Observateur et acteur de la vie rurale, Yves d’Amécourt est père de famille, vigneron, ancien élu de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine*, porte-parole national du Mouvement de la ruralité (ex Chasse, pêche, nature et traditions, CPNT). Durant l’été, période propice pour s’intéresser à nos campagnes, il nous donnera son éclairage sur l’actualité paysanne.
Gabrielle Cluzel 16 juillet 2022Agriculture Entretiens Environnement Agriculture
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Gabrielle Cluzel : Parlons du remaniement, qui occupe toute l’actualité. Sur votre compte Twitter, vous réclamez « une gestion durable » au ministère de l’Agriculture. Depuis l’élection en 2017 d’Emmanuel Macron, vous faites remarquer que l’on a vu déjà défiler cinq ministres… De quoi cette instabilité est-elle le signe selon vous et en quoi est-elle préjudiciable ?
Yves d’Amécourt : Oui. Je regrette cette situation. J’ai fait ce tweet après les orages de grêle qui ont traversé le pays. Comme de coutume, le nouveau ministre de l’Agriculture a fait le tour des régions pour constater les nombreux dégâts sur les cultures et les équipements. Le message des professionnels est le même depuis tellement longtemps : le système assurantiel ne fonctionne pas. Mais depuis longtemps, ce dossier, comme tant d’autres, n’avance pas et les professionnels se désespèrent. Or, pour changer les choses durablement, on ne peut pas changer d’interlocuteur tous les ans ! D’autant que ces questions-là sont complexes et se traitent à Bruxelles. À peine un ministre de l’Agriculture est-il totalement conscient des enjeux, formé sur un sujet crucial et prêt à défendre les dossiers, qu’on en change !
Il est loin, le temps où le ministère de l’Agriculture était un ministère qui compte dans un gouvernement. Un ministère qui accueillait le plus souvent des poids lourds politiques comme Edgard Pisani, Edgar Faure, Jacques Chirac, Michel Rocard ou Bruno Le Maire. Michel Rocard, dans ses mémoires, considérait que c’est au ministère de l’Agriculture qu’il avait appris le métier de Premier ministre, tant ce ministère est tout à la fois un ministère de l’Économie, du Travail, des Affaires sociales, etc. Il est désolant de constater le peu de poids qu’a le ministre de l’Agriculture français, aujourd’hui, tant au sein du gouvernement qu’à Bruxelles.
G. C. : Depuis quelques jours, la filière ovine française est vent debout face à l’accord de libre-échange signé entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, le 30 juin. À qui la faute ? De l’Union européenne ? Des consommateurs qui veulent payer toujours moins cher ? Des éleveurs eux-mêmes et de la filière de façon générale qui ne parviennent pas à s’adapter à la concurrence ?
Y. A. : L’Histoire bégaye. Ce qui est scandaleux, c’est que l’Europe, dans cet accord, une fois encore, malgré les promesses d’Emmanuel Macron et de Julien Denormandie au début de la présidence française de l’Union européenne sur les clauses « miroir », autorise l’importation de produits qui ne respectent pas les normes de production européennes (le diffubenzuron, insecticide, est interdit en France – et par l’Union européenne depuis 2021 – et toujours utilisé par les éleveurs néo-zélandais). La Nouvelle-Zélande autorise aussi l’usage de l’atrazine, un herbicide interdit en France et en Europe depuis 2003 (Michèle Boudoin – L’Auvergne agricole, 4 juillet 2022). L’Europe impose à ses propres agriculteurs des normes très complexes, des interdictions multiples, et, ensuite, importe des produits qui ne les respectent pas.
Avec l’inflation, le problème risque de s’accentuer. Plus l’inflation va augmenter en Europe, plus les consommateurs vont s’orienter vers des premiers prix (l’agneau néo-zélandais vaut 9,90 euros le kilo, tandis que l’agneau français vaut 23 euros), avec la bénédiction des gouvernements. Or, les premiers prix sont le plus souvent produits hors du sol européen grâce à des normes (environnementales, sociales, droit du travail, salaires et rémunérations…) moins restrictives. Le résultat, pour la France, est sans appel : nous importons 50 % de la viande blanche, 25 % de la viande rouge, 60 % des fruits, 40 % des légumes ! Lorsque l’on offre un bouquet de fleurs à l’être aimé, il est importé dans 80 % des cas.
L’Europe est le premier marché du monde. L’Europe doit interdire l’importation sur son sol des produits dont elle interdit la production ou autoriser la production des produits dont elle autorise l’importation. En France, ce principe de bon sens devrait même être inscrit dans la Constitution. Nos parlementaires prendraient ainsi leurs responsabilités. Le comble du cynisme, c’est le sujet des OGM. Ils occupent désormais 14 % de la surface agricole mondiale. L’Europe interdit leur culture et en importe 78 variétés ! C’est totalement illogique et c’est, pour nos agriculteurs, une concurrence déloyale et délibérément faussée.
G. C. : Pour rester sur l’Union européenne, les grands médias en parlent peu mais, depuis le 10 juin, des agriculteurs manifestent aux Pays-Bas. La police néerlandaise, dans la nuit du 5 au 6 juillet, a même ouvert le feu sans faire de blessés mais touchant un tracteur. Que vous inspirent ces manifestations, pourraient-elles faire tache d’huile ou resteront-elles circonscrites ?
Y. A. : Ce qui se passe aux Pays-Bas est symptomatique. Aux Pays-Bas, 84,5 % de l’énergie est produite avec du pétrole ou du gaz et 7,7 % avec du charbon. C’est énorme. Mais le gouvernement, pour cacher ses propres déficiences de ce point de vue, a désigné comme bouc émissaire des émissions de gaz à effet de serre les éleveurs (ils ne sont responsables que de 16 % des émissions de GES). Le couperet est tombé : réduction de 30 % des cheptels ! C’est un véritable plan social. Des dizaines de milliers d’éleveurs manifestent leur désaccord. Cela pourrait bien arriver en France. Le contexte est différent, mais les agriculteurs en ont marre d’être accusés à tort de tous les maux.
La solution au climat n’est pas dans la destruction du vivant. Elle est, au contraire, dans sa mobilisation. Aujourd’hui, la totalité de l’énergie consommée par les activités humaines sur terre représente 1/6.000 du rayonnement solaire qui y arrive. C’est très peu. Or, la meilleure façon que l’on a de capter et de stocker ce rayonnement solaire pour nos usages, c’est de mobiliser le monde végétal avec l’agriculture et la forêt. Cette mobilisation permet justement de capter et de stocker le gaz carbonique (CO2) et d’atténuer l’effet de serre ! Il faut donc mobiliser le vivant pour capter l’énergie et réduire le CO2 dans l’atmosphère. Dans ce vaste programme d’intérêt international, les agriculteurs et les forestiers sont en première ligne. Ce sont des alliés, pas des ennemis.