Manifestation des viticulteurs le 6 décembre 2022 pour un « plan social » à Bordeaux.

Bien souvent des manifestations sont organisées pour combattre les « plans sociaux ». Le 6 décembre un collectif de viticulteurs de Gironde appelait au contraire à manifester à Bordeaux « pour un plan social » à savoir l’arrachage volontaire et subventionné de 15000 ha de vignes sur les 110000 que compte la Gironde.

A Bordeaux cohabitent plusieurs viticultures : d’un côté la viticulture des crus classés en 1855 du médoc et des graves, des marques de luxe de Saint Emilion ou de Pomerol, des vins de « haute couture » que le monde s’arrache, et, de l’autre, le « prêt à porter », les vins de tous les jours, que l’on trouve sur nos tables et sur celles de nos brasseries, dans les pubs, qui se battent à coup de centimes sur un marché international très concurrentiel, qui représente 80% des échanges internationaux de vin. C’est cette seconde viticulture qui appelle à manifester le 6 décembre. C’est cette viticulture-là, qui souffre de plusieurs crises.

Une baisse de la consommation structurelle voulue par l’Etat

Depuis 30 ans et le vote de la loi Evin[1], les gouvernements successifs investissent des millions pour que la consommation d’alcool diminue. Comme le vin est la boisson alcoolisée la plus consommé, c’est bien souvent le vin que l’on attaque. Symptomatique de cette ligne politique sanitaire une campagne publicitaire de 2004 « Alcool : votre corps se souvient de tout » qui était tellement dirigé contre le vin qu’elle entraina dans la rue des milliers d’acteurs de la filière le 8 décembre dans toutes la France : Avignon, Angers, Tour, Blois, Nantes, Mâcon, Toulouse, Dijon et Bordeaux. J’avais pris la parole à Bordeaux, à l’époque, en tant que Secrétaire Général du Syndicat des Viticulteurs de Bordeaux et Bordeaux Supérieur.

Cette fronde de l’Etat contre le vin a bien fonctionné puisqu’aujourd’hui selon les résultats de l’étude Kantar la consommation de vin rouge a diminué de 32% de depuis 2011, tous âges confondus !

Selon l’OFDT[2], sur la période 2000-2019 les volumes d’alcool pur (AP) par habitant de 15 ans et plus ont diminué de 18%. La baisse a été de près de 25% pour les vins et de 13% pour les spiritueux. Il a en revanche augmenté de 9% pour les bières. A force de taper sur le vin, la bière est devenue la boisson alcoolisée préférée des français (selon le baromètre 2022 Sowine/Dynata).

Si la consommation d’alcool a diminué en France, selon Santé Publique France[3], « c’est essentiellement en raison de la baisse de la consommation quotidienne de vin ». Cela permet-il de lutter contre l’alcoolisme ? Pas si sûr puisque selon les mêmes publications « en France, on note une consommation régulière plus faible et une augmentation des consommations ponctuelles importantes ».

A cela s’ajoute depuis quelques années des attaques frontales contre les agriculteurs en général et contre la viticulture en particulier. Des attaques relayées par les médias, notamment sur des chaines de service public.

Une baisse de la consommation conjoncturelle liée au COVID

Depuis deux ans, la viticulture subit de plein fouet la crise sanitaire du coronavirus … Les restaurants sont fermés dans le monde entier. Or, en France, la consommation en restauration c’est 1 bouteille de vin sur 3 ! A l’export c’est 1 bouteille sur 2.

Le gouvernement a bien aidé les restaurateurs pendant cette période difficile. Mais, leurs fournisseurs, les maraichers, les viticulteurs, eux, n’ont pas été aidés, ou si peu. Il y a bien eu quelques petites exonérations de charge, quelques aides ponctuelles … des Prêts Garantis par l’Etat … Mais aujourd’hui, la date approche du remboursement de ces « PGE » et les viticulteurs craignent de ne pas pouvoir le faire : on ne peut pas durablement remplacer le chiffre d’affaires par des crédits.

Une difficulté à retrouver à l’export la consommation perdue en France.

La France est le deuxième pays consommateur de vin au monde avec 3.21 milliards de bouteilles consommées en 2021 sur les 30 milliards de bouteilles consommées dans le monde. Il est donc très compliqué de retrouver à l’export, des marchés pour les millions de bouteilles qui ne sont plus bues en France. D’autant plus compliqué qu’il y a aujourd’hui plus d’une centaine de pays producteurs de vin. Il y en avait 35 en 1980.

La diplomatie Française est plus occupée à vendre des avions (Rafale, Airbus) et des armes, que du vin ! Pendant ce temps, d’autres pays, comme le Chili, sont beaucoup plus offensifs et mettent leur diplomatie au service de l’exportation des vins. Ils obtiennent notamment des droits de douanes plus avantageux sur des marchés prometteurs. Lorsqu’elle négocie les accords internationaux la France semble oublier que la filière viticole, avec 14,2 milliards[4], est à la seconde place des contributeurs à la balance commerciale[5] de la France derrière l’aéronautique et devant les cosmétiques.

En géopolitique, le vin est très exposé. Chacun se souvient des taxes décidées par Donald Trump sur le vin français aux USA en réponse aux aides apportées par l’Europe à Airbus. La « diplomatie du vin » est une diplomatie à mettre en place, comme il existe aujourd’hui une diplomatie de l’aérospatiale et une diplomatie du blé.

Une baisse de la production liée aux aléas climatiques

Depuis 2013, les aléas climatiques se succèdent comme jamais auparavant … 2013, 2014, 2017, 2019, 2021, 2022. La grêle, le gel, les excès d’eau, la sécheresse … Le rendement moyen diminue fortement et met à mal l’équilibre économique des exploitations. Autrefois, lorsque la production baissait le prix était revalorisé. Ce n’est plus le cas. Car il y a pléthore de stocks … A cause de la baisse de la consommation d’une part, et de la crise du COVID d’autre part.

Une augmentation des contraintes environnementales dont le coût n’est pas compensé par l’Etat.

De très nombreux viticulteurs se sont engagé dans une certification environnementale (Bio, HVE[6]…). D’autres, sans certification, ont fait des efforts notables en prohibant, par exemple, les pesticides CMR[7] ou en renonçant aux herbicides.

Tout cela a un coût : cela augmente le recours aux énergies fossiles, aux heures travaillées, donc les dépenses ; cela diminue le plus souvent la production et conséquemment les recettes ;

Les compensations prévues par l’Etat sont très, très loin de l’impact économique réel. A titre d’exemple, la certification HVE donne droit à un crédit d’impôt de 2500 €. L’arrêt du glyphosate à un crédit d’impôt de 250/ha plafonné à 10 ha. Les deux ne sont pas cumulables.

Le gouvernement, malgré ses annonces, n’accompagne pas la transition écologique.

A cela s’ajoute aujourd’hui une augmentation des matières premières que la guerre en Ukraine et les sanctions vis-à-vis de la Russie viennent aggraver :

  • Carburant, engrais, produits phytosanitaires d’une part ;
  • Papier, cartons, bouteilles, bouchons ; avec une ou deux augmentations de 10 à 15% depuis le début de l’année et une augmentation annoncée de +25% en janvier 2023.

La semaine dernière, les viticulteurs, comme toutes les PME Françaises ont reçu la lettre d’EDF leur annonçant des augmentations de +261 % (heures creuses en été) à +423 % (heures pleines en hiver).

Baisse des prix, baisse de la production, augmentation des contraintes et des coûts. La viticulture est prise en ciseau. Si à Pomerol un hectare de vigne vaut 2 millions d’€, les vignes à l’abandon se multiplient un peu partout dans le paysage de l’Entre-deux-Mers. On a même vu cet automne des vignes cultivées, qui n’ont pas été vendangées.

Récemment l’interprofession bordelaise a suspendu la publication des cours du vin en vrac pour ne pas participer à la spirale vertigineuse d’une dévalorisation collective.

Les viticulteurs les plus anciens assurent n’avoir jamais vécu une telle crise depuis les années 50. 1 viticulteur sur 2, approche de l’âge de la retraite et la génération suivante n’est que très peu intéressée pour reprendre une activité peu rémunératrice… C’est souvent un crève-cœur pour celui qui décide d’arrêter, car les exploitations viticoles se confondent avec l’histoire familiale. C’est comme une chaine que l’on brise avec la sensation délétère et intime d’en être « le maillon faible ».

En 2020 et 2021, le ministère de l’agriculture a organisé une distillation de crise (211 millions d’€) pour diminuer les stocks de vin partout en France, une aide au stockage (30 millions d’€) pour encourager les viticulteurs à conserver les vins plutôt qu’à les brader. Malheureusement, ce « fusil à un coup » n’a pas changé la donne. Les petites récoltes non-plus.

Aussi, plutôt que d’aider la distillation, et pour sortir par le haut de cette situation, les viticulteurs de Gironde militent pour un « plan de départ volontaire » de 15000 hectares de vignes financé à raison de 10000 €/ha[8]

Comment financer ce plan d’arrachage ?

Rappelons en préambule que le vin génère chaque année en France autour de 4 milliards d’euros de recettes de TVA. La seule Gironde 400 millions d’€.

Le plan d’arrachage souhaité pour pouvoir repartir du bon pied couterait 150 millions d’€. Il permettrait d’arracher les vignes des viticulteurs qui prennent leur retraite et n’ont pas de suite, de rééquilibrer le marché pour permettre aux jeunes qui s’installent de retrouver la confiance, d’investir et de vivre de leur métier, à ceux qui souhaitent se diversifier de le faire en diminuant leur surface de vignes, au plus grand nombre de rembourser les PGE[9] contractés pendant la crise du COVID…

Ce projet est désormais soutenu par l’ensemble des acteurs de la filière girondine.

Parmi les solutions possibles pour le financer il y a :

  • La participation directe de l’Etat en débloquant les fonds nécessaires comme il l’a fait pour la filière porcine ou pour la filière canard gras ; C’est un choix politique.
  • L’utilisation d’une partie des fonds de l’OCM vitivinicole[10] en modifiant à la marge les règlements à Bruxelles. C’est sans doute le chemin le plus long. Cette idée semble « insurmontable » pour nombre d’acteurs !
  • La possibilité de bâtir un plan local d’arrachage financé par les viticulteurs eux-mêmes et les négociants bordelais au sein de l’interprofession comme nous l’avions fait il y a 15 ans, en utilisant les CVO[11], mais, ce chemin pourtant le plus simple, le plus rapide, possible hier, serait, semble-t-il, interdit par les lois d’aujourd’hui (sic !)

Dans un deuxième temps, se posera la question de l’usage des 15000 ha terres ainsi libérées et le financement d’un plan de reconversion comme l’ont connu par le passé d’autres bassins d’emploi : production d’huile l’olive, élevage, polyculture, reboisement … Pourrons alors être utilisés le FEADER[12], le FEDER[13], le FSE[14], fonds européens dont c’est la vocation.

Il y a fort à parier que si la viticulture française était une seule entreprise de 500000 personnes qui exporte 1,9 milliards de bouteilles dans plus de 200 pays, dont les recettes oenotouristiques sont de 5,2 milliards d’€ par an, et qu’elle demande un plan social pour sa filiale Girondine qui emploie 60000 personnes et 30000 saisonniers, son PDG aurait son rond de serviette à l’Elysée, serait reçu à Bercy en grande pompe, et le problème serait vite réglé ! Mais la filière vignes et vin Française se sont 85000 exploitations familiales réparties dans 84 départements, qui n’occupent que 3% de la surface agricole… et qui « ne parlent pas tous d’une même voix »[15] ! Alors l’Etat procrastine, organise des réunions, autour du ministre, autour de Madame la Préfète, autour du Président de Région. Chacun se renvoie la balle ou botte en touche. Pendant ces atermoiements, les viticulteurs se désespèrent. Début janvier commence la période de la taille des vignes et d’aucuns n’auront pas les moyens de la mener à bien. Or, sans la taille, pas de raisins pour le vin.

Pour le moment on assiste à la danse de la patate chaude ! Chacun expliquant que la meilleure solution est de faire appel à l’autre !


[1] La loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite loi Évin en référence à son instigateur Claude Évin, est une loi française qui vise à lutter contre le tabagisme et l’alcoolisme.

[2] Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives

[3] 14 janvier 2020

[4] Année 2021 / source CNIV

[5] Selon les Douanes, le déficit de la balance commerciale française s’est élevé à 84,7 milliards d’euros en 2021, ce qui constitue un record historique !

[6] Haute Valeur Environnementale

[7] CMR : cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques

[8] La plantation d’1 hectare de vignes coûte environ 15000 €

[9] Prêt Garanti par l’Etat mis en place pendant la crise du COVID pour pallier le manque de chiffre d’affaires.

[10]Lorganisation commune du marché (OCM) vitivinicole est le cadre du droit européen qui fixe les mécanismes de la politique agricole commune (PAC) applicables à l’exploitation de la vigne dans les pays membres de l’Union Européenne.

[11] Les Cotisations volontaires obligatoires sont payées par les viticulteurs et les négociants sur les ventes de leurs produits.

[12] Fonds Européen pour l’Aide au Développement Rural

[13] Fonds Européen de Développement Régional

[14] Fonds Social Européen

[15] « Vous ne parlez pas tous d’une même voix » c’est le mantra des responsables politiques de notre pays. S’il fallait attendre que tous parlent d’une même voix pour agir, alors, à quoi servirait la politique ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *