaire : la notion de rationalité est-elle rationnelle ; la notion d’objectivité est-elle objective ? (bon courage…).

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