Pour alimenter le débat sur les propositions de nouvelle OCM viticole, voici un texte de Jean Clavel, vigneron et historien du Languedoc Roussillon.
Le Parlement Européen a demandé une étude approfondie sur les propositions de la Commission Européenne concernant la future OCM vin (Organisation Commune de marché des vins) à l’Unité Mixte de Recherche: Marchés, Organisations, Institutions et Stratégies d’Acteurs (MOISA) de l’INRA France qui a fait appel à de nombreux experts internationaux .Toutes les propositions de la Commission sont longuement étudiées, dans leurs effets immédiats et à plus long terme, dans leurs interactions avec la production et le marché mondial des vins. L’étude MOISA a conclue que l’interdiction de la chaptalisation contenue dans les propositions de la Commission pour la future OCM était pleinement justifiée.
Le Parlement Européen a débattu des résultats de l’Etude MOISA le et la rapporteur Katerina Batzeli, députée Grecque PSK, a fait voter, le 16/02/2007 un texte approuvant la presque totalité des propositions et conclusions du rapport MOISA sauf l’interdiction de la chaptalisation, qui a fait l’objet dans ses conclusions d’un long justificatif. Cette décision du Parlement compromet l’ensemble de ses propositions de modification de la future OCM vin, contenues dans le rapport MOISA, car l’équilibre budgétaire présenté au Parlement résultait de la suppression de la chaptalisation et des subventions accordées à l’élaboration de moûts concentrés rectifiés (MCR), qui dans l’état actuel de l’OCM vin de 1999 est l’une des dépenses les plus importantes du budget vin européen, dont l’Italie est la principale bénéficiaire. Les subventions aux MCR ne sont justifiées que par l’autorisation de chaptalisation.
Il semble que la France et ses représentants professionnels viticoles aient été parmi les acteurs principaux de ce refus du Parlement d’accepter la suppression de la chaptalisation. Ont-ils mesuré les conséquences de leur lobbying ? On peut en douter !! Pourquoi ??
L’étude, commandée par la Commission Européenne, sur les effets de la chaptalisation dans la constitution des excédents vinicoles de l’Europe des 15, avait, naguère, estimé à environ 15 Millions d’hl de vin les volumes créés en Europe des 15 par la chaptalisation. (Rapport sur l’étude économique de l’enrichissement du vin, soumis à la Commission des Communautés européennes, Programme Agrimed, 2006. Dubos Montaigne). Qu’en sera –t-il dans l’Europe des 25, alors que la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie sont dans la zone ou la chaptalisation est autorisée, et que des groupes multinationaux sont en train d’investir massivement, dans ces pays, dans une viticulture industrielle. (Cette situation a été confirmée par un vigneron slovène à l’assemblée des Vignerons d’Europe à Montpellier le 13/04/2007) L’excédent moyen des vins de l’UE à 15 était estimé à 17 millions d’hl annuels, et cette estimation justifie l’arrachage définitif des 400 000 ha. demandés par la Commission.
Quels sont les liens entre la chaptalisation et l’arrachage ?
La justification morale de la chaptalisation est l’amélioration qualitative, mais son application sur le terrain est spéculative et quantitative. Lorsque Dubos et Montaigne en ont étudié les effets sur la production, ils ont comparé les résultats des méthodes adductives (ajout de sucre de betterave) et ceux des méthodes soustractives, concentration évacuant l’eau des moûts de raisin. C’est la différence entre les deux méthodes qui donne ces 15 millions d’hl créés en Europe à 15 par la chaptalisation, sachant que la chaptalisation permet en fait à des vins non consommables de le devenir. Les vignerons chaptaliseurs considèrent, en fait, le sucre de betterave comme une rente et un avantage acquis.
Brève histoire :
La pratique de l’enrichissement, en particulier l’usage du sucre de betterave a, depuis plus d’un siècle, fait l’objet de débats quant à son rôle dans les excédents viticoles. Pendant la crise de 1907, le grand débat professionnel et politique était l’usage du sucre de betterave dans l’élaboration des vins et les taxes devant en limiter l’usage.
Dès 1929, la partition de la France entre deux secteurs, était structurée autour de la chaptalisation: Celle-ci était interdite pour les vins de table et les régions méridionales, autorisée pour les vins d’Appellation des régions septentrionales. La chaptalisation était historiquement prohibée à Bordeaux , la loi du 4 août 1929 avait interdit en France la chaptalisation (sucrage en première cuvée) pour tous les départements du ressort des Cours d’Appel d’Aix, de Nîmes, de Montpellier, de Toulouse d’Agen, de Pau et de Bordeaux. Ceci jusqu’en 1972 (loi du 22.04) C’est au moment de la négociation de la politique européenne que Bordeaux a saisi l’opportunité politique d’obtenir d’être intégré dans les départements chaptaliseurs, ce qui a entraîné également certaines AOC du Sud Ouest…
Le rapport Murret-Labarthe présenté à l’ONIVINS dans les années 1970 a préconisé l’application de la «loi unique», il s’agissait de compenser l’écart du prix du sucre d’origine exogène (betterave) et celui du sucre endogène (MC, MCR) plus coûteux, pour mettre tous les viticulteurs sur un pied d’égalité économique. Cette disposition a été reprise lors de la mise en place de l’OCM vin de 99. L’Italie, refusant la chaptalisation dans son territoire a fortement développé les MCR et a obtenu de l’UE des versements compensatoires très importants. Cependant à l’occasion des crises d’excédents, la question est revenue en discussion. L’enjeu économique principal résulte du fait que la chaptalisation est une méthode qui augmente les volumes de production. Elle rend commercialisables des volumes qui ne l’étaient pas du fait de leur degré insuffisant en transformant en alcool du sucre exogène, il s’y ajoute le fait que les contrôles sur les quantités réellement employées sont difficiles. Le recours aux MC et MCR et plus récemment à l’osmose inverse, sont au contraire des méthodes qui éliminent une partie de l’eau et réduisent en conséquence les volumes.
L’expérience acquise sur la question de la chaptalisation et de l’enrichissement, et les premières réactions de certaines organisations, à la suite des propositions de la Commission montre qu’un compromis sur ce sujet reste toujours difficile à atteindre.
Cette situation ne peut plus être justifiée :
1°- Le réchauffement climatique : La réalité du réchauffement climatique était contestée jusqu’à 2006, elle ne l’est plus, c’est maintenant la presque unanimité de la communauté scientifique mondiale, qui l’admet, la nécessité d’une compensation alcoolique dans les vins est moins justifiée. Ce réchauffement entraîne une révolution dans les besoins de la Société, le développement des Bio Carburant entraînera l’orientation des productions agricoles, et le débouché des sucres de betterave dont le prix augmentera, sera plus la consommation humaine que la chaptalisation.
2°-La position de l’OIV et des USA : La gouvernance mondiale de la viticulture était pleinement exercée par l’OIV jusqu’en 2001, date du retrait des USA, ses décisions sont prises à l’unanimité, et la chaptalisation n’a jamais été admise par cette instance internationale, (reconnue par la FAO et l’ONU), ce qui place la France en situation inconfortable dans d’autres négociations vinicoles. Les pratiques oenologiques européennes contestées, dont la chaptalisation ont été l’un des facteurs du retrait en 2001 des USA de l’OIV. Ce retrait a entraîné, le rapprochement du secteur vinicole des USA et d’autres pays viticoles de l’hémisphère sud, des positions vinicoles de l’OMC, qui sont pour beaucoup d’entre elles en contradiction avec celles de l’OIV.
3°-Le débat international sur les terroirs. Lors de la réunion des Vignerons d’Europe à Montpellier les 13/14/15 avril 2007, un atelier Terroir a conclu, que seule la mise en valeur des terroirs auprès des consommateurs, permettrait de maintenir une viticulture familiale de qualité dans les zones a petits rendements, aux structures de production modelées par la nature, interdisant toute industrialisation de la production. C’est la seule solution de maintenir une population dans ces secteurs. Cette mise en valeur doit correspondre à une authenticité de la production excluant tout moyen adjuvant, en particulier la chaptalisation.
4°- La lutte contre l’alcoolisme est devenue dans nos sociétés développées une action quotidienne banalisée. Il deviendra de plus en plus incompréhensible pour le consommateur, que l’on ajoute dans l’élaboration de certains vins du sucre ne provenant pas du raisin pour accroître les quantités d’alcool dans ces vins. L’information du consommateur (étiquetage sur les composants du vin) devra comporter une mention précisant l’ajout de sucre exogène au moût de raisin.
5° La chaptalisation entraîne une concurrence déloyale entre vignobles. Il faut sortir de l’ambiguïté actuelle signalée plus haut, la chaptalisation serait utile à l’amélioration qualitative, alors que pratiquement elle sert surtout à obtenir le rendement maximum autorisé par la réglementation. La démonstration est facile, il suffit de comparer le rendement agronomique moyen des zones viticoles ne chaptalisant pas, par rapport au rendement moyen des zones chaptalisant.
En conclusion :
Jusqu’à présent, la pression politique des régions utilisatrices du saccharose a
été suffisante pour maintenir cette anomalie européenne. Si, d’un point de vue technique,
l’enrichissement est justifié par les fluctuations des conditions climatiques, d’un point de vue
économique, rien ne justifie le choix de l’une ou de l’autre méthode si ce n’est l’écart de coût de
la matière première. Réduire la dépense budgétaire est possible en supprimant l’aide aux MCR rendant illégale l’utilisation du sucre exogène. Le débat sur les normes, en particulier à l’OMC. serait facilité, les pays du nouveau monde interdisent l’usage du saccharose. Ce choix est justifié par la définition légale du vin et les décisions implicites de l’OIV, le vin doit être obtenu sans ajouts de produits exogènes.
La suppression de la chaptalisation en Europe, parfaitement justifiée par de nombreuses raisons sus indiquées, rétablissant l’équilibre du marché, permettrait d’éviter une grande partie des arrachages définitifs programmés dans les propositions d’OCM de la Commission Européenne. L’arrachage massif et indifférencié, tel qu’il est proposé, est très critiqué: il est inefficace dans une Europe ouverte commercialement sur le monde, c’est un signal donné aux concurrents pour qu’il continuent à planter des vignes dans des terrains neufs. La démarche est en totale contradiction avec la politique de ces dernières années. L’arrachage apparaît comme la seule possibilité de solution de court terme pour les vignerons en difficulté. L’arrachage fait disparaître une culture peuplante et écologique, sans alternative, dans des régions qui seront des déserts. C’est tout à fait contraire aux objectifs européens. Nos responsables politiques et professionnels devraient d’urgence réviser leurs options sur ces sujets, sinon ils s’exposent à ce que leurs mandants leur demandent des comptes.
Jean Clavel-16/04/2007
Le sucre est dans le sablier…Il coule…