La diversité exceptionnelle des forêts françaises, riches de 136 essences d’arbres, ne se traduit pas encore dans une diversité équivalente pour les produits bois. Pour accompagner toutes les essences en forêt et trouver pour elles des débouchés à haute valeur ajoutée, la filière forêt-bois fait face à un immense chantier. Il y a encore beaucoup à faire, et le changement est lent. Au niveau filière, des initiatives structurantes ont néanmoins vu le jour ces dernières années pour faire reconnaître les qualités de (certains) feuillus ou résineux, pour développer les usages structurels avec des bois plus techniques, pour sensibiliser les designers et architectes aux qualités exceptionnelles de bois méconnus ou oubliés. Au sein des massifs forestiers, transformateurs, industriels, propriétaires se mobilisent aussi à leur niveau pour des utilisations exemplaires de la ressource locale.
Comment mieux adapter les marchés à la ressource forestière ? Pour résoudre un paradoxe entre une forêt riche et diversifiée et une standardisation des produits bois concentrée sur quelques essences « stars », il faudra massifier les débouchés à forte valeur ajoutée pour toutes les essences françaises.Dossier réalisé par Blandine Even et Violaine Grimprel
Le bois a le vent en poupe. Pour les secteurs de la construction et de la rénovation, le bois représente un levier clé de décarbonation du bâti. Le gouvernement a par exemple annoncé l’année dernière une stratégie d’accélération « Ville durable et Bâtiments innovants », financée à hauteur de 675 millions d’euros.
L’un des objectifs est de soutenir la massification de la construction et de la rénovation bois et d’anticiper une montée en charge de la construction bois et bio-sourcée. Selon l’Ademe, qui lance en mars 2023 un appel à projets destiné à l’émergence ou la consolidation des filières bois et matériaux biosourcés : « La demande du secteur de la construction sur le segment bois-autres biosourcés est amenée à monter en puissance, appuyée par un système réglementaire et politique incitatif (RE2020, label bâtiment biosourcé neuf et label rénovation biosourcée en cours de montage, politique publique d’exemplarité des bâtiments publics, objectifs de 10 % de surface de plancher bois dans les bâtiments des administrations) et par une appétence sociétale grandissante pour l’usage de matériaux et produits renouvelables et favorables à la lutte contre le réchauffement climatique. »
Un paradoxe français
Malgré le trésor que représentent les forêts françaises, il se pourrait que l’appétence pour le bois profite surtout aux voisins européens. En cause, une inadéquation entre la ressource forestière (majoritairement feuillue) et une demande et un outil de transformation majoritairement résineux.
La dernière enquête Agreste sur la branche exploitation forestière et scierie fait état d’une production de 8,1 millions de m3 de sciages (hors merrain et traverses de chemin de fer), un chiffre en baisse constante depuis trente ans. Les sciages résineux représentent 83 % de la production. Les sciages feuillus totalisent 1,4 million de m3 , tirés par le chêne, le hêtre et la populiculture. À peine 100 000 m3 de sciages pour les « autres ». Pourtant, ces feuillus divers couvrent 700 millions de m3 de bois sur pied dans les forêts françaises. Ils ne sont finalement pas si loin du trio de tête (chêne-hêtre-peuplier) qui cumule 926 millions de m3.
Pourquoi ce gaspillage ?
Comment mieux adapter les marchés à la ressource forestière ? Pour résoudre un paradoxe entre une forêt riche et diversifiée et une standardisation des produits bois concentrée sur quelques essences « stars », il faudra massifier les débouchés à forte valeur ajoutée pour toutes les essences françaises.
Qualification
Plusieurs facteurs expliquent le déséquilibre. Le « rendement matière » (c’est-à-dire la quantité de sciages obtenue pour chaque grume sciée) est plus faible que pour les résineux, dont les caractéristiques sont plus normalisées. La transformation des grumes de feuillus produit une quantité importante de déchets (chutes, sciures, écorces).
Le décalage entre ressource et production ne repose pas uniquement sur la vitesse de croissance moindre
et les volumes valorisables proportionnellement moins importants des essences feuillues. « L’outil industriel
français de transformation est de moins en moins adapté », avance Antoine d’Amécourt, président de Fransylva. « Depuis cinquante ans, les scieries artisanales se sont industrialisées et spécialisées. Les outils de proximité ont disparu et les scieurs restants se sont concentrés sur quelques essences. » Un phénomène regrettable « qui explique que certains scieurs se lamentent de ne pas trouver suffisamment de chênes de qualité, alors que les hêtres et frênes voisins ne trouvent pas preneurs, sauf pour la trituration ou l’énergie, peu rémunératrices ». La mise en marché des feuillus « secondaires » serait aussi à revoir. Plus disséminés, plus difficilement mobilisables, ils nécessiteraient un travail de l’amont (coopératives ou autres) pour « faciliter le regroupement de commercialisation ».
Un impératif : maintenir la diversité
L’impasse économique qui bloque de nombreuses essences a des conséquences en forêt. « La faiblesse des débouchés rémunérateurs pour toutes les essences forestières est un frein à la gestion durable, rappelle Antoine d’Amécourt. La biodiversité s’encourage aussi par la valorisation économique d’une grande variété d’essences forestières. » Comment faire pour maintenir la mosaïque des 136 essences et la diversité des sylvicultures ? « Il s’agit surtout de développer des usages à haute valeur ajoutée, pour construire et aménager le quotidien en bois, revendique Antoine d’Amécourt.
Le bois de structure, les usages en extérieur imposent un lourd travail normatif pour garantir qualité et sécurité des produits finis. C’est moins le cas pour l’aménagement intérieur. Le design devrait pouvoir sublimer sans discriminer presque toutes les essences !