« François Athanase de Charette de la Contrie, le marin oublié. » (Cols bleus)

Alors que le cinéma s’est emparé du personnage de Charette, figure réactionnaire et symbole royaliste de la contre-révolution pour les uns, héros flamboyant et malheureux des guerres de Vendée ou porte-drapeau de l’idéal chouan pour les autres, la « vraie » vie de François Athanase Charette de La Contrie est bien plus complexe. Admiré ou détesté pour son rôle à la tête d’une insurrection locale de paysans écrasés d’impôts et insurgés contre la levée en masse (déclarée le 2 mars 1793 par la Convention), puis comme généralissime de l’Armée catholique et royale, reconnu par Louis XVIII, Charette est un personnage controversé, solaire, clivant, héroïque et fragile. Avant cela, engagé comme marin du roi, il a surtout vécu la plupart des grands combats de son époque.

UN CADET DE FAMILLE

Né le 2 mai 1763 à Couffé dans une famille de petite noblesse bretonne, François Athanase hérite à la mort de son père de quelques arpents de terres sans grande valeur qu’il partage avec sa sœur. La majorité de la maigre fortune familiale passe à son frère aîné. Comme pour tous les cadets de famille de l’Ancien Régime, il n’a pas d’autre solution que d’envisager le métier des armes. Et quand, le 20 mars 1779, il reçoit sa lettre de nomination comme aspirant
garde de la Marine, le jeune homme se voit déjà capitaine, couvert de gloire et riche en parts de prises. À cette époque, la guerre d’indépendance américaine fait rage depuis quatre ans et le royaume de France, allié notamment à l’Espagne et à la Hollande, est en conflit ouvert avec la Grande-Bretagne.

À peine âgé de 17 ans, Charette découvre la dure réalité de la vie en mer sur L’Auguste, un vaisseau de ligne de 80 canons rattaché à l’escadre du comte d’Orvilliers, chargée de protéger les côtes françaises. Mais, gravement malade, il doit être débarqué et le navire appareille sans lui pour l’Amérique et la bataille de Fort-Royal le 29 avril 1781, puis la bataille de la baie de Chesapeake, le 5 septembre, sous les ordres du vice-amiral de Grasse. Rétabli, il est affecté à bord du Hardi, un vaisseau de 64 canons intégré à l’escadre de La Motte-Picquet.

LE BAPTÊME DU FEU

Pour Charette, c’est enfin le baptême du feu. Le 25 avril 1781, son escadre sort de la rade de Brest et rencontre, le 2 mai, un convoi anglais qu’elle attaque. Vingt-deux navires marchands sont capturés. Après ce succès, Le Hardi se joint à l’expédition de La Motte-Picquet auprès de la flotte espagnole à Cadix, mais il doit retourner à Brest le 7 septembre, où il est désarmé. Passé sur le Clairvoyant, un côtre* de 33 canons, Charette va vivre l’un des plus grands combats navals de son époque et l’une des plus cuisantes défaites françaises : la bataille des Saintes (du 9 avril au 12 avril 1782).

Après une navigation sans histoires vers les Antilles pour escorter des navires marchands et des transports de troupes, François Athanase regarde avec une pointe d’envie les 35 navires de ligne de la flotte du vice-amiral de Grasse quitter la Martinique en direction des possessions espagnoles avec 150 navires de transport. Commandé par l’enseigne de vaisseau d’Aché, le Clairvoyant appareille à son tour. Pour le jeune garde de la Marine, le spectacle est à couper le souffle. Une forêt de voiles et de pavillon couvre la mer.

DANS LE PIÈGE BRITANNIQUE

Mais ni Charette, ni même de Grasse, ne savent qu’ils se dirigent tout droit dans un piège tendu par les amiraux anglais George Brydges Rodney et Samuel Hood dont l’escadre de 36 vaisseaux fond sur les Français. Pris de cours, de Grasse
ordonne au convoi de se réfugier en Guadeloupe. Mais en quelques instants, huit voiliers britanniques mettent cinq Français hors de combat. Le 12 avril, Rodney engage toutes ses forces et attaque les 30 bâtiments restant.

À bord du Clairvoyant, Charette n’est pas aux avant-postes, mais il ne va rien perdre de la catastrophe qui se déroule devant ses yeux. Pris en tenaille entre les Britanniques et la côte ouest de la Dominique, l’escadre du vice-amiral tente bien de virer de bord et de briser l’ordre de bataille, mais les Britanniques en profitent et la flotte française est presque
entièrement disloquée. La légende dit que de Grasse, qui a épuisé toutes ses munitions, fait tirer une dernière salve en chargeant les canons avec sa vaisselle d’argent, puis se rend. Les pertes françaises sont de 2000 morts ou blessés et de 5000 prisonniers.

RÊVE DE REVANCHE

Par chance, Charette a réussi à rejoindre la Guadeloupe puis Saint-Domingue, où il est appelé sur L’Hercule, un vaisseau de 74 canons. Comme beaucoup d’officiers et de marins, survivants de la bataille des Saintes, François Athanase rêve d’une revanche. Quand, en décembre, bruisse l’idée L’Histoire a surtout choisi de retenir ses trois dernières années passées à combattre les soldats de la Convention à la tête de l’Armée catholique et royale. Pourtant, la première vie de François Athanase Charette de La Contrie, fusillé à 32 ans le 29 mars 1796 à Nantes, fut d’abord celle d’un marin. Une carrière de plus de douze ans, passée à bord des vaisseaux du Roi, aujourd’hui presque oubliée. d’une attaque sur la Jamaïque, alors possession anglaise, il brûle d’y participer. Mais l’ouverture des négociations de paix entre la France et la Grande-Bretagne puis la conclusion d’un accord de cessation des hostilités le 3 février 1783 mettent un coup d’arrêt au projet d’expédition franco-espagnole.

De retour à Brest, Charette quitte L’Hercule et approfondit sa formation avant de reprendre la mer en 1784 à bord d’une gabare, La Loire, chargée de rapporter en France du bois de Riga, à l’époque province de l’Empire russe.

Puis les embarquements se suivent. En 1785, il est à bord de La Cléopâtre, une frégate de 32 canons et sert ensuite aux Antilles sur Le Dauphin, un petit brigantin. Promu lieutenant de vaisseau le 11 novembre 1787, à l’âge
de 24 ans, il embarque ensuite sur La Belette, une corvette de 18 canons, le 10 mai 1788, qui participe à plusieurs combats au Levant contre les pirates barbaresques, au large d’Alger et de Carthagène d’abord, puis contre les corsaires
turcs, grecs ou russes qui harcèlent alors les navires marchands. Quand La Belette regagne Toulon le 12 juillet 1789, une partie du rêve de Charette s’est réalisé : il n’est pas capitaine, mais dans les poches de sa veste d’officier tintent les quelque 1347 livres et 10 sols gagnées pendant sa campagne sur les mers du Levant.

ADIEU AUX ARMES

Le 14 novembre, une demande de congé de huit mois lui est accordée et il regagne la Bretagne. En novembre 1790, il quitte la Marine royale et demande sa retraite. François Athanase Charette de La Contrie a 27 ans. Plusieurs historiens excluent l’idée qu’il puisse avoir tourné le dos à sa carrière d’officier de marine par conviction anti-révolutionnaire et s’accordent plutôt sur le fait qu’il souhaitait surtout « s’éloigner des rigueurs du service en mer et s’assurer un train de vie confortable par un beau mariage ».

De fait, le 25 mai 1790 à Nantes, Charette épouse Marie-Angélique Josnet de La Doussetière, âgée de 41 ans. Une veuve bien dotée qu’il aime de loin. Le 2 février 1792, le couple attend la naissance de son premier enfant, Louis Athanase, mais celui-ci décède deux mois après. Presque un an plus tard, au début du mois de mars 1793, Charette prend la tête d’un parti de paysans qui lui demande de le mener au combat. Une autre histoire commence.

EV1 (R) JEAN-PIERRE DECOURT

page 46 — COLS BLEUS 3110 février mars 2023

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