Imprimer, enregistrer en PDF ou envoyer cet article
Le 2 novembre 2017, quelques mois après son élection, Emmanuel Macron, dans son discours remarqué de la Sorbonne, appelait de ses vœux une politique agricole commune (PAC) qui « nous protège des aléas de mettre en péril la souveraineté alimentaire de l’Europe »… Le 9 décembre 2021, alors que la France s’apprêtait à prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne, l’agriculture fut absente de son discours, si ce n’est à travers l’évocation des « clauses miroirs » – indispensables – et la lutte contre le concept écologiste fumeux de « déforestation importée » et d’« d’eau virtuelle exportée ». Ainsi est notre président de la République, prompt à commenter et pusillanime quand il a le pouvoir d’agir.
Pourtant, l’heure est grave. La France importe 60 % des fruits qu’elle consomme, 40 % des légumes, 50 % de la viande blanche et 25 % de la viande rouge. La surface en blé a reculé de 3 % encore, en 2022, alors que la guerre en Ukraine aurait dû inciter à la développer. Les surfaces en maïs irrigué ont baissé de 18,5 %… La collecte laitière a reculé de 3 à 4 % selon les régions.
S’il n’y avait, pour la rendre excédentaire, l’exportation des céréales, des vins et des spiritueux, la balance commerciale agricole de la France serait largement déficitaire.
Comme pour mieux cacher ce déclin, le ministère de l’Agriculture a été, pour la première fois, rebaptisé ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire !
L’exemple de la sylviculture est édifiant. Nos bois sont exportés pour être transformés dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère, et quand ils reviennent en France, c’est sous la forme de produits finis… Lorsque l’on veut construire en bois, la plupart des matériaux sont importés, soit d’Europe du Nord (charpente), soit des pays exotiques (menuiseries), alors que la France dispose de toutes les essences utiles et de toutes les ressources techniques. La balance commerciale de la filière bois, en France, est déficitaire de 7 milliards d’euros.
Le constat est le même pour nos pommes de terre qui quittent la France pour être transformées en frites en Belgique. Pour nos veaux, qui sont achetés par les Italiens et les Espagnols qui les élèvent avant de les exporter. Pour l’agriculture, comme pour la filière bois, la France manque cruellement d’industries de première et deuxième transformation.
Une concurrence déloyale, faussée et contre-productive
Dans le même temps, la PAC est devenue une vaste politique environnementale, ni vraiment agricole, ni vraiment commune, qui agit a contrario de la souveraineté alimentaire du continent et de la France. La stratégie « Farm to fork » (« de la ferme à la fourchette »), adoptée en octobre 2021 par le Parlement européen, en se donnant des objectifs de « réduction des pesticides » et d’augmentation de l’agriculture « biologique », risque fort de sacrifier un peu plus encore notre autonomie alimentaire et l’avenir de nos agriculteurs. Ce discours idéologique qui ignore tout ou presque des réalités scientifiques est en train de tuer à petit feu tous les efforts de l’agriculture européenne et les fruits des progrès de l’agronomie.
L’incompréhension entre l’Europe et les acteurs du vivant se creuse de jour en jour. Le projet récent de retirer au bois-énergie et à la biomasse le caractère d’énergie renouvelable ne fait qu’ajouter à l’incompréhension des forestiers et des agriculteurs.
Et si on analysait les bénéfices ?
À cela s’ajoute la surtransposition franco-française. En octobre 2021, 454 matières actives étaient autorisées en Europe, contre seulement 309 en France… Comment accepter, dans ces conditions, un « marché commun » quand les règles de production ne sont pas communes. Le principe fondateur du marché commun n’était-il pas « une concurrence libre et non faussée » ? Dernier exemple en date, l’interdiction faite aux betteraviers de l’usage des semences enrobées de néonicotinoïdes sans solution alternative en France, quand les solutions alternatives sont autorisées partout ailleurs ! Trop souvent la France (l’Europe) autorise l’importation de productions qu’elle interdit sur son sol. L’annonce de « clauses miroirs » toujours très applaudies en période électorale n’est, en fait, jamais suivie d’effet.
La toute dernière décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), mi-février, d’interdire un des herbicides les plus utilisés sur les grandes cultures, le S-métolachlore, trop présent dans les nappes phréatiques, ne fait qu’ajouter à l’incompréhension des agriculteurs.
Pourquoi, en France, la décision d’interdire ne revient-elle pas au ministère de l’Agriculture ? Pourquoi ne dispose-t-on pas, pour l’éclairer, d’un institut de mesure des bénéfices qui fasse le pendant aux multiples instituts de mesure des risques ? Pourquoi le « principe de précaution » a-t-il été dévoyé au point d’en faire un principe d’interdiction ?
L’agriculture, en France, c’est « je t’aime, moi non plus ».
Chaque année, le magazine britannique The Economist publie l’indice de durabilité des modèles agricoles et alimentaires dans le monde. Notre agriculture est bien souvent dans le trio de tête, si ce n’est la première au palmarès. Pourtant, en France, les agriculteurs sont accusés de tous les maux. Il est de bon ton de dire pis que pendre de notre agriculture, comme le font par exemple Élise Lucet ou Hugo Clément dans leurs émissions dites « de service public ». Les agriculteurs supportent mal ces accusations.
« On a l’impression qu’on voudrait que les agriculteurs continuent à assurer le meilleur en les privant de tout », expliquait récemment la géographe Sylvie Brunel, auteur de Nourrir. Cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre, à Axel de Tarlé (« C dans l’air »). Et pourtant, à partir de ce 25 février, les Français vont se presser en famille au Salon de l’agriculture à Paris pour visiter « la plus grande ferme de France »…