La règle selon laquelle le “silence des administrations vaut accord” entrera en vigueur le 12 novembre prochain. Une petite révolution qui n’est pas sans poser des risques juridiques.
Obtenir un droit de passage des troupeaux sur des terrains abandonnés ou sans entretien, une autorisation pour ouvrir des buvettes temporaires lors de foires et ventes publiques… Deux exemples parmi beaucoup d’autres de démarches pour lesquelles les usagers bénéficieront désormais du feu vert de l’administration si celle-ci ne donne pas signe de vie dans les deux mois suivant la demande.
Ils peuvent paraître anecdotiques. Pour l’administration, c’est pourtant un énorme changement. Jusqu’à présent, le silence de l’administration devait être compris comme un refus tacite, même s’il existait quelques exceptions. Bien trop peu aux yeux du gouvernement, décidé à passer à la vitesse supérieure pour changer les rapports entre l’administration et ses usagers.
“Le plus souvent, cette absence de réponse et le rejet qu’elle signifie induisent un rapport entre le citoyen et l’administration que je juge tout à fait obsolète et irrespectueux dans une République”, expliquait récemment le secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la Simplification, Thierry Mandon.
Inscrit dans les conclusions d’un comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (Cimap) avant de l’être dans une loi de novembre 2013, ce principe, qui entrera en application le 12 novembre – comme la traduction juridique du vieil adage selon lequel “qui ne dit mot consent” – a nécessité un audit de la part de l’ensemble des ministères pour inventorier les procédures susceptibles de basculer ou non sous le nouveau système.
Minutieux travail de tri
Car le silence a beau être le principe, des garde-fous ont été fixés, excluant tout accord tacite dès lors qu’il y aurait atteinte aux engagements internationaux de la France, à l’ordre public, à la protection des libertés ou à la sauvegarde des principes constitutionnels. Les demandes formulées par les agents à leur administration sont également exclues du dispositif “silence vaut accord”. Enfin, des régimes de rejet implicite peuvent aussi être maintenus pour des raisons de “bonne administration”.
Ces différents critères ont été pris en compte par les ministères pour distinguer les démarches et procédures susceptibles ou non de bénéficier du “silence » des autres. En quelques mois, 3 000 démarches administratives, régimes dérogatoires et autres “niches” en tous genres ont été passés en revue, selon le chiffre révélé par Thierry Mandon en juillet. Parmi ceux-ci, 1 200 ont été identifiés comme pouvant bénéficier du “silence”. Un véritable casse-tête.
Ce travail de tri n’a donc pas été simple. “Il a fallu regarder les procédures une par une et s’assurer qu’une exception n’était pas déjà prévue”, pointe David Sarthou, chargé de mission à la direction des affaires juridiques du ministère de la Défense, qui a identifié 200 démarches. “Une analyse minutieuse qui prend du temps”, même si le ministère – régalien – de la Défense n’a pas autant de fonctions de guichets que d’autres, comme l’Écologie ou les Finances.
D’où la difficulté – la réticence ? – des ministères à communiquer sur le nombre de procédures et les exceptions relevées. Matignon est aussi très attentif à ce que le principe ne soit pas vidé de sa substance, dans la mesure où les administrations seraient tentées d’exclure un trop grand nombre de règles pour motif d’opportunités. Un problème qui en appelle un autre.
En effet, rien ne garantit non plus que certaines procédures ne soient pas passées au travers des mailles et qu’elles figurent sous le nouveau régime alors qu’elles devraient être dans le tableau des exceptions. En clair, les administrations vont essuyer les plâtres d’un dispositif qu’elles rechignent peut-être à voir mis en œuvre. “La méthode empirique” utilisée par le gouvernement, “fait courir un risque juridique”, explique l’avocat Yann Borel. “Le risque n’est pas nul”, mais il est “marginal”, tempère David Sarthou. “Si une procédure a été oubliée et pour éviter que ne naisse une décision implicite d’acceptation, il faudra que l’administration réponde dans le délai de deux mois, pour le cas où elle serait défavorable à la demande de l’usager”, expose-t-il.
Accompagnement.
C’est dire la pression nouvelle qui pèse sur les épaules des agents, en première ligne pour “affronter” les conséquences de cette nouvelle règle. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs souligné : “Alors que le rejet implicite répond principalement à une volonté de protection de l’administré, l’accord implicite s’inscrit dans une logique de stimulation de l’administration face au risque de sa propre inertie.” L’objectif du gouvernement n’est effectivement pas seulement de modifier les rapports ou l’image de l’administration. Avec cette règle du “silence”, il s’agit aussi d’accélérer les délais de réponse et de simplifier les démarches.
Mais par les temps qui courent, faute de moyens, “on va laisser filer des dossiers”, s’agace un fonctionnaire, qui met en avant le manque de moyens et d’effectifs de certaines administrations. Pour Laurent Janvier, secrétaire général du Snitpect-FO, “c’est un risque accru de mise en cause de la responsabilité des agents”.
D’où cet accompagnement des fonctionnaires sur lequel misent les parlementaires. Françoise Descamps Crosnier, députée (SRC) est de ceux-là : “À n’en pas douter, cette modification induit pour elles les administrations, ndlr et pour leurs agents un renversement des méthodes de travail.” Et d’insister : “Il s’agit pour le pouvoir central d’accompagner au mieux ses propres agents dans cette réforme.” Un accompagnement que certains attendent toujours, un an après l’instauration du “silence…”
15 oct. 2014, PAR Xavier Sidaner