Le 4 mars 2021
Lettre au Président du Directoire de RTE
Monsieur le Président,
Un important travail de prospective a été engagé par RTE sur ce que pourrait être en 2050 un système électrique ne consommant pas d’énergie fossile dans un pays qui aurait atteint la « neutralité carbone ». Avant de terminer ce travail, vous avez ouvert une consultation publique sur le cadrage et les hypothèses que vous vous proposez de retenir pour dessiner plusieurs scénarios très contrastés qui seront à la disposition du pouvoir politique pour l’aider à prendre ses décisions.
Nous tenons tout d’abord à saluer le sérieux dont témoignent le document mis en consultation et les rapports des groupes de travail publiés sur votre site internet.
Parmi les scénarios présentés dans le document soumis à consultation, quelques-uns supposent que la France ne construise plus de réacteurs nucléaires ; selon les autres la capacité nucléaire serait comprise en 2050 entre 28 et 55 GW (gigawatts), contre 61 GW aujourd’hui.
L’évolution de la capacité nucléaire en France soulève de nombreuses questions mais ce n’est pas là l’objet de cette lettre.
Dans les scénarios soumis à consultation, la consommation finale d’électricité est celle qui figure dans la SNBC (Stratégie nationale bas carbone) approuvée par la loi : aujourd’hui de 470 TWh (terawattheures) par an, elle serait augmentée seulement de 110 TWh.
Cette hypothèse de consommation d’électricité nous paraît invraisemblable. Elle conduirait à de lourdes contraintes et à des dépenses inutiles.
Il suffit de considérer le cas du chauffage des logements. Le fioul et le gaz seront remplacés très partiellement par de la biomasse, essentiellement par de l’électricité parfois complétée par du biogaz ou du biofioul (un chauffage hybride). Or la SNBC suppose que la consommation d’électricité pour le chauffage n’augmente pas. Pour y parvenir, non seulement la surface habitable par personne devrait diminuer, ce qui s’oppose aux désirs de la population, mais aussi tous les logements existants devraient faire l’objet de travaux de rénovation thermique les mettant en classe A ou B du DPE (diagnostic de performance énergétique). Or avec des travaux d’isolation thermique moins poussés que selon la SNBC, les dépenses seraient bien moindres (de vingt milliards d’euros par an peut-être), la consommation d’électricité serait supérieure (de 80 TWh par an peut-être) mais sans effet sensible sur les émissions de CO2 si la production d’électricité consomme très peu d’énergie fossile.
De même, il serait utile de faire l’hypothèse que les consommations d’électricité dans le secteur du transport et dans celui de l’industrie seront supérieures à ce qui est prévu par la SNBC.
Au total, nous souhaitons que soit étudiée une hypothèse où la consommation finale d’électricité serait, non pas de 580 TWh, mais de 700 TWh par an, à quoi s’ajouterait une consommation pour produire de l’hydrogène.
Dans les scénarios soumis à consultation la durée de vie des réacteurs nucléaires est limitée à soixante ans sans justification.
Or des réacteurs nucléaires de même type que les réacteurs existant en France ont d’ores et déjà reçu l’autorisation de fonctionner jusqu’à 80 ans dans un pays, les Etats-Unis, qui n’est pas connu pour son manque de sérieux sur la sûreté nucléaire. Nous considérons donc qu’il ne serait pas cohérent qu’une étude prospective s’interdise d’étudier le cas où la durée moyenne de vie des réacteurs existants soit supérieure à 60 ans, par exemple 65 ou 70 ans – naturellement, sous réserve de l’accord de l’Autorité de sûreté nucléaire.
Les limites des possibilités industrielles obligent à étudier l’hypothèse où la neutralité carbone sera atteinte plus tard qu’en 2050.
Quel que soit le scénario retenu votre étude montre que pour atteindre la neutralité carbone, il faudra de très gros investissements : moyens de production et de stockage d’électricité, bouleversement de la construction automobile, réseau de distribution d’électricité et, peut-être, d’hydrogène, rénovation thermique des bâtiments. Le rapport que vous avez soumis à consultation met en lumière que l’échéance de 2050 serait très difficile à respecter mais n’en tire pas vraiment les conséquences.
Un travail de prospective devrait tenir compte du fait que le CO2 ignore les frontières. Dans un récent rapport l’AIE n’envisage pas que le monde atteigne la neutralité carbone avant 2070.
En 2050 les émissions de CO2 seront encore de 18 milliards de tonnes par an au moins. A cette date, l’Afrique et d’autres régions du monde n’auront pas achevé de s’équiper de façon à répondre à leurs besoins en énergie sans brûler d’énergie fossile. Dans ces régions le coût du CO2 évité sera beaucoup moins élevé qu’en France – dans un rapport de un à cinq ou dix.
Pour diminuer les émissions globales il serait donc efficace de compenser des émissions faites depuis la France métropolitaine en coopérant avec, par exemple, des pays d’Afrique pour qu’ils puissent progresser plus vite vers la neutralité carbone.
On ne comprendrait pas qu’un travail de prospective s’interdise de s’écarter, même significativement, de la loi en vigueur au moment où il est réalisé. On le comprendrait ici d’autant moins que la loi Energie-climat prévoit elle-même que la SNBC sera revue tous les cinq ans.
C’est pourquoi nous vous demandons d’étudier un scénario où la consommation finale en 2050 est de 700 TWh par an, c’est-à-dire supérieure de 120 TWh à celle que vous avez retenue comme hypothèse, et où la capacité nucléaire est de 67 ou 70 GW, ce qui est plausible en relançant vigoureusement la filière de l’industrie nucléaire et en faisant fonctionner les réacteurs existants aussi longtemps que l’autorise l’Autorité de sûreté nucléaire. Pour équilibrer la demande d’électricité, il faudra sans doute produire en 2050 quelques dizaines de TWh à partir de gaz fossile jusqu’à ce qu’une légère augmentation de la capacité nucléaire permette de l’éviter.
En comparaison avec les scénarios que vous avez élaborés, cela permettrait selon nous de produire l’électricité de façon moins coûteuse, de bien isoler les bâtiments tout en évitant des dépenses excessives, de ne pas faire peser sur nos concitoyens toutes sortes de contraintes et aussi, dans le cadre de programmes de coopération avec des pays pauvres, de hâter leur équipement en moyens de production d’électricité qui ne consomment pas d’énergie fossile.
Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ce courrier et nous vous assurons, Monsieur
le Président, de notre considération respectueuse.
Collectif de 280 anciens élèves de Polytechnique
Francis Amans, Daniel Andriamasy, Jean-Pierre Anselmo, Alain Artaud, Pierre Audigier, Catherine Back, Yves Bamberger, Bernard Basset, Michel Baudu, Jean-François Bauer, Michel Bayle, François Bee, Jean-Pierre Bégon-Lours, Michel Belakhovsky, Jean-Marc Belmont, Guy Benattar, François Bergeot, Jean-Jacques Berthelier, Jean Berthon, André Bertrand, Benoit Bescond, Bernard Besson, Gérard Beurive, Gérard Biette, Michel Billard, Pierre Binet, Jean-Michel Biren, Jean-Michel Blanchard, Jean-Didier Blanchet, Michel Bleitrach, Joël Bodiou, Edmond Bonan, Alexandre Bonay, Jean-Claude Boncorps, Pascal Bouillon, Jean-François Bourgeois, Henri Boyé, Alain Bravo, Yann Briancourt, Jean Brilman, René Brun, Gérard Buffière, André Caillol, Jacques Calzia, Yves Carsalade, René Cartalas, Marie-Louise Casademont, Philippe Castillon, François Chabannes, Jean-Louis Charbonnel, Michel Chateaureynaud, Philippe Chopin, Frédéric Clément, Yves Closson, Pierre Coffin-Eltrich, Jean-Marc Cohen, Jean Coiffard, Christian Collinot, Bruno Comby, Henri Conze, Didier Coulomb, Yves Coupin, Xavier Cras, Alain Crémieux, Henri Cukierman, Jacques Darmon, Emmanuel David, Bruno Daviet, Christian de Fenoyl, Louis-Aimé de Fouquières, Patrick de Giovanni, Jean-Louis de Montcheuil, Jean-François Debrois, Yves Dejou, Jean-Michel Delbecq, Thierry Delfosse, Jean-Bernard Deloly, Bernard Delorme, Jean-Louis Delorme, Bernard Delvallee, Thomas Deniau, Pierre Denuelle, Tanguy Deren, Pierre d’Esclaibes, Jean-Marc Deshouillers, Jean-Claude Douvry, Baudouin Drieux, Daniel Druon, Laurent du Boullay, Bernard Dubois, Michel Duneau, Alain Dupleix, Jean-Yves Dupont, Bruno Durieux, Patrick Esnault, Yann Faguer, Pierre Fallavier, Jacques Favin Lévêque, Christian Fayet, Michel Fayet, Daniel Fischer, Jean-Charles Flandin, Philippe Fleury, Michel Fliess, Jean Fourtaux, Yves Franchet, Edouard Freund, Dominique Gagey, Gabriel Galand, Christian Galtier, Xavier Gandillot, Jean-Paul Garcia, Thierry Gaudin, René Gaudin, François Gendrin, Philippe Georges, Charles-Henri Germa, Jean-Paul Gillyboeuf, Bertand Giraud, Gérard Glandier, Philippe Gluntz, Michel Goldberg, Michel Gondran, Michel Gornet, Denis Gourguillon, Hervé Gourio, Jérôme Grassin, Jean Graveleau, Jean-Jacques Greif, Jean-Yves Gresser, Pierre-Antoine Grislain, Philippe Grosse, Bernard Guérin, Alain Guinaudeau, Jacques Guyader, Patrice Hardel, Philippe Herzog, Chuc Hoang, Marc Houery, Pierre Hoynant, Jean-Michel Hubert, Jean-François Hubert, Jean Huret, Jean-Paul Husson, Bernard Irion, Bertrand Jalard, Jean-Pierre Jamet, Henri Jannet, Philippe Jecat, Michel Joindot, Eric Juillard, Bernard Kasriel, Henri Kloetzer, François Lacôte, Bruno Lacroix, Jacques Lafond, Antoine Lafont, Louis Landrot, Pierre Lantermoz, Jean-Bernard Lartigue, Georges Latreyte, Arnaud Laudenbach, François Laudenbach, François Lefaudeux, Didier Legros, Jérôme Lenoir, Jean-Luc Lepine, Jean-Marie Levaux, François Levieux, Jean-François Levy, Hubert Lorino, Louis Lucas, Robert Mahl, Philippe Mamez, Jean-Pierre Marchand, Michel Marec, Jean-François Marquet, Jean-Louis Masson, Jean-Claude Martinet, Michel Maxant, Josy Mazodier, Bertrand Meary, Daniel Melin, Roger Mellet, Jean-Claude Minne, Olivier Miret, Olivier Mitterrand, Alain Monod-Broca, Didier Morteux, Pierre Moulin, Gilles Moutet, JeanLouis Nachury, Daniel Namias, Gérard Nepveu, Alain Nicolaïdis, Michel Nicolas, Hervé Nifenecker, Jean-Louis Nigon, Hervé Nora, Marc Noyelle, Gérard Olivéro, Denis Oulès, Jean-François Pacault, Alain Pages, Olivier Paul Dubois Taine, Jacques Pechamat, Hubert Peigné, Alain Pesson, Jacques Peter, Dominique Petit, Jean Petitot, Jean-Louis Picquand, Paul Pierron, François Pierrugues, Olivier Pironneau, Yann Pivet, Henri Plisson, Jean-François Poupinel, Jacques Poupon, Jacques Pozzetto, Charles Prévot, Jean Prévot, Henri Prévot, Rémy Prud’homme, Gilles Prunier, André Pruszkowski, Georges Puyoo, Joël Quancard, Roland Quillévéré, Jean Quintard, Michel Ramsay, Denis Randet, Alain Reillac, Claude Remy, Jean-Gabriel Remy, Pascal Remy, Yvonick Renard, Daniel Reydellet, Georges Richerme, Marc Riutort, Daniel Robequain, Philippe Roger, Georges-André Roux, Frédéric-Georges Roux, Georges Roze, Guy Rupied, Bernard Saint-André, Hervé Saint-Sauveur, Michel Sauvant, Gabriel Schreiber, Jean-Louis Schuster, Jean-Loup Servouse, Jacques Sicherman, Jean Sigalla, Jean-Pierre Somdecoste, Hervé Soufflet, Marc Spielrein, Alain Staron, Alain Staropoli, Francis Stephan, Jean-Noël Stock, Noël Talagrand, Daniel Tardy, Luc Tartar, Frédéric Tatout, François Tépénier, Alain Ternot, Robert Tetrel, André Thinieres, Armand Toubol, Louis Trébuchet, Yves Tuloup, François Valentin, Bernard Vandecastel, Patrice Velut, Pierre Vermeniuze, Jean-Pierre Verollet, Philippe Vesseron, Dominique Vignon, Charles-Henri Vigny, Alain Vincent, Olivier Voirin, Christian Voisard, Bruno Wiltz, Jean-Michel Yolin, Bernard Zeller