[Tribune] L’agriculture en France (II) : vraiment, fait-on tout pour la sauver ? (Boulevard Voltaire)

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Suite de la tribune publiée le 24 février.

L’augmentation du prix de l’énergie et des intrants

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie et des intrants (engrais, produits phytopharmaceutiques) n’ont fait qu’augmenter. Or, en 2018, la France s’est auto-interdit d’exploiter ses propres gisements de gaz ! Une décision ubuesque qui pèse lourd, aujourd’hui, dans le budget des industriels, des ménages et des agriculteurs.

En 2022, la France est devenue importatrice nette d’électricité ! Du jamais-vu ! La France était le dixième producteur mondial d’électricité en 2018 et le premier pays exportateur au monde… Comme pour les artisans et les commerçants, la facture d’électricité des agriculteurs explose ! Cette politique, basée sur une idéologie mortifère et contre-productive, a un impact direct sur le moral et sur le revenu des agriculteurs. La moitié d’entre eux ont plus de 55 ans et aspirent à la retraite dans les dix ans qui viennent. Une grande partie ne transmettra pas son exploitation, faute de candidat.

À cela s’ajoute une complexité administrative toujours grandissante.

Derrière une exploitation agricole se cachent bien souvent, par nécessité, plusieurs structures juridiques : un groupement foncier, une société d’exploitation agricole (GAEC, SCEA…), une SARL ou une SAS, une SCI, un groupement forestier… Chacune des activités rurales (production agricole, production forestière, production d’énergie, transformation, commerce, immobilier, tourisme…) n’ayant pas les mêmes contraintes sociales et fiscales ! Tout cela mérite d’être simplifié pour permettre à ces entreprises aux activités multiples, qui sont au cœur de l’économie rurale, de se développer.

Selon Aymeric Belaud, de Institut de recherche et d’études de la finition (IREF), « les agriculteurs, en 2016, passaient tous en moyenne 9 heures par semaine à remplir des formulaires pour 57 heures de travail hebdomadaire, et 12 % d’entre eux étaient même occupés plus de 15 heures par semaine par des papiers administratifs ». La bureaucratie est un fléau, plus encore en agriculture qu’ailleurs.

En France, les administrations en charge de l’agriculture voient leurs effectifs augmenter alors que le nombre d’agriculteurs baisse inexorablement et qu’une partie de leurs prérogatives a été confiée à Bruxelles… C’est l’illustration parfaite de la loi de Parkinson*.

… et la multiplication des aléas climatiques

Au-delà d’une assurance multi-périls réformée récemment par le gouvernement, nous proposions avec David Lisnard, en avril 2021, la création dans chaque exploitation d’un nouveau dispositif appelé « Compte épargne aléas climatiques et économiques ». Lorsqu’une année est bénéficiaire, l’agriculteur verse de l’argent sur le compte-épargne, ce versement passant en charge d’exploitation.

Lorsqu’il doit faire face à un aléa climatique ou économique, il débloque l’épargne, la somme passant alors en produit d’exploitation. Ce « compte épargne aléas climatiques et économiques » serait une forme d’assurance-vie pour l’exploitation et pourrait être plafonné à une année de production.

Imaginez la situation de nos exploitations agricoles si elles bénéficiaient d’un tel dispositif : au bout de quelques années, elles seraient réellement protégées contre de nombreuses formes d’aléas. Y compris contre les pertes de chiffre d’affaires en cas de pandémie.

Une autre proposition était de libéraliser le calcul de l’amortissement comptable. Ainsi, lorsque l’année est bonne, on amortit davantage l’investissement comptablement et l’on minimise ainsi les charges sociales et fiscales afin de constituer des réserves dont on dispose alors en cas d’aléas climatiques.

Le revenu agricole doit être notre seule priorité car il conditionne toutes les autres

L’Allemagne, depuis qu’elle a pris le taureau par les cornes au début des années 2000 et les mesures Schröder/Hartz, dispute désormais à la France son statut de leader agricole de l’Europe.

Parmi les solutions choisies par Gerhard Schröder, en 2000 : la TVA Sociale ou « TVA antidélocalisation »« TVA relocalisation »« TVA équitable », etc. Une solution éprouvée pour permettre aux agriculteurs français d’améliorer leur revenu tout en taxant les produits d’importation. Toujours évoquée, jamais mise en place faute de courage politique pour l’appliquer et de discours pédagogique pour l’expliquer. Appelons-la aujourd’hui « TVA souveraineté » ! Il s’agit de faire basculer un certain nombre de charges sociales des salaires ou des revenus agricoles vers la « valeur ajoutée ». Taxer la « valeur ajoutée » plutôt que les salaires permettra de retrouver un équilibre concurrentiel nécessaire entre production nationale et production importée et de redonner une chance à la souveraineté alimentaire nationale, tout en améliorant le revenu agricole.

C’est exactement le contraire de ce qui se passe aujourd’hui. Les produits agricoles bénéficient d’une TVA à taux réduit, voire très réduit, alors que les bénéfices agricoles, comme ceux des artisans et des commerçants, sont hyper taxés. Il faut inverser la tendance.

Le revenu agricole doit être notre seule priorité car il conditionne toutes les autres : le bien-être et le moral des agriculteurs, la qualité des productions agricoles, l’investissement, la protection contre les aléas climatiques et économiques, la transmission des exploitations et l’installation des nouvelles générations. Bref, tout ce qui permettra la souveraineté alimentaire de la France !

Un revenu qui pourrait être complété judicieusement et logiquement par une part de la taxe carbone, qui est payée par les émetteurs de CO2, pour saluer et rémunérer les efforts constants des agriculteurs et des sylviculteurs qui fixent le carbone dans leurs productions et dans les sols, participant ainsi activement à la lutte d’intérêt général planétaire contre le changement climatique. Le seul moyen connu et résolument efficace d’absorber le gaz carbonique contenu dans l’atmosphère en utilisant l’énergie du soleil est de mobiliser le vivant !

Refaisons de l’agriculture, de la forêt et des industries de transformation un enjeu de notre souveraineté nationale ! Il y a urgence !

 
* La loi de Parkinson pose que tout travail au sein d’une administration augmente jusqu’à occuper entièrement le temps qui lui est affecté. Elle concerne en particulier la multiplication inéluctable des bureaucrates et a d’abord été publiée par Cyril Northcote Parkinson, le 19 novembre 1955, dans un article publié dans la revue The Economist et reprise ensuite avec neuf autres articles du même auteur dans un ouvrage intitulé Parkinson’s Law, and Other Studies in Administration, aux Éditions The Riverside Press, en 1957. Cet ouvrage a été traduit en français par Jérôme de Villehouverte en 1958 sous le titre 1 = 2, ou les principes de Monsieur Parkinson.

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