Rosés de coupage: Bruxelles a bon dos

Pour apporter un nouvel éclairage à l’affaire des rosés de coupage (une affaire qui n’a pas toujours bénéficié de la belle transparence des meilleurs rosés de Provence), voici une tribune d’Alain Lamassoure, ancien Ministre, Député européen, parue dans « Les Echos » du 21 avril.

«L’Europe qui protège», ou l’Europe bouc émissaire?

De gauche, de droite et d’extrême droite, les partis politiques français engagent la campagne des élections européennes en se disputant le slogan de «l’Europe qui protège». En pleine crise économique, c’est bien ce que les Français attendent d’elle. Plus étonnant, et plus navrant, est l’unanimité qui semble se refaire spontanément pour faire de Bruxelles le bouc émissaire de nos malheurs, réels ou imaginaires. Et chacun de se délecter de l’affaire de la composition du vin rosé, avec une conclusion unanime: «Mais pourquoi l’Europe s’occupe-t-elle de pareilles broutilles, au lieu de se concentrer sur l’important ?»

Revient alors dans les mémoires, et dans tous les discours, le fameux règlement européen sur la fabrication des fromages au lait cru. Dix-sept ans après, la formidable philippique de Charles Pasqua fait encore trembler les esprits faibles. Quoi! Les technocrates de Bruxelles prétendraient apprendre à nos vaillants producteurs comment on fait le vacherin? Mugissez bovins, ricanez sonnailles! Quelle mouche a piqué ces ronds-de-cuir? Mais tout simplement… les représentants des producteurs français. Car un fromage au lait cru mal fabriqué peut transmettre la redoutable listériose. Saisissant ce prétexte, nos partenaires européens interdisaient l’importation de ces fromages français. Le seul moyen de les rassurer était de transformer le règlement français sur la fabrication des fromages au lait cru en règlement européen. Voilà qui fut fait, et qui permit à nos éleveurs d’élargir leur clientèle, pour la plus grande satisfaction des producteurs, des consommateurs, de notre balance commerciale… et des démagogues allergiques à l’Europe.

L’actualité nous rappelle que ce danger sanitaire n’est ni imaginaire ni, hélas, limité au fromage : nous apprenons aujourd’hui que plusieurs dizaines de Marseillais ont été intoxiqués, dont deux mortellement, par l’ingestion de braves «figatelli» corses. Après cela, faudra-t-il que les technocrates bruxellois apprennent aux bergers corses à faire de la charcuterie? Non, mais si ceux-ci veulent continuer d’exporter, il faudra bien qu’ils produisent une garantie, disons extra-insulaire…

Survient là-dessus la décision sur le vin rosé. Hommage soit rendu à l’hebdomadaire «Sud-Ouest dimanche», pour avoir osé approfondir le dossier, au lieu de participer aux vociférations générales. Qui a demandé que l’Europe se mêle des pratiques oenologiques ? Mais… la France, la première, l’harmonisation des règles étant souhaitée par tous les producteurs. C’est cette harmonisation qui nous permet, entre autres, de garder le droit de chaptaliser, que nous contestent âprement Italiens et Espagnols. Le coupage entre vin rouge et blanc est-il synonyme de mauvaise qualité ? Sûrement pas, puisqu’il a toujours été autorisé pour les vins AOC, y compris, donc, pour le champagne, comme pour les producteurs provençaux, qui ont été pourtant les premiers à protester! Car le coupage n’a rien à voir avec la qualité : il avait été interdit à une époque où les subventions européennes variaient en fonction de la couleur du vin, ce qui permettait à des petits malins de frauder en mélangeant les teintes. D’ailleurs, il a toujours été légalement possible d’assembler en amont des raisins rouges et blancs pour tous les types de vins ! Comme le dit le secrétaire général de la Fédération espagnole du vin : «De quel droit Bruxelles interdirait-il pour les vins de table ce qui est déjà permis pour les vins d’appellation d’origine contrôlée ? Ceux-ci, qui ont normalement des règles plus restrictives que les autres, voudraient-ils défendre un privilège?»

La solution est évidente : un étiquetage adapté et une campagne de promotion commerciale pour valoriser le vin de qualité. Ce qui a si bien réussi pour le chocolat: il y a dix ans, l’Hexagone avait été ému, non par l’intervention de «Bruxelles» pour réglementer la composition des graisses végétales additionnelles – les Français le lui demandaient, au contraire -, mais par l’ouverture de cette composition à des graisses nouvelles. Les commerciaux surent tirer le meilleur profit de l’incident : jamais le vrai chocolat noir et les chocolats de qualité ne se sont autant vendus depuis.

Trois conclusions s’imposent.

  • La première: s’il est clair que l’Union européenne ne doit s’occuper que des problèmes importants, cette importance doit se juger, non à la technicité du sujet, mais aux conséquences économiques, sociales, sanitaires, environnementales, possibles. Lorsqu’il s’agit du fonctionnement du marché commun, de la loyauté de la concurrence et, à plus forte raison, de la sécurité du consommateur, des points apparemment microscopiques peuvent être déterminants.
  • La deuxième, c’est que le jour où les grands médias audiovisuels auront le courage de certains de leurs confrères régionaux de faire leur métier contre le vent dominant, l’image de l’Europe sera transformée. Et le débat public y gagnera beaucoup.
  • La troisième concerne les politiques. De l’Europe, certains n’évoquent que les queues de cerise, parce qu’ils veulent faire oublier les réussites extraordinaires de l’Union européenne, précisément sur les problèmes majeurs. Dans cette crise financière sans précédent, qu’est-ce qui a sauvé la France d’une effroyable tourmente monétaire ? Son appartenance à la zone euro. Mais c’est difficile à avouer quand on a voté contre le traité de Maastricht, ou lorsqu’on s’est servi du président de la Banque centrale, Jean-Claude Trichet, comme bouc émissaire institutionnel. Et qui a conçu le plan énergie/climat, qui place l’Europe à l’avant-garde de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique? C’est la Commission européenne, présidée par l’autre bouc émissaire favori de l’Hexagone, José Manuel Barroso, et non pas saint Nicolas Hulot. Mais chut ! Nous franchissons là la ligne du politiquement correct.

Alain Lamassoure

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