EDF nous doit plus que la lumière. Emmanuel Macron aussi.

En visite au salon du « Made in France » le jeudi 10 novembre 2022, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a assuré que l’Etat viendrait en aide aux entreprises pour faire face à la crise énergétique : « Nous avons protégé nos entreprises, notre tissu industriel pendant la crise du covid, nous protégerons notre tissu industriel pendant cette crise inflationniste. » Dans la foulée, il promettait des aides aux entreprises pour « réduire » la facture de gaz et d’électricité.

Le même jour, EDF, propriété de l’Etat Français, envoyait aux entreprises qui ne bénéficient pas du tarif réglementé[1] , une lettre leur annonçant des augmentations substantielles : de +261% (Heures Creuses en Eté) à + 423% (Heures Pleines en Hiver) !

J’ai reçu cette lettre. Notre exploitation viticole a besoin de frigories pour refroidir le jus de raisin avant les fermentations alcooliques, et de calories, après, pour le démarrage des fermentations malolactiques. Selon nos calculs, l’année prochaine, notre note d’électricité devrait passer de 12000 € à 42000 € ! A cela s’ajoutera l’augmentation du prix du verre, des bouchons, des cartons, qui tous sont liés au prix de l’électricité : à ce jour nous tablons sur une augmentation de nos coûts de 20 centimes d’€ / bouteille. Une augmentation que la grande distribution, notre plus gros client, n’acceptera pas.

Sur notre exploitation viticole, la consommation est saisonnière. Nous avons besoin de puissance pendant la période des vinifications.

Des justifications « langue de bois »

Voilà comment EDF justifie ces augmentations.

« Les niveaux de prix sur le marché de l’électricité ont connu ces derniers mois une hausse très importante sur tous les marchés européens. A titre d’information, les prix de l’électricité ont été multipliés jusqu’à 10 fois entre l’été 2021 et début septembre 2022. »

Et moi qui pensait que l’intérêt de confier la production d’électricité à une entreprise d’Etat, était justement de s’affranchir des « prix de marché » et de vendre, plutôt, au prix de revient ?

« Une crise du gaz : le gaz est l’un des facteurs déterminants du prix de marché de l’électricité car nécessaire à la production d’électricité. Or, à la suite de la reprise économique post-covid puis à des difficultés d’approvisionnement liées notamment à la guerre en Ukraine, le prix du gaz a fortement augmenté. »

Pourtant, la part du gaz et du pétrole dans la production électrique française est de l’ordre de 7% (contre 20% en Europe). Comment cette « crise du gaz » peut-elle justifier de telles augmentations du prix de l’électricité ?

« Une moindre disponibilité en 2022 des moyens de production d’électricité en France en raison de deux principaux facteurs : « la sécheresse qui impact la capacité de production des centrales hydrauliques », les opérations de maintenance sur les réacteurs nucléaires « qui cumulent celles reportées à la suite des contraintes liées à la crise sanitaire COVID et les nouvelles opérations nécessaires apparues entre temps ».

Va pour la sécheresse … Gageons que les précipitations actuelles, l’hiver tardif et l’automne clément, auront permis à EDF de recharger ses barrages avant l’hiver … L’hydroélectricité représente 12 % de notre production électrique.

Quant à la disponibilité de nos centrales nucléaires, le 14 septembre dernier Réseau de transport d’électricité (RTE), envisageait une remontée significative de la disponibilité des réacteurs nucléaires affirmant que « L’incertitude sur le périmètre des contrôles et des réparations a diminué au cours des derniers mois, ce qui constitue une nouvelle très positive pour la gestion du système ».

C’est curieux, dans sa lettre, craignant sans doute les foudres de l’Elysée[2], EDF n’évoque pas la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. C’est pourtant une des raisons principales de la pénurie actuelle ! en quelques mois, la France a fermé 12 GW électrique de centrales fossiles et nucléaires, qu’elle a compensé par seulement 3 GW électrique de centrales à gaz… et quelques éoliennes en manque de vent.

Emmanuelle Wargon, nouvelle présidente de la Commission de régulation de l’énergie, et ancienne ministre du Logement, admettait sur France Info le lundi 19 septembre 2022 que« Dans la crise dans laquelle on est, on n’aurait pas pris la même décision […] car on s’est rendu compte qu’on allait avoir besoin de plus d’électricité » (sic !). Gouverner c’est prévoir ! Dit-on. Le projet de fermer 14 réacteurs nucléaires[3] d’ici à 2035 est encore inscrit noir sur blanc dans la loi sans que personne n’y revienne !

« Un passage de l’hiver difficile, avec l’anticipation de fortes tensions sur l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité »

Pourtant, le 14 septembre dernier, RTE définissait trois scénarios. Le « scénario dégradé » avec des échanges européens limités en raison de tensions sur le gaz. Le « scénario haut » avec une disponibilité du nucléaire très élevée à 50 GW. Le scénario intermédiaire, retenu comme référence, avec un fonctionnement normal de nos centrales à gaz et une disponibilité « importante » du nucléaire. Dans tous ces cas, RTE excluait tout risque de blackout.

Bref, on ne comprend pas bien la lettre d’EDF que tout vient contredire ! On ne comprend pas, non plus, pourquoi la France n’utilise pas tous les leviers dont elle dispose pour sortir de cette situation ubuesque !

Découpler le prix du gaz et celui de l’électricité

Le 30 septembre dernier le même Bruno Le Maire avait écrit à la commissaire européenne Margrethe Vestager, pour demander que soit remis en cause les règles du marché énergétique européen : « pour qu’on arrête une bonne fois pour toutes d’aligner le prix de l’électricité sur le prix du gaz ». Deux mois plus tard, et ce malgré l’urgence, rien n’a bouger ! Bruno Le Maire ne parle plus de « son combat » pour modifier les règles du marché européen, mais de « boucliers » et de « subventions ». Pour les PME cela s’appellera « l’amortisseur d’électricité[4] » Une fois encore, au lieu de penser le changement, nous changerons le pansement !

« Pourtant, découpler le prix de l’électricité de celui du gaz est une nécessité urgente, vitale pour atténuer les effets désastreux du prix de l’électricité sur notre industrie et l’ensemble de notre économie. » Comme le rappelle Bernard Accoyer dans une lettre ouverte adressée cette semaine au président Macron.

Quant à nos députés, ils ont d’autres priorités ! Pendant que les entreprises de France reçoivent les lettres d’EDF par milliers, notre assemblée nationale débat de l’interdiction de la Corrida ! Est-ce que ce monde est sérieux ?

EDF, le taureau de l’ARENH

Il y a pourtant matière à débattre pour nos députés. Connaissez-vous l’« ARENH » ? Cela signifie « Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique ». Ce système administré, oblige EDF à vendre à ses concurrents 25% de sa production à prix coutant, au détriment de ses clients historiques ! Une électricité achetée bon marché que les fournisseurs alternatifs revendent à prix d’or sur marché qui lui est indexé sur le prix du gaz ! Selon la théorie des vases communicants, il y a fort à parier qu’une partie de l’augmentation qu’EDF impose aujourd’hui à ses clients, vise à compenser le manque à gagner que lui inflige l’ARENH ! Un dispositif abscons qui fragilise EDF et ses clients qui est désormais intégré dans le code de l’énergie ! S’il y a une corrida à supprimer, c’est plutôt celle-là.

Retrouver notre souveraineté énergétique

Tout cela est un énorme gâchis. Car s’il y a un sujet où la France disposait d’un avantage économique doublé d’un atout écologique, c’est bien celui de l’énergie. En 2018, la France était le dixième producteur mondial d’électricité et le premier pays exportateur au monde ; En 2020, sa production nette s’est élevée à 500,1 TWh, elle était le premier pays exportateur d’Europe, avec un solde exportateur de 43,2 TWh !

Depuis, François Hollande, puis Emmanuel Macron, ont fait à peu près n’importe quoi, au nom d’accords politiques hasardeux avec les verts. C’est ce que nous écrivions déjà avec David Lisnard, dans une tribune, le 1er août 2021 : Quand le « en même temps » devient « tout et son contraire ».

Le 18 novembre 2022, le gouvernement Français annonçait la signature d’un accord franco-allemand pour « sécuriser les capacités d’importation d’électricité » en France !

Le retour aux groupes électrogènes ?

Dans sa lettre aux entreprises, EDF conclu : « Le kWh le moins cher est celui qui n’est pas consommé (sic !) En diminuant ou en modulant différemment votre consommation l’hiver prochain, autant que votre activité le permet, vous pourrez ainsi réaliser des économies sur votre facture, tout en contribuant à l’amélioration de la gestion des pointes de consommation (re sic !). »

Si les augmentations restent en l’état, de nombreuses TPE, PME, artisans, commerçants, exploitations agricoles, vont se tourner vers les groupes électrogènes et les énergies fossiles pour diminuer leur consommation d’électricité -décarbonée-, leur besoin de puissance, et redescendre en dessous de la barrière fatidique de 36 kVA pour bénéficier du tarif réglementé et du bouclier tarifaire.

Dommage pour le climat… Juste au moment où le gouvernement lance l’appel à projet (AAP) « Industrie Zéro Fossile », dit « IZF » ! C’est compliqué de sauver la planète avec des politiques de gribouille.

Lorsque l’on parle de survie, nécessité fait loi. Le sentiment général est d’avoir été lâchement abandonné … EDF nous doit plus que la lumière. Emmanuel Macron aussi.


[1] Le bouclier tarifaire est réservé aux entreprises dont le compteur a une puissance inférieure à 36 kVA, dont l’effectif est inférieur à 10 salariés et dont le chiffre d’affaires n’excède pas 2 millions d’€.

[2] Jean-Bernard Lévy, le dirigeant d’EDF depuis 8 ans a été limogé tout récemment après s’être montré particulièrement critique à l’égard du chef de l’État sur sa gestion du parc nucléaire français.

[3] EDF avait proposé d’étudier le démantèlement du Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et Tricastin

[4]« Une aide forfaitaire sur 25 % de la consommation permettant de compenser l’écart entre le prix plancher de 325€/MWh et un prix plafond de 800€/Mwh, l’amortisseur sera plafonné à 800€/Mwh afin de limiter l’exposition du budget de l’État à la flambée des prix : l’aide maximale serait donc d’environ 120€/MWh pour les entreprises concernées »

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