Les 70 ans de Maman

Chère Maman,

Papa, depuis son lit d’hôpital, m’a appelé pour me dire la mort dans l’âme qu’il ne pourrait pas être avec nous aujourd’hui… Car ce week-end est un week-end de dosage du “Préviscan”…

Il m’a chargé de vous dire qu’il vous aime, qu’il a participé activement à la bonne réalisation de cette journée et qu’il vous souhaite un bon anniversaire…

Maintenant que vous avez plus de 70 ans, comme lui, il propose que vous arrêtiez de communiquer sur le fait que vous avez 8 ans de moins que lui…

À ses beau-frères et belle-soeurs, à toute la famille présente, il transmet son amitié fraternelle.

Je vous transmets ici l’idée que je me fais de la pensée de Papa – ces propos n’engagent que moi -: “Ils sont à Pescheseul comme chez eux. De toute façon ils savent bien que je suis agoraphobe et que je suis plus à l’aise dans mon lit en pensant à eux, pendant qu’ils pensent à moi… Bien plus à l’aise que si j’étais au milieu d’eux écoutant et parlant à 10 personnes à la fois ! Mais ce n’est pas pour cela que je ne les aime pas !

Ma petite Maman…

Vous remarquez que le jour de ses 70 ans, un fils ne dit plus à sa mère “Maman”, mais “ma Petite Maman”… J’avais remarqué la même évolution dans les propos de mes oncles le jour des 70 ans de Bonne Maman, aux Granges, alors que j’étais adolescent… La même chose chez mes beau-frères à La Perraudière, le jour des 70 ans de la Grande Paola.

“Ma Petite Maman” donc…

Vous voilà 70 ans après Caen… Après Caen ? – j’emprunte ici quelques saillies à Raymond Devos – Je vois les petits-enfants de ma Petite Maman, se dire : “Oncle Yves commence à raconter n’importe quoi : Qu’est-ce que ça veut dire : “vous voilà 70 ans après Caen”. Il y a 70 ans c’était Quand ? Oui c’était Caen… Mais s’ils ne savent pas où est Caen, comment voulez vous qu’ils sachent quand est née Bonne-Maman… Eh bien justement, Bonne Maman est née à Caen – l’endroit ou la Mer est démontée – et quand est-elle née à Caen ? Eh bien elle est née à Caen, il y a 70 ans…

Je ne parlerai pas de votre petite enfance, sujet que somme toute, je connais assez mal… Je rappellerai simplement pour vos petits-enfants que vos parents s’appelaient Louis de La Bretesche et Louise de Moustier, vos parrain et marraine Hélène de Vaucelle épouse d’André de La Brestesche – des chtimi qui parlaient comme cha hin garchon – et Jean Armand voisin de Pescheseul, le mari de Tante Renée, qui fit beaucoup pour que vous rencontriez Papa…d’où la présence nombreuse des cousins Armand aujourd’hui.

Disons que notre histoire, la vôtre qui inclut la nôtre, celle dont on peut parler, comme témoins oculaires, commence lorsque vous arrivez dans les bras de Papa, puis à Pescheseul…

Ah Pescheseul !

Maman  – vous remarquerez que je ne dis plus « ma Petite Maman », car ce dont je parle est arrivé bien avant que Maman ait 70 ans, à une époque où je ne me serais jamais permis de l’appeler “ma Petite Maman”.

Je reprends : Ah Pescheseul !

Imaginiez vous Maman, que vous entretiendriez avec Pescheseul une histoire fusionnelle ? Lorsque Henri Coupry, le Maître d’Hôtel vous avait dit dans l’escalier, alors que vous étiez à peine fiancés : “Madame s’habituera” ! Il ne croyait pas si bien dire…

Vous êtes devenue au fil du temps, une amoureuse de Pescheseul, puis une partie de Pescheseul, puis sa mémoire… Vous connaissez les moindres recoins de cette grande maison, ses secrets aussi. Là je vois les yeux écarquillés de vos petits enfants qui se disent : “je savais bien qu’il y avait des secrets dans cette maison”…

C’est vrai qu’il y a des secrets à Pescheseul. Pour les trouver il faut chercher tout à la fois dans les tiroirs et au fond de son coeur…

Et surtout, il n’est pas utile d’utiliser un pied de biche ou une pince monseigneur.

Il suffit de regarder, de poser son regard, de lire, et à chaque fois que l’on déplace une parcelle d’histoire de bien la remettre à sa place, afin qu’un autre puisse à son tour découvrir les secrets de cette grande maison qui accueille nos familles depuis des générations…

Pourquoi donc Maman a-t-elle fusionné ainsi avec Pescheseul ?

Et bien c’est très simple… La réponse est dans le Livre Rouge…

Je fais ici référence au mariage de Louis Jousseaume, le 1er du nom, avec Gabrielle du Puy du Fou en 1575… Gabrielle qui n’est autre que la cousine de Gilbert du Puy du Fou, dernier Seigneur et Prince de Pescheseul.

En épousant Maman, Papa, descendant du Baron Charles Dupin, et de son épouse Anne, Rosalie Joubert, qui a hérité de Pescheseul, acheté par les Tessié de la Motte en 1830 aux Barrin de la Galissonnière, qui l‘avaient eux même acheté aux Levis Mirepoix en 1701, descendants de Gilbert, ces épousailles, donc, faisaient revenir à Pescheseul une ptite ptite ptite fillotte des Lévis Mirepoix, des Puy du Fou et des Comtes de Champagne ! Et Pescheseul renouait ainsi avec son histoire ancienne…

Pas étonnant dans ce contexte, que Maman se sente si bien dans cette maison…

Elle a donc, avec son beau-père, puis dans les livres et les couloirs, appris la petite histoire qui fait aimer la grande…

Car on croise dans les couloirs de Pescheseul,

– la Chanoinesse Duhamel de Breuil, qui a épousé l’Église pour qu’on puisse l’appeler “Madame”, ou bien Marie sa sœur, notre arrière-arrière-grand-mère ;

– le Baron Charles Dupin – éminant statisticien, créateur de l’INSEE ;

– son frère André, Président de l’Assemblée, spécialiste de la veste retournée 3 fois ;

– Le Marquis et la Marquise de Lentilhac, qui sont les Tristan et Yzeult de Pescheseul ;

– Henry d’Amécourt, 1er d’Amécourt à Pescheseul, le fils de Gustave – inventeur de l’hélicoptère – lui-même inventeur d’un appareil photo pouvant prendre en photo les objets en mouvement, photographe de l’artiste et sculpteur Victor Prouvé – et victime de discrimination dans la fameuse “affaire des fiches” qui est au début du XXème siècle un fichier EDVIGE avant l’heure, visant à mettre au ban de la société les chrétiens et les aristocrates…

et puis dans les douves ou le long de l’ancien château fort, on croise le souvenir de Jean de Champagne qui a reçu à Pescheseul le roi Charles IX à qui il a dit alors qu’il faillit se noyer dans la Sarthe : “si vous vous étiez noyé Sire j’aurais crié “le Roi Boit””…et sa mère Catherine de Médicis qui aurait décidé à Pescheseul de la nuit de la St Barthélémy, au lieu dit “La Fontaine de Mau(vais) Conseil”

Ou bien Messire Barrin de la Galissonnière à qui l’on doit quelques spécimens ramenés d’au-delà des mers par son frère l’Amiral, beau-frère du botaniste Bégon, tel que : le Tulipier de Virginie, le Liquidambar, le Magnolia “semper virens” dit “Galissionniaris” – à ne pas confondre avec le magnolia “de la Maillardière” ramené des îles par René Darquistade, Maire de Nantes de 1735 à 1740, ni avec le Magnolia de Claude François qui n’a rien à voir…

L’Amiral de la Galissonière à qui l’on doit aussi la Mayonnaise, ou Mahonnaise, inventée à Port Mahon, par son cuisinier pour fêter la reprise aux anglais des îles méditerranéennes de Mayorque et Minorque.

On croise dans le Parc, René Leroy le Paysagiste Angevin, à qui l’on doit les parcs de nombreux châteaux de l’Anjou…

Maman a embrassé l’histoire de tous ces aïeux, de tous ces habitants de Pescheseul, des Maîtres d’Hôtel qui les accompagnaient, des bûcherons, des lavandières, des métayers, des fermiers, … Si bien qu’elle s’est fondue dans cette histoire dont elle est désormais la mémoire, et la continuité… le passé, le présent et le lien vers le futur…

Elle ne s’est jamais servi de Pescheseul comme d’un faire valoir, ou d’un promontoire… Mais elle a servi et sert Pescheseul, comme elle entretiendrait un pont à travers le Temps et l’Espace…

Pescheseul c’est un peu le Poudlard de notre famille… et Maman gère les couloirs du temps… rapprochant des êtres qui ne se sont pas connus, dans la quatrième dimension, celle de l’histoire… Entretenant en chacun de nous l’amour de Pescheseul qui grâce à ceux qui passent, grâce à elle et à Papa, a une âme.

Gustave d’Amécourt écrivait, “Peu importe ce que vous faites de votre vie, pour peu que l’on puisse dire de vous ‘pertrancierunt bene faciendo” : c’est à dire: “ils sont passés en faisant le bien”…

Une autre caractéristique de Maman est qu’elle vit aussi la nuit… Pas dans les boîtes que Bonne Maman appelait les “night box”, mais dans sa maison… Réveillée par quelques inquiétudes, bien réelles, parfois imaginaires, Maman se lève et travaille…

La nuit est souvent une souffrance, alors elle vit le matin comme une nouvelle naissance…

Ce que je pense qu’elle ressent au petit matin, je l’ai trouvé dans une prière écrite par son frère le Père Christian… Comme si lui aussi vibrait au même rythme que Maman, et qu’il souffrait, comme elle, de ce qu’il appelle dans cette prière “les mensonges ou les terreurs de la nuit”

« Quand le Soleil à l’Orient », Prière du matin des Moines de la Thébaïde au Congo Brazzaville. Parole et Musique : Père Christian de la Bretesche.

Quand le Soleil à l’Orient

Triomphant de la nuit

Bondit sur l’horizon

Dans le joie de nos cœurs

Qui se réveillent

Seigneur Jésus nous te chantons

1 – Que reculent les ténèbres de la nuit

Et qu’avance la lumière du jour

Que se lèvent les justes,

Seigneur, que tu choisis pour témoigner de ton amour.

2 – Que se dissipent les mensonges de la nuit

Et qu’apparaissent la vérité de ce jour

Que se lèvent les hommes droits,

Seigneur, que tu choisis pour témoigner de ton Amour.

Maman le jour, Maman la nuit… Maman souriante, Maman inquiète… Maman toujours soignante… Soignante pour les autres, pas vraiment pour elle-même (il parait que c’est très “La Bretesche”)…

En tout cas chacun de nous sait, grâce à elle, combien il est primordial de savoir croiser le regard de l’autre, d’écouter, d’entendre…

Elle croit au plus profond d’elle-même, que l’homme n’est rien sans son prochain.

J’ai cru un temps que si Papa et Maman n’étaient pas nés à droite, ils auraient été de gauche…

Mais c’est parce que ma culture politique n’était pas suffisante… Giscard n’avait-il pas dit à François Mitterrand lors d’un fameux débat en 1974 : “Monsieur Mitterrand, la gauche n’a pas le monopole du coeur”,

Alors j’ai lu, j’ai appris, j’ai écouté, j’ai entendu… et j’ai compris… que ce n’est pas si simple ! Comme le disait Jean Gabin “Maintenant je sais… je sais qu’on ne sait jamais”

Je sais, que ce qui est important, c’est d’entendre battre son coeur…

Nos parents auraient pu vivre leur vie sans entendre battre leur coeur, sans même l’écouter… Ils avaient les moyens de ne pas l’écouter… Mais chaque jour que Dieu fait, Papa et Maman nous ont appris à entendre, puis à écouter battre notre coeur, à laisser une place à l’émotion…

En 2005, lors du 60ème anniversaire de la mort de Léonel de Moustier… à la lecture du livre de l’Oncle Henry, à l’écoute des récits qui ont été fait par le Député Pinard, par l’Oncle Philippe Armand… j’ai compris un peu plus le message que Maman porte en elle. Ces valeurs qu’elle nous a transmises, sans en parler, en montrant l’exemple, en agissant sous nos yeux…

Ce message est qu’il vaut mieux servir que se servir, que rien n’est plus beau qu’un sourire, une étincelle, une lueur de compréhension, dans le regard de l’autre… Et que pour saisir cette étincelle, cette lueur, ce sourire, il faut apprendre à regarder… Car comment voir si l’on ne regarde pas, comment comprendre si l’on écoute pas, comment sentir si l’on ne touche pas…

Maman et Papa nous ont appris tout cela, chacun avec leur charisme… Et pour tout cela, qu’ils soient ici remerciés.

Parlons maintenant des défauts de Maman…

Non c’est une blague ! Maman comme chacun sait n’a pas de défaut… ça aussi c’est une blague !

Non en fait aujourd’hui, on ne parlera pas des défauts, d’autant que nous sommes mal placé pour en juger !

On est toujours mal placé pour juger de quoi que ce soit… C’est un autre enseignement de Papa et Maman.

Pour finir je voudrais vous chanter une chanson qui va bien à Maman…

Printemps à Pescheseul

Pesch’seul  est à mon cœur

Ce qu’un joli jardin

Est à une petite fleur

Je m’y trouve si bien

Et je reviendrai

Aux prochaines saisons

A Pesch’seul  pour sonner

Avec les Robuchon

Écoute le coucou au fond du vallon

Il chante le printemps  au fond des bois

Et c’est la trompe de  Toutoune

Qui lui répond comme autrefois

Quand les loups et les cochons

Étaient Seigneurs des bois

La lune monte dans le soir

Au bord de  la fontaine

On écoute sans voix

Bruire, la source de maux conseil

La chanson  des  rives

De la Sarthe  arrive

Pesch’seul  est à mon cœur

Ce qu’un joli jardin

Est à une petite fleur

Je m’y trouve si bien

Écoute le coucou au fond du vallon

Il chante le printemps  au fond des bois

Et c’est la trompe de  Toutoune

Qui lui répond comme autrefois

Quand les loups et les cochons

Étaient Seigneurs des bois

Écoute le coucou au fond du vallon

Il chante le printemps  au fond des bois

Et c’est la trompe de  Toutoune

Qui lui répond comme autrefois

Quand les loups et les cochons

Étaient Seigneurs des bois

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