Communication de l’académie d’agriculture de France sur le rapport de l’académie des sciences : « Les forêts françaises face au changement climatique »

Production de bois, espace de loisirs, puits de carbone, réservoirs de biodiversité…, les forêts offrent de multiples services essentiels aux humains et à la Terre. Face à des aléas biotiques (ravageurs) et abiotiques (sécheresses, incendies) qui s’intensifient avec le réchauffement climatique et les changements globaux (commerce international favorisant les invasions biologiques), on observe dans le monde, en Europe et en France, des évolutions préoccupantes telles qu’une augmentation des mortalités d’arbres, des dépérissements de massifs, et de l’altération du fonctionnement des écosystèmes forestiers (cycles du carbone et de l’eau), qui nous incitent à repenser la façon de gérer les forêts.

Dans ce contexte, le Comité des sciences de l’environnement de l’Académie des sciences vient de publier en juin 2023 un premier rapport sur « les forêts françaises face au changement climatique ». Ce travail vise essentiellement à établir la base de connaissances actuellement disponibles -ce que peut dire la science – sur laquelle fonder des propositions pour la gestion et la gouvernance, et à identifier des voies de progrès possibles pour faire reculer les incertitudes encore nombreuses sur un sujet complexe. Ce document a été rédigé par des scientifiques issus notamment des disciplines de l’écologie et des cycles biogéochimiques. Il présente les forêts françaises, leurs multiples contributions aux sociétés et au bien-être humain et leurs vulnérabilités face aux risques qui les menacent. Dans ce cadre, il insiste principalement sur leur participation à l’atténuation du changement climatique, et de ce fait accorde un poids important au cycle du carbone, en insistant surtout sur la fonction de séquestration et stockage (puits de carbone) mais beaucoup moins sur le concept de substitution à des matériaux ou sources d’énergie fondées sur du carbone fossile. Le rapport est le résultat d’un important travail de synthèse scientifique. On ne peut que saluer la qualité des sections relatives à l’état de l’art, renforcée par une présentation et des illustrations très pédagogiques.

De son côté, l’académie d’agriculture a accumulé dans ce domaine une forte expérience au cours des dernières années.  « Forêts mondiales et changement climatique », dossier sur « la COP21, le climat et l’agriculture », Revue de l’Académie d’agriculture de France n°9, mai 2016, pp. 43-46,  Guehl J.M., Alexandre S. et Peyron J.L ; « La forêt et le bois en 100 questions » ((ouvrage collectif interactif de 450 pages disponible sur internet, auquel ont contribué 70 scientifiques et ingénieurs), Le Grand Livre des Arbres et de la Foret (éd. Odile Jacob), Point de vue d’académiciens de l’AAF (2021).; « Pour un engagement bien plus fort et de long terme pour réaliser la transition écologique et climatique », point de vue d’académiciens signé par Alexandre S., Birot Y., Cailliez F., Corvol-Dessert A., Déglise X., Dereix C., Flies R., Florentin G.H., Gaiffe M., Gizard M., Grassin J., Gril J., Guehl J.M., Guinard D., Henry J.Y., Jactel H., Kremer A., Lanly J.P., Lesgourgues Y., Ollivier P., Peyron J.L., Roman-Amat B., Sturm J., Tandeau de Marsac G., Tendron G., Thibaut B., Valeix J., Vincent M. Vernois M., décembre 2021, 9 p.

Ses réflexions se situent dans le champ d’une bio-économie (dans son sens le plus large) circulaire et durable, intégrant non seulement l’ensemble des services écosystémiques rendus par les forêts, mais également leurs implications socio-économiques (chaînes de valeur allant de la forêt à ses produits, bois et non bois, ainsi qu’à l’énergie). Les enjeux majeurs sont :

1) adapter la gestion des forêts pour améliorer leur résilience au changement climatique en faisant largement appel à la diversité biologique, depuis la diversité génétique  jusqu’à la diversité des communautés ;

2) contribuer à l’atténuation de l’effet de serre par séquestration et stockage du carbone en forêt et dans les produits issus de la forêt ;

3) maintenir voire augmenter durablement les services écosystémiques rendus par les forêts dans un contexte contraint par le dérèglement climatique,

4) promouvoir les usages du bois et de la biomasse forestière (meubles, construction etc.) comme substituts aux produits ayant eu recours aux énergies fossiles.

Une analyse comparative de ces deux types de sources (Académie des Sciences et Académie de l’Agriculture et de la Forêt) fait apparaître un certain nombre de points de consensus, dont notamment :

1) la grande vulnérabilité des forêts aux événements extrêmes, comme les canicules, sécheresses et incendies, pullulations de ravageurs et pathogènes, ainsi qu’aux effets tendanciels du changement climatique sur la croissance et le cycle de développement des arbres ;

2) un bilan carbone des forêts françaises  globalement très positif sur les dernières décennies, mais qui a récemment décru en raison des dommages aux forêts  (tempêtes, incendies, ravageurs), d’une moindre croissance et d’une mortalité accrue, ce qui peut transformer, au moins temporairement et localement, le puits de carbone forestier en source ;

3) le besoin de renforcer la recherche sur la modélisation du fonctionnement des écosystèmes forestiers et leur résilience , de consolider les méthodes de monitoring pour paramétrer les modèles et les valider ;

4) la priorité qui doit être accordée aux échelles spatiales des territoires et massifs forestiers pour les diagnostics et les actions à conduire ;

5) la nécessaire préservation des sols et de la diversité génétique ;

6) l’intérêt des mélanges d’espèces ;

7) le besoin de recherche sur la valorisation industrielle et technologique des feuillus.

Pourtant il existe aussi des points de désaccord liés à des lacunes ainsi qu’à des analyses, des conclusions et recommandations non partagées… Les questions les plus saillantes concernent inter alia les points suivants :

1) l’intérêt excessif accordé à la libre évolution des forêts, dont les contributions aux différents services écosystémiques et leurs temporalités restent trop largement méconnues et leurs inconvénients sous-estimés ;

2) les mérites attribués aux vieilles forêts se doivent d’être nuancés, notamment concernant le maintien de longue génération qui est un frein à l’évolution darwinienne, dont la contribution à l’adaptation passe nécessairement par un renouvellement plus rapide des forêts. ;

3) une analyse très à charge contre la mesure des réductions d’émission par substitution, pourtant les seules qui soient définitives, et qui permettent au bois matériau (dans la construction notamment) voire énergie (principalement pour des produits bois en fin de vie) d’avoir un avantage comparatif par rapport à des filières basées sur les combustibles fossiles ;

4) une perception incomplète des risques auxquels sont exposées les forêts : biotiques et abiotiques ;

5) une préconisation privilégiant la sylviculture à couvert continu qui ignore le tempérament plus ou moins héliophile des essences ;

6)  une vision simpliste  de la sylviculture alors qu’elle peut jouer un rôle important pour améliorer le fonctionnement des écosystèmes forestiers ; vi) pour la filière bois et la gouvernance publique, les préconisations ne semblent pas assises sur une vision suffisamment réaliste des jeux d’acteurs et sur une compréhension forte de la réalité des marchés.

L’état des lieux qui est ainsi dressé va être incontestablement utile à la formulation des politiques publiques relatives aux forêts. Mais il nécessite encore pour cela un travail important d’amélioration du contenu et de traduction en propositions d’action. C’est à cet effort que les deux académies pourraient participer en essayant de répondre aux questions suivantes :

  • Dans quelle mesure convient-il de rééquilibrer le bilan carbone de la filière forêt-bois en faveur des émissions évitées par l’utilisation du bois (effet de substitution) compte-tenu de la vulnérabilité manifeste des forêts et donc de l’accumulation de bois in situ ?
  • Comment prendre en compte les incertitudes des scénarios de changement climatique dans la gestion forestière et les stratégies d’adaptation de la forêt ? Comment arbitrer entre un changement probable d’essences et le potentiel évolutif des essences en place ?
  • Quelles priorités accorder à l’adaptation au changement climatique et à l’atténuation du changement climatique entre elles et par rapport aux autres contributions de la forêt en matière d’aménités sociales, de fourniture de ressources renouvelables, de protection de la biodiversité, des eaux et des sols ?
  • Quels sont les principaux besoins en matière de recherche et innovation sur la forêt- filière forêt-bois ?
  • Quelle gouvernance installer et quels moyens dégager pour faciliter la réalisation de compromis locaux permettant de traiter les enjeux de la gestion forestière sur le long terme ?

Sylvie Alexandre, Yves BIROT, Georges-Henri FLORENTIN, Hervé JACTEL, Jean-Luc PEYRON –  11 juin 2023

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