[Tribune] Municipales : pourquoi généraliser le scrutin de liste dans les petites communes est une mauvaise idée (Figaro Vox)

FIGAROVOX/TRIBUNE – Alors que le Sénat a voté, mi-mars, l’extension du scrutin de liste aux communes de moins de 1000 habitants pour les municipales, l’ancien élu local Yves d’Amécourt s’inquiète d’une mesure qui restreindrait la liberté des électeurs et affaiblirait la légitimité des élus.

Hier, l’Assemblée nationale a définitivement adopté un texte qui généralise le scrutin de liste bloquée et paritaire aux communes de moins de 1000 habitants. Derrière cette décision technique, se cache un bouleversement silencieux, mais profond, pour près de 70% des communes françaises.

Jusqu’à présent, dans nos villages, les conseillers municipaux étaient élus au scrutin majoritaire plurinominal à deux tours, avec un système de « panachage » qui laissait à chaque citoyen la liberté de composer son équipe, de rayer, d’ajouter des noms, d’exprimer des préférences. Ce geste simple, humble, portait en lui toute la force de la démocratie : celle d’un choix personnel et réfléchi.

Pendant douze ans, j’ai été maire de Sauveterre-de-Guyenne, une commune de 1900 habitants. J’ai vécu deux époques : celle d’avant, où l’électeur, souverain, composait lui-même son conseil municipal ; et celle d’après, où une liste unique imposait son carcan et son fléchage automatique vers l’intercommunalité. Ce changement, loin d’apporter la moindre amélioration à la gestion locale, a seulement rogné la liberté des électeurs et entamé la légitimité des élus.

La commune est la cellule maternelle de toute démocratie, écrivait Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. Il avait compris, mieux que quiconque, que l’esprit démocratique ne naît pas dans la loi, mais dans la pratique quotidienne, dans les échanges, les responsabilités locales, l’exercice du choix libre. La France n’est pas née dans ses capitales, mais dans ses terroirs, ses villages, ses bourgs vivants. C’est là que la République a pris racine, dans cette démocratie du quotidien, humaine, accessible, durable.

Dans nos petites communes, où la politique reste une affaire d’hommes et de femmes de confiance, vouloir imposer des listes bloquées, pensées pour la grande ville, revient à nier la réalité même de ces territoires. C’est plaquer une logique partisane là où il y avait jusque-là du bon sens, du dialogue et de la nuance. C’est substituer une mécanique anonyme à une alchimie humaine.

Quel choix restera-t-il aux électeurs dans ces 18 000 communes où il n’y a souvent qu’une seule liste ? Quelle liberté aura-t-on préservée ? Quel intérêt de voter quand on n’a pas le choix ? D’année en année, à force de restreindre la liberté électorale, nous asséchons la participation et tuons l’engagement. La démocratie meurt aussi d’indifférence.

Je me souviens de mon enfance à Avoise, dans la Sarthe. Le jour des élections municipales était une fête. Maman, qui n’était jamais candidate, recueillait pourtant quelques dizaines de voix, ce qui ne manquait pas d’agacer mon père, lui, candidat, souvent élu à quelques voix près. Le dépouillement avait lieu à l’école communale, transformée pour l’occasion. Toute la population, jeunes et moins jeunes, se pressait autour des tables. Le dépouillement était long, incertain, vivant. C’était un moment de fraternité civique, un moment vrai. Après la proclamation des résultats, les habitants se retrouvaient au restaurant « Les Jolis Coteaux » pour fêter la victoire des uns et consoler les autres. Le lendemain, les élus recevaient la note ! Cette scène, gravée dans ma mémoire, incarnait ce que Tocqueville appelait « l’esprit des villages libres ». C’est sans doute là que j’ai décidé, qu’un jour, je serai, moi aussi, candidat.

La démocratie ne se décrète pas depuis Paris. Elle se vit, au ras du sol, dans la fierté de choisir ses conseillers municipaux. Ces conseillers choisiront à leur tour le maire et les représentants à l’intercommunalité. La légitimité d’un maire élu par son conseil municipal, d’un conseiller communautaire élu par ses pairs, sera d’autant plus forte que chaque conseiller aura été lui-même librement élu au suffrage universel direct. L’élection est un rite fondateur. Toucher à ses règles, c’est toucher au cœur même de la République.

Ce qui est difficile dans les grandes villes est encore possible dans nos villages. Pourquoi vouloir l’interdire ? Pourquoi refuser à nos petites communes la liberté que leur taille, justement, rend encore praticable ?

Je suis surpris de constater que l’Association des maires ruraux de France (AMRF) soutienne cette réforme. Car sur le terrain, à chaque rencontre, chaque maire de petite commune me confie : c’est une erreur. Une profonde erreur de diagnostic.

On prétend que la proportionnelle favoriserait la parité. En réalité, elle renforcera surtout les têtes de liste, les appareils politiques, et affaiblira encore le lien entre élus et électeurs. Regardez l’élection des sénateurs : davantage de listes, moins de choix, moins de débat. Quel serait leur taux de participation si le vote n’était pas obligatoire ? La démocratie ne se nourrit pas de contraintes, elle s’épanouit dans la liberté.

Tocqueville avait vu juste : « La démocratie est la rencontre de l’égalité et de la liberté. » À force de tout encadrer, de tout verrouiller, nous trahissons cette double exigence. Nous fabriquons une démocratie sans citoyens, une République sans âme.

Laissons respirer nos communes. Laissons vivre la démocratie là où elle est encore libre.

Tribune à retrouver sur le site FIGARO VOX

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