Ancien Maire de Gornac. Président-Fondateur du Syndicat des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur. Ancien Président du Comité Régional de l’INAO. Ancien Président du Comité National de l’INAO. Ancien Président de la Caisse du Crédit Agricole de la Gironde. Président d’Honneur de l’Union Nationale pour la promotion des Vignes Hautes et Larges.
Chers amis,
C’est plus comme viticulteur et représentant de la filière viticole, que comme Conseiller Général que je m’adresse à vous aujourd’hui.
Bernard Farges, Président du Syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieurs, Président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie à Appellations d’Origine Contrôlées, et Hubert de Bouärd, Président du Comité Régional de l’INAO, m’ont demandé de retracer ici, le parcours de celui qui fut un pionnier de nos appellations.
Au début des années 60, les pionniers de l’appellation Bordeaux sentent qu’il est temps de donner un nouveau souffle et de sortir de l’impasse des vins de mauvaise qualité. En effet, l’essentiel de la production des commercialisée au degré/hectolitre.
Le président de La Loubis, fort du soutien de Joseph Courau, Président de la fédération des exploitants, part en quête d’un homme jeune, capable d’incarner et d’insuffler le dynamisme, synonyme de renouveau.
Ils se tournent vers Pierre Perromat, engagé très tôt dans la vie syndicale dès l’âge de 26 ans, comme spécialiste viticole au CIVB. Monsieur de La Loubis lui propose alors solennellement avec son accent roulé du Sud-Ouest, qui devait ressembler à celui du Président Barsalou, que nous venons d’entendre : « Je vous transmets ça, je vous demande d’essayer de faire un syndicat des Bordeaux ».
C’est le début d’une grande aventure : une équipe soudée et déterminée qui lutte pour la survie d’une communauté, celle des viticulteurs.
Dans un contexte de crise, où la production girondine marquée par les blancs s’écoule très mal, de profonds changements notamment sous le Ministère d’Edgard Pisani, vont servir de cadre aux actions locales.
Des réunions organisées à la préfecture de la Gironde avec la participation entre autres de Pierre Perromat, de M Médeville père, et des représentants de l’Etat tentent de dégager des solutions dans l’urgence.
Mais le détonateur se déclenche à la base. Acculés dans leurs derniers retranchements, motivés par la survie de leur exploitation et de leur famille, une poignée de viticulteurs conscience que le moment est venu d’agir pour l’intérêt de tous.
Il est grand temps de dépasser ces divisions, lors des assemblées générales à l’Athénée municipal de Bordeaux, « pour ou contre » les cépages hybrides.
Contre les courants dominants du négoce et des autres appellations, des avant-gardistes, tel Pierre Médeville, Jean Perromat, la famille Mazeau, explorateurs de techniques nouvelles dans leurs propriétés respectives s’investissent dans des groupes de réflexion donnant naissance au Centre Technique Agricole (CETA) de Cadillac, sur le modèle de Grézillac, entre autres.
L’objectif est d’améliorer la qualité, de reconquérir des marchés par la conversion des blancs en rouges.
Afin de générer un mouvement de fond, il s’agit de réveiller les consciences.
Qu’ils soient issus des cercles de jeunes agriculteurs, des sections économiques viticoles, les différents acteurs du redressement ont appris à débattre, à convaincre, à se rencontrer.
Certains à l’image de Louis Marinier ou André Lurton, ont fait leurs armes dans des organisations catholiques sociales, comme les JAC, cette influence façonne déjà l’état d’esprit de l’équipe de départ.
De ces cercles d’amis, une première fusion s’opère entre les animateurs des différentes régions mus par des soucis et des projets communs.
On trouve alors Pierre Médeville, André Lurton, pour l’Entre-Deux-Mers, Rémi Greffier, M Daut, Pierre Trocard pour le Libournais, Jean-Klébert Michaud puis Louis Marinier pour le Blayais, M de Roquefeuil, Michel Bergey…
Pierre Perromat est le leader de ces changements. Militaire de carrière, de souche familiale viticole, cet homme d’envergure qui ne manque pas d’autorité, s’attache à la conquête des mentalités terrienne et vigneronnes.
Se sentant investit d’une mission, il se lance avec l’appui de toute son équipe dans un apostolat à travers les cantons.
Le souci principal de Bordeaux est de sortir de la précarité. Les viticulteurs se sentaient amoindris économiquement et touchés dans leur dignité car mal considérés par le reste de la profession.
A partir de 1965, chacun dans sa région respective prend son bâton de pèlerin pour rassembler, et convaincre que le salut viendra de la qualité.
Bravant la fatigue et le réveil aux aurores, des vignerons se regroupent la nuit à la lueur des chandelles. La bonne parole se répand. Cependant, l’accueil ne se fait pas toujours à bras ouvert. La tâche est ardue.
Les appellations qui forment la base de la pyramide des vins de Bordeaux ont besoin d’une entité représentative du volume, de la diversité, et bientôt, de la qualité de ses produits.
Peu à peu un consensus se dessine, et en 1967 le syndicat régional des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur voit le jour. D’emblée, il existe 4 AOC : « Bordeaux rouge et blanc», « Bordeaux Supérieur », « Bordeaux Rosé ou Clairet » et « Bordeaux mousseux ».
Pour la 1ère fois, des élections démocratiques sont organisées, canton par canton. Ces derniers élisent eux-mêmes leur conseil d’administration.
Afin de donner du crédit à cette création, le syndicat des Bordeaux à l’exemple de celui de Saint-Emilion, seul dans ce cas, demande l’agrément obligatoire pour les rouges à l’INAO. L’INAO, étonné de cette demande subite concernant la totalité de la production d’une appellation jusque là inexistante, prend les responsables du syndicat pour des naïfs et des idéalistes.
Mais les instigateurs de ce que l’on peut appeler la véritable naissance du syndicat n’avancent pas à l’aveuglette. Dès le début, l’optique interprofessionnelle est adoptée pour lancer cette appellation. Les 1er accords interprofessionnels sont signés dans la foulée avec les représentants des négociants.
La politique des cotisations, pourtant faible au départ, à néanmoins permis de faire tourner un secrétariat administratif très restreint, avec de faibles moyens, dans un petit réduit au quatrième étage du CIVB, grâce à une équipe de bénévoles très dévoués, animée par le Marquis de Traversée, alors secrétaire de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux. L’ambiance est conviviale, mais les sacrifices sont importants, il n’est pas rare de voir scintiller tard dans la nuit, la fenêtre du bureau du Président Pierre Perromat.
Quelles que soient leurs origines, leurs opinions, les viticulteurs initiateurs de ce grand mouvement ont œuvré pour la reconnaissance de tous. Dans cette équipe de pionniers soudée par un esprit de camaraderie très marqué, nulle ambition contrariée ou exacerbée, mais une volonté de faire comprendre que l’espérance en des jours meilleurs réside dans la domestication de la qualité.
Ce souci est bien l’élément fondateur dans la période confuse du milieu des années soixante.
La naissance du syndicat régional des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur sous l’autorité de l’INAO et avec l’aide du CIVB, illustre le maintien et l’évolution progressive des mesures sur les AOC depuis 30 ans.
Le fait d’être parti de la base, dans la démarche et le fonctionnement, suscite assez tôt un sentiment d’appartenance collective à une même entité.
Mais une des fonctions premières du syndicat lors de sa réorganisation est la mise en place de l’agrément avec la participation de l’INAO. La première année concerne environ 500000 hl.
Dans cette évolution de l’agrément, Pierre Perromat accompagné d’autres chefs de file, P.Médeville, L.Marinier, A.Lurton, rencontrent une forte opposition illustrant l’hétérogénéité du département.
Néanmoins, la mise en place du premier agrément nécessite un gros travail de la part des techniciens notamment grâce à la volonté d’hommes tels que Christian Labadie de l’INAO.
La période demande environ 5 ans pour faire « passer le message » de l’agrément. L’idée était d’instaurer un contrôle progressif, d’abord éducatif, puis, de plus en plus exigeant. Cette obligation est plus ou moins bien vécue par les vignerons dans une période où l’incertitude domine, même si le principe est compris.
La perspective d’un retour à des prix décents facilite l’acceptation des contraintes.
Très vite, se pose le problème du lieu pour les dégustations. A Ambarès, dans une maison de location colonisée par les bénévoles, les 1ère dégustations s’organisent, les 1ère marchandises s’entreposent, le tout dans des conditions bien précaires. Au départ, le vigneron a du mal à s’imposer, mais de nombreux viticulteurs ont l’occasion de montrer leur compétence ; et si les problèmes du départ concernent la formation du dégustateur, des progrès sont réalisés grâce aux efforts pédagogiques très significatif.
Bordeaux est la 1ère appellation à s’imposer l’agrément par la dégustation. Par la même occasion, l’utilisation de l’AOC Bordeaux Supérieur qui jusque là était quelque peu anarchique, est réglementée.
Dès le départ, ce sont les viticulteurs qui financent l’agrément en versant une quote-part proportionnelle au nombre d’hectolitres présentés quel que soit le résultat.
Les prélèvements des échantillons chez les propriétaires, effectués au départ par des corps de gendarmes en retraite, se déroulaient d’ailleurs dans des conditions parfois assez pittoresques. Quoi qu’il en soit, c’est ce qui a permis de progresser.
A partir du moment où la différence des prix avec les vins de consommation courante a été plus marquée, les viticulteurs comprennent tout l’intérêt qu’ils peuvent en retirer.
L’accompagnement des travaux des laboratoires œnologiques, l’aide de la Chambre d’Agriculture, dont le développement des structures est parallèle à la montée en puissance de Bordeaux, participent à cette croissance. A ce titre, il faut noter le rôle prépondérant joué par l’ingénieur Henri Bertrand, dans la mise en place de l’agrément.
Jusque là, seul un nombre restreint de viticulteurs bénéficiaient des conseils d’un œnologue. Peu à peu, les chais vont s’équiper, l’encépagement s’améliore, les bâtiments deviennent plus présentables… Cette évolution qui débute lors de la création a été constante jusqu’à nos jours.
Comme le résume si bien Pierre Médeville : « Il fallait passer de l’œnologie curative, à l’œnologie préventive ».
Cette vocation 1ère du syndicat basée sur l’incitation à bien faire est lancée par Pierre Perromat, elle sera poursuivie et amplifiée par Louis Marinier.
Pierre Perromat deviendra ensuite Président de l’INAO. Il y fera un travail aussi conséquent que celui accompli à Bordeaux. De très nombreux décret d’appellation à Bordeaux et en France, datent de cette période là.
Hubert de Bouärd, Président du Comité Régional de l’INAO, actuellement en Californie, me demande de dire ici combien il admirait Pierre Perromat et le travail qu’il a fait à la Présidence de l’INAO.
Quant à moi, je voudrais vous dire ici, combien nous sommes redevables à Pierre et Jean Perromat, à la famille Mazeau et à tous les pionniers de notre région, d’avoir inventé avec le Suisse Lenz Moser, la méthode de culture des vignes « Hautes et Larges », si typiques de l’Entre Deux Mers ; et grâce auxquelles, depuis 10 ans, tant bien que mal, nous arrivons mieux que d’autres à traverser la crise.
Il y a quelques années, quand le sujet des densités de plantation avait refait surface dans l’actualité viticole, Pierre Perromat nous a apporté tout son soutien pour défendre ce qu’avec d’autres, il avait construit.
Avec son frère Jean, ils ont ressorti toutes les archives qui nous ont permis de construire notre argumentaire et convaincre.
Le Président Perromat aimait qu’on l’appelle « Pierre » et qu’on le tutoie… Je n’y arrivais pas. Nous nous rencontrions souvent à Sauveterre, le dimanche matin.
Mes chers amis,
Un grand homme s’en va aujourd’hui, retrouver sa femme et sa fille parties avant lui. Un homme amoureux : amoureux de sa région, amoureux de la société, amoureux de la vie. Un homme qui a donné beaucoup et à qui la collectivité des viticulteurs doit beaucoup.
Alors, comme nous l’avons fait à Daubèze, pour son ami Francis Naboulet, Conseiller Général Honoraire du Canton, parti il y a quelques semaines, comme cela se fait à St Pierre de Rome, je vous demande d’applaudir Pierre Perromat.
(source : Syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur : « Les pionniers »)
En savoir plus sur www.gornac.fr
merci pour l hommage rendu a papa, avec mes meilleurs sentiments.
Anne Perromat