Les crus de France

Paru dans l’hebdomadaire LE MIROIR. Numéro 30. Dimanche 20 Octobre 1912.

LES CRUS DE FRANCE. Par Georges Docquois. (collection personnelle de Christian de Los Angeles)


Ça, chantons les crus de France, Puisque c’en est le moment ;
Et bénissons l’occurrence,Car c’est un plaisir charmant !

De ces crus-là sur ma table, J’ai plus d’un échantillon.
Prenons donc au préalable, Un peu de ce Roussillon.

Du bonhomme le plus prude, Il fait un gaillard grivois !
Sa senteur, quoiqu’un peu rude, Emoustille… Toutefois.

D’y repiquer je n’ai cure. M’en soûler serait choquant,
Car l’ivresse qu’il procure, Est ivresse de croquant.

Pourtant il faut être juste, Ce vin bien qu’assez épais
Plaît par son bouquet robuste, Il n’est point du tout mauvais.

Pour dire toute l’affaire, Oui, pour dire tout le vrai,
Roussillon, je te préfère, Le Saumur et le Vouvray.

Leur couleur est si gentille, Et si pleine de clarté !
Voilà du vin qui pétille, Et qui vous met en gaîté !

Pour son vague goût de pierre, Je me sens un penchant.
La Touraine en est très fière; Et certes elle en a motif !

Il vous a maintes pratiques ! Et Balzac tout en rêvant
A ses Contes drolatiques, En buvait souvent, souvent !

Puis (rien en ce qui surprenne), Il buvait, dit un écrit,
De ce vin gris de Lorraine, Qui n’altère point l’esprit,

Mais dont les aigres principes, Si j’en crois le médecin,
Sont fâcheux aux pauvres types, Dont l’estomac n’est pas sain.

Vive, plutôt le Sancerre ! Pour moi, je le prise fort.
Disons, pour être sincère ! Qu’il décourage, d’abord.

Bah ! nul ne peut se défendre, Tôt, de lui trouver du prix:
On en veut toujours reprendre, Dès l’instant qu’on en a pris.

Mais un qui de l’existence, Rend légers tous les fardeaux,
C’est le seigneur d’importance, Que l’on nomme le Bordeaux.

Rouge ou blanc, vin confortable, Et généreux à la fois,
Je l’estime délectable, Tout le long des douze mois.

Plein de douceur et de force, Il a toutes les vertus
Et fait un neuve écorce, Aux gens les plus abattus.

Le poète le plus terne, Fait les vers les plus jolis
Après un coup de Sauternes, Après un coup de Chablis.

Le gars le moins intrépide, Se sent un coeur de lion,
Quand de toi le verre est vide, O vieux Saint Emilion !

Et, par la sorcellerie, Du malin Château-Margaux,
Voilà qu’un prince s’écrie: « Tous les hommes sont égaux.»

Mais je n’ai point de vergogne, Et confesse ingénument,
Que je réserve au Bourgogne, Tout mon applaudissement.

Il n’est pas une personne, Une personne ici-bas
Put nier qu’il assaisonne, Et parfume tout repas.

Compagnon de la bécasse, Et du gros rôti de boeuf
Il est gai comme Boccace, Et console même un veuf.

Ici croyez m’en, mes maîtres, Je me lèverais matin
Et ferais dix kilomètres, Pour un doigt de Chambertin ;

Je supporterais le prône, Du cuistre le plus bavard,
Si l’on, me payait du Beaune, En revanche, ou du Pommard ;

Si j’avais, quotidienne, Ma rasade de Volnay,
Je me sentirais, morguienne, Enfin désenguignonné!

Oui, pour toujours, au service, Du Bourgogne je me mets,
Car, aux fins palais propice, C’est le vin des vrais gourmets.

J’obtiens l’oubli de mes peines, Lorsqu’en lui je me résous.
C’est qu’il verse dans nos veines, Un feu doux, si doux, si doux!

Bref, le Bourgogne est mon baume. Il est mon péché mignon.
J’aime son puissant arôme, Son ton pelure d’oignon;

J’aime, j’aime, j’aime, j’aime, Tout, tout, tout, tout, tout de lui,
Car dans sa liquide gemme, C’est tout le soleil qui luit!

« Hé! vous battez la campagne ! Voilà bien des propos fous ! »
Me dit-on. « Et le Champagne, Cher monsieur, qu’en faites-vous ? »

Mais j’en fais grand cas, que diable ! Est-ce que ça vous suffit ?
Il serait bien peu croyable, Mes fils, que j’en fisse fi !

Montrer pour lui de l’indifférence, Pour lui quel coupable excès !
Suis-je pas enfant de France ? Oui, suis-je pas bon Français ?

C’étant, comment donc admettre, Qu’il pût ne me plaire point !
Je serais donc le plus piètre, Le plus piètre Talapoin ?

Que la peste me décharne, Je le trouverai congru,
Coteaux crayeux de la Marne, Si je n’aime votre cru !

Le noble et le prolétaire, Sont d’avis qu’il est fameux ;
Tous les peuples de la terre, Le vantent. Je fais comme eux.

On le voit de chaque fête, Assurer le dénouement;
Radieux, il est au faîte, De tout bel événement.

Nulle part il n’a d’émule, Dans l’art de rendre joyeux :
C’est lui qui le mieux stimule, Les hommes sous tous les cieux

C’est à lui, chose notoire, Qu’on doit les meilleurs moments.
Il arrose la victoire, Et baptise les amants.

Sa magie est sans pareille: Il supprime tout souci.
C’est de l’or pur en bouteille, Et de la lumière aussi

Il fait, à son ordinaire, Des miracles éclatants ;
Et, par lui, l’octogénaire, N’a que quatre fois vingt ans !

Georges Docquois.

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