La France est le troisième pays consommateur de volaille en Europe, derrière le Royaume-Uni (2,23 millions de tonnes) et l’Allemagne (1,86 million de tonnes). Avec 28,5 kg de volailles consommés par an et par habitant, cette viande se retrouve dans les assiettes des Français deux fois par semaine. Elle s’inscrit au cœur des nouvelles tendances alimentaires grâce à ses qualités gustatives et nutritionnelles et à son prix abordable. L’agence Santé publique France préconise de privilégier la volaille dans ses recommandations relatives à la consommation de viande.
En cinq ans, la consommation globale des volailles a ainsi progressé de 15 % en volume, marquée par une très nette augmentation dans la restauration (restaurants, restaurants d’entreprise et restaurants scolaires). Une dynamique rompue temporairement en 2020 avec les diverses mesures de restrictions dues au Covid-19. Oui, mais… un poulet sur deux consommés en France vient désormais de l’étranger, contre un sur quatre en 2000 !
Comme le souligne le rapport « Compétitivité de la ferme France » du Sénat : « En moins de 20 ans, ce fleuron exportateur est devenu un des secteurs les plus dépendants des importations. » En effet, le solde de la balance commerciale des volailles françaises, excédentaire auparavant, est devenu déficitaire en 2016. Comment ?
Acte I : en 2013, l’Union européenne a mis fin aux restitutions aux exportations
En 2010, 25 % de la production de poulet français était exportés vers les pays du Proche et du Moyen-Orient. Cette offre spécifique ne concerne désormais plus que 8 % de la production française de poulet, concurrencée par des pays comme le Brésil ou la Thaïlande. Cette baisse a été provoquée par l’arrêt des restitutions aux exportations, un dispositif qui permettait de compenser la différence entre les prix communautaires et les prix mondiaux. Une différence de prix liée à l’application des normes sociales et environnementales au sein de l’Union européenne. Avant 2013, il permettait aux entreprises françaises de percevoir, en moyenne, 75 millions d’euros par an de la part de l’Union européenne.
Acte II : en juin 2021, l’Union européenne a décidé de lever totalement les restrictions liées aux importations ukrainiennes.
Or, le coût de production du poulet ukrainien est beaucoup plus bas qu’en France. Son prix avoisine celui du poulet brésilien et le pays ne respecte pas les normes qui sont en vigueur dans les élevages de l’Union européenne. « Le filet de poulet ukrainien est deux fois moins cher que celui standard français, et il coûte 4 à 5 fois moins qu’un filet label rouge voire 7 fois moins qu’un filet bio », calcule Yann Nédéléc, directeur de l’Association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair (ANVOL).
Selon l’ANVOL, « 90 % des importations européennes de volailles en provenance d’Ukraine viennent du groupe MHP ». Un groupe détenu par l’oligarque Loury Kosiouk. Les élevages du groupe sont, pour la plupart, des fermes-usines. Ces poulets finissent le plus souvent dans les plats préparés et dans la restauration (cantines, restaurants…). Le consommateur n’a aucun moyen de savoir quel poulet se retrouve dans son assiette. Michel Larrère, éleveur de poulets dans les Landes se désole sur France 3 Aquitaine : « À nous, on nous demande de faire de la qualité, du bien-être animal, de faire attention au bilan carbone… Il faut qu’on soit parfait. Et on importe de plus en plus. »
Acte III : en 2023, l’Union européenne envisage la confusion dans l’étiquetage
Pour couronner le tout, dans le cadre de la révision en cours des normes de commercialisation européennes, la Commission envisage de supprimer les normes permettant aux consommateurs d’identifier les modes d’élevage des volailles grâce aux cinq seules mentions jusqu’à présent autorisées : « Alimenté avec x % de … » ; « Élevé à l’intérieur – système extensif » ; « Sortant à l’extérieur » ; « Fermier – élevé en plein air » ; « Fermier – élevé en liberté ».
Autant dire que, sans cet étiquetage, les éleveurs français perdront le seul avantage concurrentiel qui leur reste en Europe ! La France est le numéro un en Europe pour les productions « fermières – élevées en plein air – élevées en liberté » qui représentent 20 % de sa production, loin devant l’Italie qui se place en deuxième position, avec 7 %.
Alors, laisserons-nous l’Europe supprimer les mentions valorisantes qui figurent sur nos volailles et auxquelles nos consommateurs sont habitués ? La question a été posée au ministre de l’Agriculture, il y a trois jours, par le sénateur Daniel Laurent (Charente-Maritime). Il attend une réponse.
Hasard du calendrier, la discussion entre la Commission européenne et les États membres prenait fin le 2 février 2023… alors que la France est mobilisée pour lutter contre la propagation de la grippe aviaire. En 2022, l’épizootie a entraîné la disparition de 20 millions de volailles, dont 12 millions de volailles de chair.
L’enjeu consiste à défendre une filière d’excellence française face à une Europe qui prône la liberté… sauf pour les poulets ! La France compte un total de 14.000 élevages de volailles. Ancrée au cœur des territoires, la filière emploie environ 100.000 professionnels, dont environ 34.000 dans les élevages eux-mêmes. On estime qu’un seul élevage génère environ trois emplois locaux et environ huit emplois en France. Faut-il les laisser tomber ?